Le
plan Aubry pour la médecine de ville
23
novembre 1998
Claude
MALHURET
La
plupart des commentaires relatifs à la loi de financement de la
Sécurité Sociale actuellement examinée par le Parlement ont porté,
sans surprise, sur l'équilibre des comptes. Mais ce débat a masqué
une nouvelle importante : plusieurs articles du projet de loi montrent
que le gouvernement Jospin, après s'être accordé le temps de la
réflexion, a désormais fixé son cap quant à l'organisation de la
médecine de ville. Les filières et réseaux de soins, ainsi que l'évaluation
vont y prendre de plus en plus d'importance.
Filières
et réseaux
La
méthode Aubry peut, dans ce domaine, être considérée comme l'exact
inverse de la méthode Juppé. Celui-ci avait donné un maximum de
solennité à l'annonce de mesures qui se bornaient pourtant à des
expérimentations (les "réseaux Soubie"). L'actuelle Ministre
de la Sécurité Sociale se donne les moyens législatifs d'inscrire
fortement filières et réseaux dans le paysage du système de soins,
mais le fait par touches successives et sans effet d'annonce.
Trois
étapes vont se succéder en quelques semaines :
La
première fait l'objet de plusieurs articles du projet
de loi de financement de la Sécurité sociale. Adopté en première
lecture par l'Assemblée, il est actuellement discuté au Sénat. Ce
projet instaure notamment :
L'existence réglementaire, et non plus dérogatoire, des filières
et réseaux de soins, en énonçant "les conditions particulières
d'exercice propre à favoriser la coordination des soins par un
médecin généraliste choisi par le patient" (filières) et
"les conditions particulières d'exercice permettant la prise
en charge globale de patients dans le cadre de réseaux de soins"
(réseaux).
La mise en place de modes de rémunération des médecins libéraux
autres que le paiement à l'acte. C'est un véritable tabou qui
vient d'être levé sans provoquer de réaction particulière. Pourtant
la quasi-totalité de l'activité médicale est concernée, puisqu'il
s'agit des "modes de rémunération, autres que le paiement
à l'acte, des activités de soins ainsi que les modes de rémunération
des activités non curatives des médecins, et notamment de prévention,
d'éducation pour la santé, de formation, d'évaluation, d'études
de santé publique, de veille sanitaire, prévus par des contrats
passés entre les médecins et les organismes d'assurance-maladie".
L'extension à tous les réseaux de soins des possibilités de dérogations
tarifaires jusque là réservées aux expérimentations validées par
la Commission "Soubie". L'annonce de ces expérimentations
dans les ordonnances Juppé avait suscité de nombreuses candidatures,
puisque des dizaines de dossiers de filières et réseaux ont été
déposés depuis plus d'un an auprès de la commission. Mais les
résultats n'ont pas été à la hauteur des espérances : un an après
sa mise en place, le comité "Soubie" n'a examiné que
quelques dossiers et le nombre de ceux qu'il a validé se compte
sur les doigts de la main. Quant à l'agrément ministériel, il
n'a été donné à notre connaissance qu'à un seul projet. Par cet
alinea sybillin de l'article 17 ("Pour la mise en uvre
des 12° et 13°, il peut être fait application des dérogations
mentionnées au II de l'article L.162-31-1."), le texte de
loi semble bien retirer à la commission Soubie l'essentiel de
ses prérogatives en permettant à tout projet de réseaux de bénéficier
des privilèges jusqu'alors réservés à ceux retenus par la commission.
Enfin, le nerf de la guerre n'est pas oublié puisqu'il est créé
au sein de la CNAMTS un fonds d'aide à la qualité des soins de
ville. Le fonds finance "des actions concourant à l'amélioration
de la qualité et de la coordination des soins dispensés en ville,
par l'octroi d'aides à des professionnels de santé exerçant en
ville ou à des regroupements de ces mêmes professionnels, et le
cas échéant d'aides au développement de nouveaux modes d'exercice
et de réseaux de soins liant des professionnels de santé exerçant
en ville à des établissements de santé". Ce fonds est loin
d'être symbolique puisque son montant est fixé à 500 millions
de francs pour la seule année 1999.
La
deuxième étape sera celle du DMOS (chaque fin d'année un
texte fourre-tout appelé "Diverses mesures d'ordre social"
vient apporter aux codes de la Santé Publique et de la Sécurité
Sociale, dans un inventaire à la Prévert, toutes les modifications
souhaitées par le gouvernement qui n'ont pu être incluses dans des
lois thématiques). Le DMOS de la fin 98 sera particulièrement chargé,
et ne passera probablement pas devant l'Assemblée avant le mois
de Janvier 1999. Il contiendra notamment une série de mesures étendant
aux réseaux de ville l'ensemble des fonctionnalités actuellement
réservées par la loi aux réseaux d'établissements hospitaliers,
leur assurant ainsi un cadre juridique qui manque aujourd'hui et
réglant ainsi les épineux problèmes de responsabilité qui risquent
de se poser.
Enfin,
un ensemble de textes réglementaires paraîtra dans le courant de
l'année 1999 afin d'apporter aux initiateurs de réseaux tous les
outils qui leur faciliteront la tâche :
Une circulaire précisera le cahier des charges que doivent respecter
les réseaux prétendant à un financement de l'Etat. Ceci signifie
bien sûr qu'un tel financement sera mis en place.
Une autre circulaire sera consacrée au "Guide de développement
des réseaux". Elle s'inspirera des travaux que mène depuis
bientôt deux ans la Coordination nationale des réseaux de soins.
Celle-ci devrait en révéler la teneur lors de son prochain congrès
national qui se tiendra en Janvier prochain à Lyon.
Les 36 recommandations du groupe de travail sur les formations
validées et transprofessionnelles, précisant les modalités de
la formation continue dans le cadre de l'activité en réseau, donneront
également lieu à un texte réglementaire.
Enfin, un registre national des réseaux sera publié et mis à la
disposition du grand public.
L'évaluation
et la formation
Il
n'y aurait pas grand interèt à modifier l'organisation du système
de soins si l'on ne mettait en place les moyens de tester son efficacité.
Deux étapes sont prévues en ce sens :
La
première, contenue dans l'actuel projet de loi, concerne
l'évaluation des pratiques professionnelles. Tirant les enseignements
des difficultés du plan Juppé, le texte prévoit que l'évaluation
des médecins sera faite par leurs pairs (ou tout au moins que ceux-ci
y seront associés) et dissociée de toute procédure de sanction.
Ce sont les Unions professionnelles qui se voient chargées de la
tâche, en liaison avec l'ANAES (Agence nationale d'accréditation
et d'évaluation en santé) : "les unions des médecins exerçant
à titre libéral contribuent, en liaison avec l'ANAES, à l'information
des médecins libéraux sur les pratiques professionnelles individuelles
et collectives. Elles organisent des actions d'évaluation des pratiques
de ces médecins et contribuent à la diffusion des méthodes et référentiels
d'évaluation."
Une autre partie du texte de loi prévoit la création d'une commission
chargée de veiller à la fiabilité des données produites par les
organismes d'assurance maladie et d'améliorer le dispositif de collecte
et d'analyse de leurs informations.
Le gouvernement a par ailleurs chargé l'ANAES de publier dans les
meilleurs délais un guide de suivi et d'évaluation des réseaux de
santé.
La
deuxième étape concerne la formation continue. Conscient
du blocage complet de la situation depuis les ordonnances de 1996,
le gouvernement envisage désormais une réforme en profondeur de
la FMC qui devrait se traduire par un nouveau projet de loi au début
de l'année prochaine. Il distinguerait trois types de formation
:
La formation médicale continue, à contenu purement scientifique.
La formation professionnelle, axée sur les pratiques : informatique,
économie de santé
La formation à la vie conventionnelle, pour les médecins investis
dans les instances conventionnelles.
Chacune
de ces formations ferait l'objet d'un financement distinct et clairement
identifié.
Cette
panoplie de mesures, dont la liste n'est pas exhaustive, est largement
inspirée du rapport des groupes de travail mis en place au début
de 1998 et qui ont rendu leurs conclusions sous la forme du rapport
"Stasse" présenté le 15 Juin dernier. Malgré l'absence
(voulue ?) d'importants effets d'annonce, c'est donc bien d'un "plan
Aubry" pour la mèdecine de ville qu'il convient de parler.
Un plan décliné en de nombreuses pièces séparées mais qui montre
une réelle cohérence et un dessein précis : faire évoluer aussi
rapidement que possible la pratique médicale vers une organisation
basée sur la coopération. Coiffant le tout, le Réseau
Santé Social, ce gigantesque Intranet des professionnels de
santé, apportera aux praticiens et à tous les paramédicaux le système
d'information et de communication indispensable à un tel édifice.
Le
cadre est en place. La balle est maintenant dans le camp des professionnels
de santé. Car ce sont eux en définitive qui décideront d'utiliser
ou non les possibilités qui leur sont offertes. Si l'on en juge
par le nombre de réseaux recensés à ce jour par le Ministère de
la Santé (plus de 1200) le paysage des soins en France pourrait
bien évoluer plus rapidement qu'on ne le pensait jusqu'alors vers
une multiplication des structures de coopération. Ceci n'aurait
au demeurant rien que de logique : même s'ils restent des indépendants
dans l'âme, les professionnels de santé ont compris depuis déjà
longtemps que la somme des connaissances scientifiques actuelles
ne leur permet plus de rester isolés. Leur réaction face à ces nouveaux
outils montrera si leur conception du travail en commun correspond
à celle qui leur est proposée.
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