L'
" intérêt de santé publique ",
grand oublié du médicament ?

Hervé
Nabarette
19 novembre
2001
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C'est
en réponse à une invitation du Cercle de Réflexion
sur l'Evaluation en Economie de la Santé (CREES)
que Lucien Abenhaim s'est exprimé au début du mois
octobre sur le thème de l' "Evaluation du médicament
et décisions en santé publique". Le Directeur
Général de la Santé a exposé aux participants
les modalités de surveillance post AMM du médicament
qui pourraient être envisagées, et la notion, liée,
d' "intérêt de santé publique" du
médicament.
L' "intérêt de santé publique", grand
oublié du médicament après sa mise sur le marché
Jusqu'à
présent la surveillance d'un médicament mis sur le
marché faisait défaut, et l'"intérêt
de santé publique du médicament", terme cher
à Lucien Abenhaim, qui apparaît dans le décret
d'octobre 1999 encadrant la transparence, a été négligé.
Quel est le circuit administratif du médicament ? La DGS,
qui siège à la Commission de la Transparence et siège
au Comité Economique des produits de santé, participe
à la prise de décision concernant le remboursement.
Celui-ci repose sur l'ASMR et, théoriquement tout du moins,
sur l'intérêt de santé publique. Mais la DGS
n'a pas pu jusqu'ici apporter de réponse documentée
sur cette question. Un groupe de travail qui devrait rendre d'ici
peu ses conclusions, a donc été mis sur pied, pour
faire des propositions sur le suivi du médicament après
sa commercialisation.
Pour
bénéficier de l'autorisation de mise sur le marché
(AMM), la sûreté, la qualité et l'efficacité
d'une molécule sont examinées lors d'essais cliniques.
Mais les laboratoires qui cherchent à tester les propriétés
biologiques de leurs molécules font naturellement appel à
des groupes de malades sélectionnés, et limités
en nombre. Par exemple, des essais sur les statines gagnent à
être réalisés en Finlande, où le taux
d'infarctus est 4 fois plus important qu'en France. De plus aucune
femme enceinte, ni aucune personne atteinte d'une autre pathologie
ne participent jamais à ces essais.
Personne
n'est aujourd'hui en mesure de dire ce qui se passe quand une molécule
est mise à disposition de la population générale.
"C'est la grande faiblesse de la politique du médicament
en France, et désormais la question majeure en matière
de surveillance du médicament" souligne Lucien Abenhaim.
Serait-ce une exception française ? Aux Etats-Unis, au Canada,
en Grande-Bretagne, en Hollande, en Italie ou en Allemagne, les
autorités disposent de systèmes d'information et de
surveillance plus performants que les nôtres : bases de données,
suivi de cohortes
En France, de surcroît, les mécanismes
de régulation sont déficients : la "HMO pour
60 millions de personnes" que sont la sécurité
sociale et l'Etat ne réévaluent pas régulièrement
ce qui a été décidé.
Beaucoup de questions demeurent sans réponse
D'où
la nécessité de mettre en place de vraies études
d'impact sur le médicament, pour voir si le "service
médical" a effectivement été "rendu".
Plusieurs réalités sont à considérer
:
Comment
le médicament est-il prescrit ?
La population traitée est différente des essais cliniques.
En moyenne, 70 % des gens traités ne correspondent pas
à la population des essais cliniques. 97 % des patients
traités avec une statine ne correspondent pas à la
population des essais cliniques.
Quelle
est l'efficacité du médicament prescrit ?
Si le risque de base est moindre dans la population "réelle",
que dans celle de l'essai clinique, alors le bénéfice
diminue, et par conséquent la balance bénéfice/risque
qui avait présidé à la décision d'AMM.
Lucien Abenhaim juge par exemple légitime de se poser la
question de savoir combien d'infarctus ont été évités
grâce aux 40 milliards de francs dépensés par
la collectivité avec les statines.
Quels
sont les effets secondaires du médicament prescrit ?
Les effets secondaires, qui surviennent rarement sont mal décelés
dans les essais cliniques car ces derniers ne concernent, la plupart
du temps, que quelques milliers de patients. En revanche, quand
on passe à une diffusion massive, ces effets secondaires
peuvent devenir un vrai problème de santé publique.
Pour reprendre l'exemple des statines, on sait aujourd'hui que la
prise de plusieurs médicaments peut provoquer de graves problèmes
musculaires. De même pour le vaccin contre l'hépatite
B, la vaccination de plusieurs dizaines de millions de personnes
a montré l'apparition d'effets secondaires problématiques.
"On a vacciné 45% des Français sans qu'on puisse
savoir si cela était toujours justifié, et avec quelle
efficacité".
D'autres
questions sont à considérer : par exemple, quels sont
les effets induits sur la consommation des autres médicaments ?
Ces
questions se posent plus que jamais. Structurellement, le médicament
connaît une très forte croissance, avec des taux de
progression à deux chiffres. Le centre de gravité
des systèmes de soins se déplace progressivement de
l'hôpital vers le médicament. Politiquement, la gestion
du médicament a été fortement critiquée
par la Cour des comptes. Juridiquement, les plaignants peuvent souligner
l'irrationalité des mises sur le marché qui se font
sans analyse d'impact préalable.
Suite
et fin   
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