Octobre
2000
Dr
Doubovetzky
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Les
professionnels de santé ont dans lensemble
plutôt bien réagi. Ma démarche qualité ne les a
apparemment pas choqués. |
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Propos recueillis par
Corinne
Radal
21
septembre 2000
Le
Dr Jean Doubovetzky, médecin généraliste à Albi, est chef de rubrique
à la revue Prescrire et chargé de projet à l'ANAES.
Il a également été rédacteur en chef du site e-sante.net, magazine
en ligne dAzur Assurances et de la Strasbourgeoise. Dans son
livre,Comment
choisir son médecin, publié en mars 2000, il propose aux
patients des outils pour évaluer et choisir un médecin, le tout
sous forme de grilles dévaluation.
Comment vous est venue lidée
de ce livre ? Votre titre est assez accrocheur, est-ce une
intention délibérée de votre part où lidée vient-elle de votre
éditeur ?
Ce
livre est en fait dérivé dun projet né en 1994 : la création
dune société de médecins orientée vers la recherche de la
qualité, un peu à limage de ce que fait le Collège
des Hautes Etudes en Médecine Générale de Bretagne dans le domaine
de la formation. Lidée était de créer une société qui réfléchirait
à lélaboration de critères de qualité, et qui les mettrait
en uvre dans la pratique. Pour y entrer, il faudrait satisfaire
à un nombre minimum de critères, et sengager à améliorer sa
qualité chaque année. A ma surprise, le concept na séduit
que peu de monde, et il a été abandonné.
Fin 1998, la question de la qualité des soins en libéral est devenue
dactualité, et jai senti que cétait le moment
de reprendre mon projet, notamment pour promouvoir lidée que
les patients avaient un rôle à jouer dans lévaluation de la
qualité. Doù mon livre pour promouvoir lidée que les
patients avaient un rôle à jouer dans lévaluation de la qualité.
Cest
bien moi qui suis à lorigine du titre du livre (excepté pour
le point dinterrogation), cest ce qui me semblait le
mieux correspondre au contenu. Le bandeau « Etes-vous sûr davoir
un bon médecin ? » est en revanche une idée de mon éditeur,
et je ny souscris pas totalement (et encore, cest déjà
un compromis par rapport à ce qui avait été pensé à lorigine !).
Comment
avez-vous élaboré vos grilles dévaluation ?
Mon
projet de société de médecins a été loccasion dune importante
réflexion sur la qualité des soins en libéral, et jai continué
à alimenter cette réflexion et à constituer une bibliographie au
cours des années suivantes, notamment lors de lélaboration
de mes revues de presse pour la revue Prescrire. Jai ensuite
construit mes grilles en faisant la synthèse de tous les éléments
collectés.
En
ce qui concerne les points attribués à chaque critère, ils comportent
bien entendu une part darbitraire et nont été validés
que par la bibliographie et le comité de lecture (professionnels
de santé ou non, qui ont eux-mêmes testé les grilles).
Combien de lecteurs ont acheté votre livre ?
Je
ne connais pas le chiffre exact. Tout ce que je peux vous dire,
cest que le livre a été tiré à 7000 exemplaires et quil
est question de faire un retirage.
Comment le livre a-t-il été accueilli à
sa sortie ? Quelles ont été les réactions du public ?
des professionnels de santé ? de vos collègues de lANAES ?
Le
livre a été accueilli dune manière qui ma beaucoup surpris.
Je mattendais en effet à déclencher des vagues de protestations
assez sévères chez les professionnels de santé, et à susciter un
certain intérêt auprès de la presse grand public, voire à déclencher
des polémiques (journalistes prenant le parti des patients pour
exiger la qualité).
En
fait, les professionnels de santé ont dans lensemble plutôt
bien réagi, jai eu pas mal déchos positifs de médecins
(par mail et par courrier) et de la presse professionnelle. Ma démarche
qualité ne les a apparemment pas choqués.
La
réaction de la presse grand public a été lente, mais elle dure et
je suis encore assez sollicité ces jours-ci.
En
ce qui concerne le public, je nai pas eu beaucoup de retours :
quelques lettres gentilles, pas dattaques. Certains de mes
patients mont parlé du livre, en me faisant parfois malicieusement
remarquer que je ne remplissais pas certains de mes critères de
qualité ! Cest bien normal, le cabinet parfait nexiste
pas !
Mes
collègues de lANAES ont
quant à eux été surpris par la sortie du livre, car ils nétaient
pas au courant que je travaillais sur ce projet. Leurs réactions
ont été positives : bien que très impliqués dans lévaluation
médicale, ils navaient pas approfondi cette démarche du point
de vue des patients. Ils ont donc été intéressés par le livre, qui
leur a permis denvisager lévaluation sous un angle nouveau.
Avez-vous eu des retours de patients qui auraient utilisé les grilles
dévaluation ?
Non, mais jai en revanche été contacté par
des professionnels de santé travaillant pour le service de santé
andalous. Ils ont une démarche qualité un peu analogue à la mienne.
Ils ont comparé mes critères de qualité aux leurs, et ont testé
mes grilles entre eux. Ils mont ensuite rapporté avoir appris
des choses grâce à mon livre.
Les médecins paraissent fatigués dêtre toujours
désignés comme responsables de tout ce qui ne va pas dans le système
de santé français et vivent comme une agression lévaluation
individuelle obligatoire des pratiques. Votre livre ne va-t-il pas
les renforcer dans leur opinion ?
Cest un
peu ce que je craignais au début. Finalement, comme je vous le disais
tout à lheure, jai eu plus de réactions positives que
négatives de la part des médecins.
En incitant les patients à comparer les médecins entre eux, ne risque-t-on
pas justement de rentrer dans une logique consommateur-vendeur plutôt
que patient-médecin ?
Je
ne crois pas. Enfin je pense quà terme cette tendance va se
développer, mais sans atteindre les proportions que lon observe
aux Etats-Unis. Notre situation est très différente de celle des
Américains, nous avons en France une vraie tradition du médecin
de famille, et une relation de confiance au médecin de manière générale.
Les gens ont moins de raisons dêtre agressifs envers leurs
médecins. Mon livre a dailleurs intéressé lUnion
Fédérale des Consommateurs, mais dans lidée de faire avancer
les choses, pas comme un outil de délation ou dattaque.
De
plus, les conseils que je donne dans mon livre ne sappliquent
quau cas de figure où lon cherche un nouveau médecin,
ils sont là pour guider les patients dans cette démarche. Dans lhypothèse
où lon est suivi par un médecin depuis longtemps et quil
nous connaît bien, il ny a aucun intérêt à aller voir ailleurs
ou à en changer.
Que pensez-vous du Guide des Hôpitaux et des palmarès
publiés par Sciences et Avenir et le Figaro Magazine à partir des
bases PMSI ?
Je
trouve leur action très positive. Certes tout nest pas parfait,
les critiques méthodologiques qui leur ont été faites étaient justifiées
et les bases PMSI ne sont pas construites pour lévaluation,
mais il faut voir quavant eux rien navait encore été
fait dans ce domaine et quil fallait se lancer.
Que pensez-vous des évaluations des médecins par les patients faites
aux Etats-Unis et dont les résultats sont accessibles à tous sur
Internet, comme par exemple sur le site healthgrades.com
? [cliquez
ici pour lire notre étude de cas à ce sujet]
Je
pense quils sont le reflet dun besoin des patients.
Aux Etats-Unis, la qualité des soins est très variable, et en cela
le consumérisme en santé est utile. Cela a même été encouragé par
lAHQR
(Agency for Healthcare Research and Quality). De plus, les HMO se
servent des évaluations publiées sur Internet pour prouver la qualité
des couvertures sociales quelles proposent.
Néanmoins il faut voir que de nombreuses informations sont diffusées
à ce sujet aux Etats-Unis, avec plus ou moins de détails méthodologiques,
et que toutes les méthodologies ne sont pas standardisées, ce qui
rend parfois les conclusions difficiles.
Travaillez-vous actuellement à dautres projets ?
Oui,
je réfléchis tout dabord à une prochaine édition de mon livre,
qui intégrerais notamment tous les retours que jaurais eu
suite à cet ouvrage.
Jai
également un projet de site Internet, en collaboration avec Luc
Jacob-Duvernet. Nous travaillions tous les deux pour le site e-sante.net,
site dont nous étions à lorigine et qui était réalisé par
Azur Assurances et la Strasbourgeoise. Nous avons décidé de le quitter
lorsque ces sociétés ont décidé den reprendre la direction
éditoriale et rédactionnelle.
Nous
travaillons désormais sur un projet de site avec 2 orientations :
-
donner
des informations comparatives, notamment sur les médicaments,
dun point de vue consumériste,
-
offrir
des services au public, comme répondre de manière approfondie
à leurs questions, éventuellement contre paiement.
Tout
ce que je peux vous dire pour linstant est que nous sommes
en discussion avec nos partenaires financiers et que le site devrait
sortir début 2001.
Vous êtes informatisé. Que pensez-vous de lInternet médical
et particulièrement des portails santé grand public ?
Pour
linstant, le développement de lInternet médical me fait
penser à une ruée vers lor. Personne ne sait exactement où
est lor, ni même nest sûr quil y en a, mais limportant
est de poser des jalons, de délimiter son territoire.
Dailleurs,
entendre des patients dire « jai appris ça sur Internet »
est tout à fait exceptionnel. Il me semble que culturellement les
patients préfèrent parler de leurs problèmes à un médecin en qui
ils ont confiance plutôt que de manière anonyme sur Internet.
Pour
moi, Internet est essentiellement un projet industriel.
Enfin, quels sont vos sites favoris ?
Jutilise
beaucoup le site de lAHQR
(Agency for Healthcare Research and Quality) aux Etats-Unis, lanneau
CERES sur lEvidence Based Medicine et la base de données
Orphanet.
Sinon,
je surfe souvent sur les sites de lANAES
et de lAgence
du Médicament.
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21
septembre 2000
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