Lois
bioéthiques :
la révision à petits pas

©
Garo
Mathieu
Ozanam
8 mars 2002
En
novembre 2001, des chercheurs français ont adressé
une pétition au ministre de la recherche, Roger-Gérard
Schwartzenberg pour l'appeler à soutenir la recherche sur
les lignées de cellules souches embryonnaires humaines. Forte
d'une centaine de signatures dont celles de quatre Prix Nobel (Jean
Dausset, Georges Charpak, François Jacob et Jean-Marie Lehn),
elle en compte aujourd'hui près de 500. Les signataires expriment
leur incompréhension face à la position de la France
: "ni autorisation, ni interdiction d'importation de cellules".
Ils craignent que les hésitations ne soient préjudiciables
à la recherche et aux "soins futurs offerts aux patients",
sentiment renforcé par les retards pris par la loi et par
l'avancée des recherches à l'étranger.
Du
clonage reproductif animal au clonage humain ?
En
1997, des scientifiques écossais réussissent pour
la première fois à procéder au clonage d'un
être vivant, c'est la naissance de la fameuse brebis Dolly.
Son "père", Ian Wilmut condamne pourtant peu de
temps après l'idée que les techniques mises en uvre
sur l'animal puissent être utilisées pour procéder
au clonage reproductif chez l'être humain.
Mais l'audition de scientifiques par l'Académie nationale
des sciences de Washington au cours de l'été 2001
révèle au grand public que de tels projets sont sur
le point d'être menés. Le gynécologue italien
Severino Antinori, déjà célèbre pour
avoir permis à une femme de devenir mère à
62 ans, assure qu'il veut permettre aux couples stériles
d'avoir des enfants. 200 couples se seraient portés volontaires.
La Française Brigitte Boisselier, professeur de chimie et
adepte de la secte de Raël, cherche quant à elle à
créer la "vie éternelle".
Fin novembre la firme américaine Advanced Cell Technology
(ACT) annonce avoir obtenu le premier embryon humain cloné.
La communauté scientifique dénonce un coup publicitaire,
l'embryon étant décédé après
s'être développé jusqu'à 6 cellules,
mais un tabou est tombé.
Les
enjeux du débat à l'Assemblée nationale
L'embryon
était au cur des débats de la nouvelle loi bioéthique.
La découverte en 1998 de la nature pluripotente des cellules
souches embryonnaires humaines a ouvert un nouveau champ à
la recherche. Ces cellules, qui ne sont pas encore différenciées,
peuvent devenir des cellules de foie, de rein, de cerveau pour peu
que l'on sache un jour contrôler leur évolution. Elles
pourraient être utilisées dans le cadre de la médecine
"régénératrice" pour être greffées
à la place de cellules malades avec l'espoir de pouvoir traiter
des maladies aujourd'hui incurables, telle que les maladies d'Alzheimer
ou de Parkinson. Les expériences menées sur les animaux
donnent de premiers résultats prometteurs.
Mais pour mener ces recherches, les scientifiques ont besoin d'embryons,
ce qui pose un problème éthique. Un temps favorable
à l'inscription du clonage thérapeutique dans la loi,
qui consiste à créer un embryon par transfert de noyau
afin d'en extraire les cellules souches embryonnaires, le Premier
ministre s'est résolu à faire marche arrière
pour suivre l'avis de la Commission nationale consultative des droits
de l'homme et du Conseil d'Etat. La crainte d'instrumentaliser le
corps de la femme et de faire naître un commerce des ovocytes,
ont été les arguments pris en considération.
Mais la loi propose toutefois d'autoriser l'utilisation des embryons
dits surnuméraires qui ne font plus l'objet d'un projet parental.
Initialement préparés pour une fécondation
in vitro on estime qu'environ 100 000 embryons sont aujourd'hui
conservés congelés. Jusqu'à présent
les couples qui ne souhaitaient plus recourir à la procréation
assistée, pouvaient donner leurs embryons à un autre
couple ou autoriser leur destruction. Ils pourront dorénavant
en faire don à la recherche. Le Pr Jean-François Mattéi
a toutefois défendu l'idée selon laquelle le clonage
thérapeutique et reproductif reposent sur la même technique
initiale, ce qui peut faire craindre des dérives à
l'avenir. Il préfère que la France soit "dans
le wagon de tête" des recherches sur les cellules souches
d'origine adulte que l'on trouve dans le sang et la moelle épinière,
plutôt que "dans le fourgon de queue" de la recherche
sur les cellules embryonnaires.
Une
application prévue pour 2003
Le
projet de loi de révision des lois de bioéthique de
juillet 1994 a fait l'objet de 4 jours de débats à
l'Assemblée nationale pour son examen en première
lecture (lire
les rapports et débats sur la bioéthique sur le site
de l'Assemblée nationale). C'est donc avec 2 ans de retard
sur le calendrier initialement prévu que les députés
se sont penchés sur la question. Malheureusement la fin de
la session parlementaire le 22 février 2002 afin de permettre
à la campagne électorale pour la présidentielle
de s'ouvrir . Puis ce sera le tour des législatives dont
le 2ème tour aura lieu le 16 juin 2002. La seconde lecture
reprendra lorsque la nouvelle assemblée élue aura
pris ses fonctions. La date de l'adoption finale du texte reste
donc aléatoire et en tout état de cause ne pourra
s'appliquer qu'après la parution des décrets dans
le courant de 2003. Une perspective qui n'est pas faite pour réjouir
les scientifiques français.
Cependant l'évolution de la loi devrait être plus rapide
à l'avenir et l'on ne devrait plus assister à l'édification
de "grandes cathédrales législatives" selon
l'expression de Roger-Gérard Schwartzenberg. Le délai
de révision qui était de 5 ans en 1994 a été
ramené à 4 ans et la création d'une Agence
de la procréation, de l'embryologie et de la génétique
humaines chargée d' "assurer une veille sur le développement
des connaissances et des techniques" permettra d'alerter le
Gouvernement sur les dernières avancées scientifiques
et médicales. Mais l'harmonisation internationale des pratiques
reste un vaste chantier.
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