Nobel
d'économie et
asymétries d'information en santé

Hervé
Nabarette
19 novembre
2001
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Les
Américains George A Akerloff, A Michael Spence et Joseph
E Stiglitz ont reçu conjointement le Prix Nobel d'économie
le 11 octobre dernier. L'Académie
royale de Suède a voulu récompenser les travaux
"sur les marchés avec asymétrie d'information",
qui permettent d'envisager comment certains agents détiennent
plus d'information que d'autres, et les conséquence de cette
situation. Ce concept est souvent utilisé en économie
de la santé, que ce soit pour modéliser la relation
entre assurance et patient, entre médecin et patient
Les asymétries d'information
Les
travaux primés ont été réalisés
dans les années 1970. Ils partent de l'étude des relations
bilatérales, qui constituent le fondement de la vie économique,
et rompent en cela avec la théorie de l'"équilibre
général" qui prédominait jusque là.
Plus réalistes, les concepts ont pu être appliqués
à de nombreux secteurs.
La
littérature sur les asymétries d'information part
de la situation où un offreur bénéficie d'une
information privilégiée, ce qui peut rendre la transaction
impossible. En effet, les acheteurs, incertains sur la qualité
du produit, ne désirent s'engager que sur des prix faibles,
auxquels les vendeurs offrant des produits de bonne qualité
ne veulent pas répondre. Ce problème peut par exemple
concerner les voitures d'occasion.
La
réflexion sur les asymétries d'information et les
contrats consiste à trouver les clauses contractuelles permettant
de conclure des transactions dans un tel contexte. Par exemple,
pour rassurer les acheteurs, il peut être possible pour les
offreurs de signaler de façon crédible les caractéristiques
de leur offre. En matière d'assurance, un autre type de solution
est valable : les offreurs de contrats, ignorant le risque réel
présenté par les demandeurs, peuvent leur offrir une
gamme de contrats qui les incite à "révéler"
leurs caractéristiques (leur risque) selon les choix qu'ils
feront. Le principe est de construire des contrats combinant des
niveaux différents de prime et de franchise afin de conduire
les individus à se classer en fonction de leur risque.
Mais
dans de nombreux cas, il n'est pas possible de définir les
termes d'un contrat qui réponde au problème de "sélection
adverse" (non visibilité sur les caractéristiques
de l'offre, sur sa qualité) et qui rende l'échange
possible. La théorie montre alors le rôle des organisations
et des intermédiaires. Un donneur d'ordre ou un intermédiaire
acquiert l'information et contrôle le comportement d'un ou
plusieurs agents pour rendre les transactions possibles. Dans ce
cadre, les développements théoriques ont notamment
porté sur le comportement et la régulation des institutions
financières.
Dans
une certaine mesure, un "pont" a pu être établi
avec la macro économie qui étudie les grands agrégats
(consommation, chômage
), les asymétries donnant
des "fondements micro économiques" à la
macro économie. Dans cette perspective, les déséquilibres
macro économiques ne sont pas le résultat d'obstacles
au libre fonctionnement du marché, mais la conséquence
d'un ensemble d'actions micro économiques marquées
par les asymétries d'information. Ainsi, la théorie
du "salaire d'efficience" explique que l'incapacité
à contrôler la contribution des salariés incite
à fixer leur rémunération au-dessus du niveau
d'équilibre (pour attirer des salariés performants,
ou pour motiver les salariés qui sont reconnaissants ou qui
ont peur de perdre un emploi bien payé), ce qui engendre
le sous emploi.
Les asymétries d'information en santé
Le
concept d'asymétrie d'information est applicable à
toute relation de coopération entre agents. Les économistes
parlent souvent de "relations d'agence" pour décrire
les relations de coopération. Celles-ci sont marquées
par des problèmes de sélection adverse ("quelles
sont les caractéristiques de l'agent A, sa qualité ?"
se demande B), et d'aléa moral (l'agent n'a pas une visibilité
totale sur l'action d'un autre agent auprès duquel il projette
d'acheter, ou a acheté, une prestation : "que fera,
ou que fait réellement l'agent A ?" se demande
B) qui sont en grande partie issus des asymétries d'information.
Un grand nombre de relations d'agence ont été décrites
en santé. Elles impliquent la tutelle, le ou les payeurs,
les producteurs de soins, les patients.
Selon la question que l'on se pose, on va envisager ce que A sait
et que B ne sait pas, où ce que A ne sait pas et que B sait.
Dans cette optique, la caractéristique majeure du système
de santé vient toutefois de l'asymétrie d'information
dont bénéficient les producteurs de soins au détriment
des patients, des payeurs et de la tutelle publique.
L'exemple de l'assurance
De
façon logique, l'assurance santé a été
étudiée du point de vue des asymétries d'information.
L'assurance ne connaît pas le risque réel des assurés
: elle a intérêt à essayer de mieux le connaître
et à ajuster les primes en fonction (administration de questionnaires
sur l'état de santé par exemple), ou à proposer
des contrats différents qui classent les assurés (ils
révèlent alors leur information). En sens inverse,
l'assuré peut ne pas avoir toute la visibilité souhaitable
sur l'assurance. Les assurés patients attendent de l'assurance
qu'elle mette en place à moindre coût des programmes
de soins efficaces. Ils sont donc intéressés par des
informations sur les caractéristiques et la qualité
des assurances (par exemple, un assuré américain se
demande si telle assurance a contracté avec tel spécialiste
réputé qui prend en charge la maladie dont il est
atteint), ainsi que sur l'action des assurances (il se demande si
l'assurance lui laissera facilement consulter ce spécialiste).
La relation d'agence entre le patient et le médecin
Une
autre relation d'agence importante en santé est celle qui
confronte le patient et le médecin. Le patient peut cacher
certaines choses au médecin : mauvaise observance du traitement,
prise d'un autre médicament... En sens inverse, la relation
entre le patient et le médecin met elle aussi en jeu la sélection
adverse et le risque moral. Tout d'abord, le patient désire
de l'information sur le producteur lui-même. Le diplôme
de docteur en médecine implique une qualité minimum.
Mais cet indicateur ne détaille pas des degrés de
compétence, le patient ne sait pas a priori, par exemple,
si tel médecin va le conseiller efficacement pour gérer
sa maladie. Le patient ne connaît pas toujours le tarif de
consultation, et peut ne le découvrir qu'à l'issue
de la rencontre avec le professionnel
Concernant le risque
moral, il faut avoir à l'esprit tout ce qui est attendu du
médecin par le patient : soins, conseil et information sur
le système de santé, révélation de ses
besoins
Or l'ignorance face au médecin dépasse
celle du profane face à un expert producteur de services,
car le patient juge difficilement le résultat ex post, et
notamment le rôle joué par le médecin dans ce
résultat. Le patient a du mal à contrôler et
à évaluer l'action du professionnel de santé.
Parfois, certains patients peuvent sortir du cabinet dentaire en
se demandant "le dentiste devait-il dévitaliser la dent ?
Ne pouvait-il pas faire un amalgame ?"... sans pouvoir
répondre à la question.
Suite
et fin   
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