Lanalyse
décisionnelle
à la portée du premier PC venu
Gaëlle
LAYANI
"
Tout
médecin qui pense quil pourrait être remplacé par un ordinateur,
devrait lêtre. "
A.
Moles, Les sciences de limprécis, 1990
Comment
prendre la meilleure décision thérapeutique pour son patient ?
En recourant, par exemple, à lanalyse décisionnelle, méthode
permettant de comparer plusieurs options par le biais de calculs
plus ou moins savants. Si cette technique nest pas réservée
au seul domaine médical, elle peut apporter une aide précieuse au
professionnel de santé, souvent confronté à des dilemmes thérapeutiques.
Aux
Etats-Unis, cette méthode connaît un succès croissant dû à lessor
du managed
care. Une revue intitulée Medical
Decision Making, est dailleurs exclusivement consacrée
à lanalyse décisionnelle médicale.
Les
premiers travaux concernant laide à la décision médicale,
alors essentiellement voués à laide au diagnostic, se sont
développés pendant les années soixante-dix parallèlement à lavènement
de linformatique dans le secteur médical. Désormais, la complexité
croissante de lacte médical, la multiplication des sources
dinformation et les impératifs liés à la rationalisation des
soins sont autant de facteurs contribuant à étendre le champ dapplication
de lanalyse décisionnelle à la médecine.
Les outils
Larbre de décision
est une technique décisionnelle fréquemment employée pour rechercher
la meilleure stratégie thérapeutique.
Lors de sa construction,
le praticien est amené à décomposer un problème en une série dévénements.
Il existe souvent une probabilité pour que tel ou tel événement
survienne ou ne survienne pas. Ainsi, un traitement peut marcher
ou peut ne pas marcher. Ou bien, il " fonctionnera "
selon une certaine probabilité. Cela se traduit par un nud
aléatoire dans un arbre de décision. Dautres nuds représentent,
en revanche, un choix du praticien : ce sont des nuds
de décision. En cas de traitement anti-cancéreux dont le protocole
est complexe, larbre de décision peut présenter un grand nombre
de nuds de probabilité et de décision. Les nuds de décision
peuvent faire référence au type de questions suivant : " Dois-je
utiliser cette combinaison thérapeutique ? ", " Dois-je
la prescrire durant trois jours ? " ou " Dois-je
la prescrire pendant cinq jours ? ", etc.
Après avoir élaboré
un arbre de décision, le praticien peut mener une analyse de sensibilité.
Schématiquement, il sagit de faire varier (dans des limites
plausibles) le poids dun ou de plusieurs outcomes et (ou)
la probabilité dun ou plusieurs des événements aléatoires.
Souvent traduit par " résultat " en français,
le terme outcome recouvre cependant une réalité bien plus large
puisquil concerne les résultats dun traitement, tant
en termes qualitatifs que quantitatifs, la mesure des outcomes consistant
à évaluer lefficacité du traitement ainsi que la satisfaction
du patient.
Le professionnel de
santé peut choisir au sein dune gamme importante de logiciels
loutil qui laidera à prendre la décision la plus judicieuse.
Si certains programmes ont été conçus pour le domaine de la santé,
dautres logiciels ont une vocation plus générale.
DataTreeAge,
par exemple, conçoit des logiciels daide à la décision dans
le domaine de la santé : DATA permet de modéliser des protocoles
thérapeutiques, des programmes de vaccination, des examens diagnostiques
et danalyser des décisions complexes à partir de critères
uniques ou multiples. Decision
Programming Language/Applied Decision Analysis est un logiciel
qui propose plusieurs fonctionnalités : élaboration de diagrammes
dinfluence (diagramme montrant la relation entre la décision
et des variables aléatoires) et darbres de décision, emploi
dalgorithmes et production de graphiques.
Une liste
de prix et dadresses est disponible sur le site Decision
Analysis Society, hébergé sur le site de l'université de Pittsburgh.
Marek J. Druzdzel propose
également un descriptif de plusieurs logiciels danalyse décisionnelle.
Il analyse de façon concise les avantages et faiblesses de plusieurs
produits à partir de notes rédigées pour son cours sur lanalyse
décisionnelle et les systèmes daide à la décision.
De multiples facettes
Lanalyse décisionnelle
ne se limite cependant pas à la seule construction darbres
de décision. Elle recouvre à des degrés divers plusieurs autres
concepts et techniques censés aider le praticien à faire le meilleur
choix : aide au diagnostic, aide à la prescription, plus largement
aide à la pratique, médecine fondée sur les preuves, traduction
littérale dun concept en plein essor aux Etats-Unis (evidence-based
medicine), formation médicale continue, etc.
La littérature fournit
de nombreux exemples daide informatisée au diagnostic médical.
Les premiers systèmes utilisaient une approche statistique. Les
premiers systèmes experts, MYCIN, INTERNIST ou CASNET, proposaient
une aide au diagnostic ou à la thérapeutique à partir dune
situation initiale figée. La demande évolue désormais en faveur
des systèmes daide au suivi de patients. Comme lexpliquent
Vincent Morice et Brigitte Séroussi dans un article
décrivant le système daide au suivi baptisé SEPIA : "
comme
les systèmes experts classiques, ces (
) systèmes permettent
de synthétiser les informations caractérisant un patient donné,
à partir de la masse de résultats dexamens qui arrive des
différents laboratoires ; en ce sens, ces systèmes se comportent
comme de " super internes " qui filtrent la
batterie de données, afin de ne sélectionner que les informations
pertinentes pour le raisonnement de lexpert. De plus sur la
base de ces informations, du fait de la mémorisation des différentes
évolutions de létat des patient, et de la compréhension des
processus qui les sous-tendent, ces systèmes, en intégrant la dimension
temporelle, assurent une gestion optimale des demandes dexamens
complémentaires, des traitements et des surveillances qui leur sont
associées, sur des périodes de temps correspondant aux durées dhospitalisation :
ils permettent ainsi un suivi rationalisé des patients. ".
En France, laide
informatisée au diagnostic médical (ADM)
est apparue à lUniversité
de médecine de Rennes il y quinze ans avec le premier projet
télématique destiné aux médecins équipés dun Minitel. Le cur
du projet, une base de données couvrant toutes les spécialités médicales,
est désormais accessible par le biais dInternet. Les praticiens
disposent dun accès complet à la base contrairement aux non
professionnels qui doivent se contenter dun accès restreint.
La description dune maladie renvoie le praticien vers dautres
documents par le jeu de liens hypertexte : bibliographie, cas
cliniques, fichiers son ou image (icônothèque), etc. Un nouveau
système dindexation permet de consulter plusieurs bases dinformations
et de connaissance, y compris des manuels et des cas cliniques accompagnés
dimagerie médicale et dinterprétations diagnostiques.
Laide à la prescription
assiste également le praticien de santé dans son choix thérapeutique.
La plupart des logiciels
disponibles sur le marché permettent de sinformer sur lévolution
des techniques, les réglementations nationales et les nouveaux produits.
Le praticien peut également prescrire les meilleurs traitements
au moindre coût en consultant des listes de médicaments recommandés
en fonction de leur prix et de leurs avantages thérapeutiques (optimisation
économique de lordonnance). Il peut prendre rapidement connaissance
des effets secondaires, des éventuelles interactions médicamenteuses
ou contre-indications. La plupart de ces logiciels émettent une
alarme en cas derreurs de posologie, dinteraction médicamenteuse,
etc.
Levidence-based
medicine ou médecine fondée sur les preuves peut être définie
comme " lutilisation des données scientifiques les
plus solides issues de la recherche médicale dans la prise en charge
des patients ". Cette " discipline "
connaît un essor important dans les pays anglo-saxons. Des centres
spécialisés ont été créés au Royaume-Uni dans différents domaines
médicaux : pédiatrie, chirurgie, pharmacothérapie, soins dentaires
ou infirmiers, etc. La Cochrane
Collaboration (réseau international dont le but est de recueillir
des données issues dessais cliniques menés dans le monde)
et le York Center for Review and Collaboration de York passent régulièrement
en revue les effets des divers soins médicaux. Les preuves scientifiques
proviennent généralement dessais randomisés contrôlés ou,
à défaut, de méta-analyses (études combinant les résultats de plusieurs
autres études). La démarche du praticien comprend les quatre étapes
suivantes : formulation dune question clinique claire
et précise à partir du problème médical posé par le patient ;
recherche dans la littérature des articles cliniques pertinents ;
évaluation critique de la validité et de lutilité de lintervention
médicale envisagée ; application des résultats de cette évaluation
à la situation clinique. Bien entendu, toutes ses étapes sont automatisées
par le biais de logiciels. Plusieurs critiques ont été formulées
à légard de la médecine fondée sur les preuves. La revue française
Analyse Décisionnelle, dans son numéro du 29 octobre 1997, en relève
quatre : " non-représentativité des patients sélectionnés
dans ces essais contrôlés, nombre limité de comparaisons, thérapeutiques
par exemple, durée réduite du suivi et incapacité de prendre en
compte de façon cumulative la somme des complications des maladies
et des effets secondaires du traitement. ".
La formation médicale
continue constitue souvent lun des objectifs implicites de
lanalyse décisionnelle. Les concepteurs de logiciels daide
à la décision (diagnostic, prescription, etc.) assignent généralement
un tel objectif à leurs produits. Ainsi, léquipe du projet
MEDAS
(système danalyse du risque thérapeutique) explique quil
sagit, entre autres choses, de proposer un outil de formation
informatisé.
Pour conclure, rappelons,
à linstar de Karen
Rascati de lUniversité du Texas dans son article intitulé
Practical
Aspects of Using Personal Computers For Decision Analytic Modeling ,
que lanalyse décisionnelle est un outil analytique qui ne
doit en aucun cas fonder à lui seul la décision, car le praticien
ne peut ignorer des données " intangibles et non mesurables "
telles que la douleur et la gêne provoquées par le traitement ou
lintervention.
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