Pr
Jacques Marescaux
Chef
du service de chirurgie digestive et endocrinienne
CHU de Strasbourg
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La
chirurgie passe de l'ère industrielle à
l'ère de l'information.
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Propos
recueillis par Mathieu
Ozanam
pour 
8 mars
2002
Le
Pr Jacques Marescaux est chef du service de chirurgie digestive
et endocrinienne du CHU de Strasbourg et fondateur de l'Institut
européen de téléchirurgie (EITS). Le 7 septembre
dernier il a réalisé à New-York une première
mondiale en télé-chirurgie en opérant de la
vésicule biliaire une patiente qui se trouvait à Strasbourg.
Vous
avez déclaré que cette intervention chirurgicale réalisée
à 7000 km de distance représente la 3ème révolution
chirurgicale depuis 10 ans
La
première innovation en chirurgie viscérale et digestive
date de 1988 avec l'utilisation de la laparoscopie qui marque l'avènement
de la chirurgie mini-invasive. Cela consiste à pratiquer
une légère incision dans l'abdomen ou le thorax pour
introduire une mini-caméra et permet d'éviter une
ouverture, opération qui serait plus lourde. La seconde révolution
date de 1996 avec la chirurgie assistée par ordinateur. Les
gestes du médecin sont analysés puis transmis à
un télémanipulateur qui réalise l'intervention
chirurgicale. Outre l'introduction du concept de distanciation entre
le chirurgien et son patient, c'est un gain de précision
et de sûreté.
Enfin l'" opération Lindbergh ", appelée
ainsi en souvenir de la première traversée transatlantique
de l'aviateur, démontre la faisabilité d'un acte chirurgical
à distance, en toute sécurité.
Quels
étaient les obstacles à la mise en uvre de cette
téléchirurgie ?
Le
premier défi était technologique, il reposait sur
la nécessité d'assurer des liaisons à un très
haut débit. Les données devaient faire un aller-retour
de près de 15 000 km sans qu'il y ait un décalage
entre le geste effectué à New-York et sa reproduction
à Strasbourg. Un premier essai avait eu lieu en septembre
2000 entre Paris et Strasbourg sur un porc avec un délai
de transmission de 200 millisecondes, qui a été amené
à 150 millisecondes lors de " l'opération Lindbergh
".
Lorsque les délais encore importants de 600 millisecondes
pour les liaisons satellite auront été raccourcis,
de nouvelles applications pourront être envisagées
pour la chirurgie humanitaire, la chirurgie militaire ou les interventions
dans l'espace.
Cette
opération préfigure donc la chirurgie de demain ?
Pas
celle de demain, mais bien la médecine d'aujourd'hui ! La
chirurgie passe de l'ère industrielle à l'ère
de l'information. Ceux qui la refusent ne réussiront pas
à répondre à la demande de leurs patients et
se retrouveront isolés face à leurs confrères.
Nous devons balayer la notion d'individualisme qui reste attachées
à l'image du corps médical et accepter d'être
plus humbles. Les médecins ont commencé à partager
des images fixes, puis des images animées, nous allons à
présent vers le partage du geste, ce que l'on peut appeler
le télé-compagnonnage. A l'avenir les jeunes chirurgiens
pourront être assistés à distance sur leurs
premières opérations, gagnant en sûreté.
Quelle
sera l'importance des simulateurs virtuels dans la médecine
?
En
chirurgie hépatique, il est possible de reconstituer en 3
dimensions le foie d'un patient en moins de 5 minutes avant de l'opérer
à partir d'un scanner. On peut ainsi " naviguer "
dans les organes du patient. Ainsi, de la même façon
qu'un pilote d'avion prépare son plan de vol, les chirurgiens
pourront visualiser leur opération. Il reste cependant des
améliorations à apporter pour simuler des interventions
chirurgicales, il faudrait par exemple pouvoir représenter
les saignements de façon réaliste. Mais nous y arriverons
avec le temps. A terme la chirurgie à distance pourrait être
semi-automatisée voire automatisée.
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mars 2002
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