Claude
Le Pen
Les
habits neufs dHippocrate
Du médecin artisan
au médecin ingénieur 1999
Hervé
NABARETTE
15 décembre
1999
Suite (2/3)
De nouveaux outils : algorithmes de décision,
instruments de mesure
Les référentiels médicaux
prennent souvent la forme dalgorithmes qui assistent la décision
médicale. Progressivement s'élabore une véritable approche algorithmique,
dont un des plus spectaculaire exemples se trouve en psychiatrie.
Depuis les années 1950, lassociation psychiatrique américaine
a en effet entrepris la tâche encyclopédique de créer une nomenclature
exhaustive des troubles mentaux et de définir pour chacun une procédure
diagnostique rigoureuse sous une forme algorithmique.
Leffort de normalisation
du langage est essentiel. La question n'est pas de savoir s'il existe
une vraie dépression bien ou mal décrite par la nomenclature. Elle
est plutôt de garantir que tous les cliniciens aient le même langage
pour comparer l'état des patients et les modes de prise en charge,
pour améliorer la qualité des soins, voire tout simplement pour
coder de la même manière les formulaires de prise en charge des
hôpitaux ou des organismes d'assurance.
On peut imaginer que
ce genre d'algorithme va devenir la base de lenseignement
médical. Les étudiants seront formés à appliquer ces protocoles
diagnostiques et thérapeutiques.
A côté des instruments de normalisation
se développent des instruments de quantification. Si lobjectif
dun traitement est la réduction de l'intensité des symptômes,
il convient de mesurer les symptômes. Dans la douleur existent par
exemple des centaines de scores. Mais le symptôme nest quun
aspect de la maladie, les indicateurs quantitatifs sétendent
aussi à la qualité de vie.
Une nouvelle culture : une pratique plus scientifique
Le nouveau modèle de
comportement médical correspond à une pratique organisée, réglée
par des experts et non par lintuition géniale dun clinicien,
en un mot, à une pratique plus scientifique.
LEvidence-Based-Medicine
("médecine fondée sur la preuve") est un courant exemplaire
de cette nouvelle tendance. Elle cherche à promouvoir une pratique
clinique fondée sur une approche systématique de la littérature
scientifique, recherchant des réponses précises à des questions
précises, procédant à une évaluation critique de la validité et
de l'utilité de ce que recèle cette littérature, cherchant à appliquer
ces enseignement à des patients et des populations réelles, et débouchant
sur l'évaluation de la performance du praticien. Une telle pratique
est très exigeante pour le médecin, qui doit se former, sinformer
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Lexigence scientifique
a aussi des implications morales dans le choix de certaines décisions
médicales. Ainsi, en Grande-Bretagne, le NHS refuse de financer
des greffes sur des patients dont les chances de survie sont trop
faibles.
De nouveaux paradoxes : soigner ou gérer ?
La médecine moderne,
technique et industrielle risque de "gérer" des patients,
plus que de les soigner et d'ignorer la dimension psychologique
et relationnelle de la consultation.
Que va alors devenir
le recours au médecin pour ce quon pourrait qualifier le "conseil
général de vie" ? Il est vrai que la fonction d'accueil
social pourrait aussi être assumée dans le cadre de la méthodologie
décrite, cest-à-dire avec des échelles, des évaluations, du
"case management". Théoriquement, cela est possible,
et pourrait même apporter de meilleurs résultats que la pratique
actuelle, mais Claude Le Pen est sceptique : si la rationalisation
est globalement positive, elle fait courir un risque de déshumanisation
pour un certain type de consultation.
La médecine parallèle échappera à la
normalisation, à lévaluation, et donc à la prise en charge
publique elle-même liée aux critères d'évaluation. Le raidissement
"positiviste" de la médecine officielle risque de creuser
un clivage à lintérieur du corps médical.
La révolte du payeur
La métamorphose du
médecin en ingénieur s'accompagne de changements institutionnels.
Le modèle français repose sur une alliance entre les médecins libéraux
et les patients, les premiers produisant librement, les seconds
consommant comme ils lentendent. Par comparaison avec les
autres pays, le coût de cette liberté peut être estimé à 10% des
dépenses.
La Sécurité sociale
connaît la domiciliation bancaire des assurés, mais elle ne connaît
pas leur état de santé, leur maladie, la raison qui a motivé les
soins, la fréquence avec laquelle l'assuré consulte, le type de
médecins quil voie le plus souvent.
La nouvelle alliance
qui se dessine lie les patients, que le pouvoir politique ménagera,
et les payeurs qui deviennent des acheteurs avisés. La montée en
puissance du payeurs a commencé en France dans les années 1990 :
début de la maîtrise médicalisée, références médicales
Le nouveau modèle qui
sannonce est à rapprocher du managed
care américain, défini par lAmerican Medical Association
comme "l'ensemble des systèmes et des techniques utilisées
par toute entité de délivrance, d'administration, d'assurance en
santé, pour contrôler ou pour influencer la qualité, l'accessibilité,
l'utilisation, le coût et le prix des services de santé pour une
population déterminée ". Le managed care repose
sur la normalisation et lévaluation de la pratique médicale,
laccréditation sélective des prestataires, lusage dincitations
financières aussi bien pour les médecins que pour les assurés.
Aux Etats-Unis, dans les réseaux de
soins les plus avancés, les affiliés sociaux possèdent une carte,
qu'ils remettent à leur médecin lors de la consultation. Ce dernier
se connecte par modem auprès de lorganisation de managed care
dont relève le patient. Il peut alors consulter le dossier médical,
des examens antérieurs, les résultats obtenus. Il dispose même de
systèmes experts qui font des propositions en fonction du passé
médical du client. Le médecin actualise les données en temps réel.
Il sera ensuite payé électroniquement sur le compte identifié par
son numéro de prestataire. Surtout, les systèmes dinformation
permettent de gérer les nombreux avis ou ententes préalables, car
ceux-ci peuvent être délivrés par les médecin conseil de l'assurance
en temps réel.
Suite
et fin (3/3)
15 décembre 1999
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