Patrice
Cristofini
Président de l'AFTIM
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La
santé au travail ne doit pas se limiter à
la visite médicale obligatoire et à
la déclaration d'aptitude.
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Propos
recueillis par Hervé
Nabarette
8 mars
2002
Le
Docteur Patrice Cristofini est le Président National de l'Association
Française des Techniciens et Ingénieurs de Sécurité
et des Médecins du Travail (AFTIM).
La
médecine du travail et le corps des médecins du travail
sont relativement mal connus. Pouvez-vous en dresser un panorama
: origine, textes juridiques, nombre de médecins et de salariés
concernés...
La
médecine du travail existe depuis la loi fondatrice d'octobre
1946. Cette loi énonce l'obligation pour tout employeur d'assurer
le suivi médical de ses salariés quel que soit le
secteur. Issue de la médecine légale, la médecine
du travail s'inscrit alors dans le cadre d'une logique de réparation
et d'indemnisation, même si elle doit faire de la prévention.
Aujourd'hui, 20 millions de salariés, fonction publique incluse,
sont suivis par la médecine du travail : 13 à 14 millions
de salariés du régime général, le reste
pour les régimes spécifiques (cheminots, mines...).
Ceci implique plus de 6000 médecins du travail.
L'exercice de la médecine du travail est régi par
le Code du Travail, le Code de la santé publique et le Code
de déontologie. Les clauses du Code du Travail proviennent
de la négociation entre partenaires sociaux. On peut dire
que depuis la loi de 1946, l'institution médecine du travail
est gérée de façon paritaire, mais sans intervention
des médecins du travail qui n'ont guère voix au chapitre.
La médecine du travail est aussi la seule discipline médicale
qui est sous la tutelle institutionnelle du Ministère du
Travail.
Quelle
est la place de la médecine du travail dans la santé
publique?
Unique.
Il n'existe pas d'offre structurée et performante en santé
publique : la médecine militaire est sur le déclin,
la médecine scolaire est naissante, reste la médecine
du travail.
La médecine du travail (appelée de plus en plus "santé
au travail" sous l'influences des textes européens)
travaille selon trois axes :
- visites,
dépistage, orientation,
- déclaration
d'aptitude pour le poste de travail qui a valeur médico
légale
- action sur
le milieu de travail ("tiers temps") qui permet d'étudier
les conditions de travail, en partenariat avec d'autres acteurs.
Aujourd'hui,
la tertiarisation du monde du travail fait apparaître de nouveaux
risques pour lesquels la médecine du travail est en première
ligne : stress, harcèlement moral, troubles musculo-squelettiques...
pour ne citer que les principaux.
On
parle de pénurie, combien manque-t-il de médecins
du travail?
Le
déficit est de 500/600 médecins équivalents
temps plein, à législation constante. Depuis la réforme
de l'internat en 1984/1985, les internes qui s'orientent vers la
médecine du travail ne sont pas assez nombreux. Le vieillissement
de la population des médecins du travail fait entrevoir une
forte pénurie vers 2010.
Ceci
a d'ailleurs amené les pouvoirs publics à revoir les
filières d'accès aux métiers : en plus du Diplôme
d'Etude Spécialisé en médecine du travail,
et du Certificat d'étude spécial, des équivalences
sont reconnues, qui peuvent même autoriser les médecins
généralistes (d'après la récente loi
de modernisation sociale), après une formation organisée
par l'employeur, à devenir médecins du travail. Par
cette mesure, les pouvoirs publics ont eu pour objectif de combler
le déficit, alors qu'il aurait fallu redéfinir au
préalable le métier et le contenu de la formation,
ce que les salariés attendent du médecin du travail,
et ce que recouvre la "santé au travail". La refondation
nécessaire n'a pas encore eu lieu, c'est ce que nous critiquons
à l'AFTIM.
Qu'est-ce
qui ne fonctionne pas bien aujourd'hui dans la médecine du
travail?
L'objectif
de santé au travail ne peut être atteint dans les conditions
actuelles. On peut opposer une conception francophone de la médecine
du travail (visite médicale obligatoire, certificat d'aptitude,
optique de prévention secondaire), à une conception
anglo-saxonne (médecine du travail non obligatoire, pas de
détermination d'aptitude, action sur les risques à
la source, optique de prévention primaire dans un contexte
pluridisciplinaire). La conception anglo-saxonne à aussi
des inconvénients : l'inégalité, tous les salariés
ne bénéficiant pas de la couverture médecine
du travail.
Mais notre système sacrifie le tiers temps et le conseil.
Il tourne trop autour de la visite obligatoire et du certificat
d'aptitude. La fiche d'aptitude est certes utile pour l'employeur,
mais son fondement est souvent fragile : les situations personnelles
et professionnelles évoluent rapidement, les gens ne révèlent
pas tous leurs problèmes... Quant à la visite obligatoire,
elle n'est pas nécessaire pour tous. Quel métier faut-il
développer? L'abattage de visites et les déclarations
d'aptitude à la chaîne ou l'expertise sur la santé
au travail? Les médecins du travail devraient pouvoir mieux
appréhender l'environnement de travail et les nouveaux risques.
Cela est très exigeant, car on peut considérer qu'il
y a autant de spécialités que de branches professionnelles.
A titre d'exemple, les médecins du travail ne sont pas toujours
au courant des nouveaux procédés industriels qu'ils
sont censés connaître pour bien suivre les salariés.
L'inadéquation aux besoins est flagrante quand on considère
la directive européenne du 12 juin 1989 qui stipule que l'employeur
doit désigner un ou plusieurs salariés pour s'occuper
des activités de protection et de prévention des risques
professionnels de l'entreprise. En France, ces " services de
protection et de prévention " sont confiés statutairement
(Code du Travail) au seul médecin du travail. La directive
n'est donc pas appliquée. Les pouvoirs publics travaillent
sur cette question, mais la réforme attendue ne vient toujours
pas. Il faut certainement compter sur les associations de patients
" salariés " pour faire évoluer les choses,
comme dans les autres domaines de la santé.
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