Janvier
2000
Jean
Parrot
Président de l'Ordre National
des Pharmaciens
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"Les
pharmaciens envisageront, sans aucun ostracisme, de prendre
en compte l'ordonnance électronique quand elle sera légalisée." |
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Avec
la participation de :
M. Christian
Blaesi, Président du Conseil central des pharmaciens d'officine
M. Jean-Luc
Audhoui, président du Conseil régional dIle-de-France
M. Jean-Louis
Craignou, directeur de la Communication au CNOP
M. Michel
Lang, vice-président du CNOP
11 janvier 2000
Les pharmacies électroniques connaissent
le succès aux Etats-Unis, et font leur apparition en Europe. Que
comptez-vous faire en France au sujet de ces nouvelles formes de
délivrance ?
Vous
dites : " les pharmacies électroniques connaissent
un succès aux États-Unis ". Elles existent. Une existence
qui amène d'ailleurs la Federal Drug Agency (FDA) à essayer de trouver
un moyen de réguler cette offre, afin d'offrir au " consommateur "
américain une certaine sécurité. Le contrôle social, via
les décideurs politiques, est assez efficace aux états-Unis.
Le
développement de ces pharmacies électroniques présente des risques
évidents pour la santé publique. Lexercice de la profession
pharmaceutique est réglementé dans tous les pays développés depuis
des siècles dans lintérêt des malades.
Cet
espoir de " déréglementation " offert
par internet à des " faiseurs de dollars "
nest pas à lévidence un " progrès "
sanitaire. D'ailleurs, des publications font état daccidents
thérapeutiques liés à ces délivrances nouvelles. Ce nest pas
parce que cest possible quil sagit dun progrès.
Les Américains aiment les apprentissages par les essais et les erreurs.
Notre culture européenne nous a appris que lon pouvait se
dispenser de quelques effets néfastes de la méthode, surtout quand
léchec de lessai est particulièrement prévisible.
Une
pharmacie électronique est apparue en Grande-Bretagne. Cette création
inquiète nos confrères doutre-Manche. Je rencontre mon homologue
en Grande-Bretagne, John Ferguson, fin janvier ; nous devons
évoquer ce problème ensemble. Jespère que nous pourrons y
apporter une proposition de solution commune.
Aujourdhui,
le " succès " réel des pharmacies en
ligne tient surtout au fait quelles permettent de contourner
les lois et les réglementations qui protègent les malades. Certains
promoteurs trouvent, dans les niches économiques offertes par des
trous ouverts par la technique nouvelle dans la réglementation en
vigueur, des possibilités de senrichir rapidement sans états
dâme.
Leur
succès nest probablement pas durable. Pendant quelques mois
ou quelques années, des malades insatisfaits ou des inconscients
qui espèrent des miracles vont enrichir des vendeurs dillusion.
Cétait
le cas en France entre les deux guerres. Il suffit de consulter
les publicités pharmaceutiques de lépoque. Largument
était le même, saffranchir des données objectives de la science
au nom du progrès scientifique.
En
France, aujourdhui, un certain nombre d'articles de loi disent
clairement que, dans lintérêt de la santé des malades et de
la santé publique, le commerce des médicaments ne peut être que
le fait de pharmaciens autorisés exerçant dans des officines autorisées
dont le fonctionnement est contrôlé par lInspection du ministère
de la Santé et qui doivent rendre compte de leurs agissements devant
les juridictions pénale, civile et disciplinaire. LOrdre constituant
cette dernière.
Je
sais que la presse spécialisée de linformatique, commentant
les exploits du Web, fait campagne sur le mode " valoriser
votre liberté ", en prétendant que la relation médecin-malade
via " le Net " peut être " renforcée "
en consultant des bases de données.
Cette
attitude " positive " permettrait un
dialogue " plus efficace ", une prescription
des médicaments " moins onéreux ", un
" meilleur suivi thérapeutique ", grâce
notamment aux questions que pourraient éventuellement poser quotidiennement
les malades à leurs médecins. Et quils pourraient mieux choisir
ces derniers en fonction de leurs capacités à répondre à leur e.mail
Quitte
à paraître " rétrograde ", " pas
dans le coup ", je reste persuadé quune bonne
prescription médicale nécessite une consultation physique et non
" virtuelle ".
Cela
ne signifie pas que la technique de correspondance normalisée en
HTLM entre professionnels de la santé nest pas un outil révolutionnaire.
Oui, cest fantastique. Les distances sont abolies et le temps
raccourci. Nous pouvons espérer des gains en gestion, en rigueur,
en savoirs partagés au bénéfice du malade.
Cela
suppose aussi une bonne discipline dans les méthodes de travail.
Ouvrir sa messagerie en arrivant le matin, par exemple. Mais je
ne suis pas inquiet, les bonnes pratiques professionnelles ou les
démarches qualité des professions concernées sauront intégrer ces
exigences.
Ces
procédures supposent aussi des sécurités. Chaque professionnel de
santé devra être assuré de la qualité de son interlocuteur. Quand
la signature électronique aura valeur légale, une ordonnance pourra
alors, effectivement, être transmise par voie électronique, du médecin
au pharmacien.
Mais
la transmission dinformations ne remplacera jamais la prise
dinformations.
Or,
ces prises dinformations pertinentes se réalisent lors dune
consultation faite chez un médecin ou au lit du malade, et la dispensation
pertinente des thérapeutiques, qui tient compte dinformations
très diverses voire inattendues recueillies par le pharmacien, se
fait à lofficine.
Tous
les cas, et notamment les plus invraisemblables, mais aussi les
plus utiles que jai rencontrés en trente ans de carrière,
ne peuvent être prévus systématiquement dans des programmes-guides
dentretien électroniques avec les malades. Je conseille à
tous ceux qui souhaitent imaginer linimaginable de passer
quelques jours avec moi derrière le comptoir dune officine
rurale.
Le
Web sera un nouveau lien de communication, mais il ne remplacera
pas ce que nos anciens appelait " la clinique ".
Le
Web ne peut pas non plus être utilisé comme un outil porteur d'un
commerce qui signifie partage de confiance.
Une
officine électronique ne peut-elle pas être considérée comme le
prolongement d'une officine de pharmacie ?
Au
plan du droit actuel, non. La création d'une pharmacie et son activité
sont liées à des critères précis : un nombre dhabitants
dans un bassin géographique de population. Lobjectif du législateur
français est une répartition harmonieuse des officines sur le territoire,
afin dassurer un service pharmaceutique de proximité.
Ce
mode de répartition s'avère inadapté pour le commerce électronique
qui abolit les distances. Le commerce électronique est incompatible
avec une vision du service de santé qui dit que tout malade, sur
tout le territoire de la République, même sans voiture, sans ordinateur,
doit pouvoir bénéficier dun service pharmaceutique de qualité
de proximité, 24 heures sur 24. Deux logiques saffrontent.
Le commerce électronique de médicaments
permettrait de diminuer notablement les coûts de distribution. Selon
vous, comment les pouvoirs publics et le monde officinal peuvent-ils
collaborer pour réduire le coût de la distribution pharmaceutique
sans affecter les conditions dexercice des pharmaciens ?
Vous
prétendez que le commerce électronique de médicaments, s'il existait,
permettrait peut-être de diminuer les coûts actuels de la distribution.
A qualité égale du service ? Où sont vos preuves ?
Il
n'est pas certain que l'économie globale qui résulterait dune
prise de commande sur le Web, pour une distribution à domicile,
dans un laps de temps de 24 heures, serait positive.
De
plus, si vous tenez compte de tous les effets pervers potentiellement
induits, comme une surconsommation inadéquate ou des délivrances
pas forcément justifiées par létat pathologique du malade,
les distributions pourraient aller au-delà des besoins réels et
créer des dépenses non seulement indues, mais aussi pourvoyeuses
de iatrogénies coûteuses.
Il
est aujourdhui impossible de réduire le coût de la dispensation
pharmaceutique sans affecter les conditions dexercice des
pharmaciens et les qualités de celle-ci. On peut abaisser le niveau
de qualité exigée par lopinion, la raison et se satisfaire
dun système plus " basique ". Cest
un choix dattribution de ressources. Les militaires connaissent
parfaitement léquation. Lorsque les ressources sont limitées :
" Où dois-je les affecter " sinterroge
le général. Nous ne sommes pas en situation de guerre. Aujourd'hui,
la question est : comment sont utilisées les ressources affectées
au diagnostic, à la prise en charge des malades chroniques, des
malades aigus, à la recherche de nouveaux médicaments qui remplaceront
efficacement et à moindre coût les thérapeutiques daujourdhui,
et à la bonne utilisation de ces nouveaux médicaments
?
Là
est lessentiel, le rendement de lallocation de ressources.
Si,
sous prétexte de lirruption dun nouveau média, on réduit
de moitié la dispensation pertinente et efficace des médicaments
en mettant un nouveau circuit en parallèle, automatiquement nous
assisterons à une destructuration des officines. Certaines officines
disparaîtront et peut-être, les plus " rentables "
en termes de santé publique.
Le
risque est de ne plus avoir de pharmacies de garde dans les campagnes.
Au législateur de faire les choix et dassumer. Il y a donc
un choix de société à faire. Si dans dix ans, le quota officiel
est d'une officine pour 10 000 habitants, les pharmaciens
sadapteront. Aux citoyens de choisir.
La néo-intermediation autour dinternet
se traduit par des transferts de revenus des acteurs traditionnels
vers les nouveaux opérateurs. Comment lorganiser ?
Quand
de nouveaux intervenants sur un marché prennent une partie de ce
marché, ils ne cherchent pas à " organiser ".
Ils prennent. A partir du moment où apparaît un nouvel opérateur
qui contourne le circuit existant, les cartes sont redistribuées.
Dans le cadre de la mutation que peut représenter une telle captation
de marché, ce qui existait est remplacé. Je remarque que les nouveaux
intervenants sont les serviteurs dun " nouveau
média " qui vendent, à perte, de laccès au Net ;
des panneaux indicateurs permettant daller chez eux pour être
vus et quils vendent parallèlement des panneaux publicitaires
dans leurs jardins électroniques payés par le crédit consenti par
la spéculation boursière.
Ces
nouveaux intervenants ne sont pas des professionnels de santé.
Que
les professionnels de santé souhaitent bénéficier des possibilités
offertes par ces nouvelles techniques de communication et sapproprier
des pouvoirs nouveaux est une chose. Confondre les deux ambitions
est une erreur.
Quels
moyens avons-nous d'éviter que "ça s'organise"
pour reprendre votre expression ?
Pour
l'instant, il existe une loi qui ne permet pas aux professionnels
de santé de "vendre" des ordonnances médicales
ou des conseils pharmaceutiques au mépris des intérêts supérieurs
des malades. Cest, de plus, leur honneur. Un honneur que lOrdre
est chargé de défendre.
Le
pharmacien est probablement le seul commerçant qui peut être amené
à refuser de vous vendre un produit que vous lui demandez, parce
que, d'un point de vue de sanitaire, vous ne présentez pas les conditions
requises pour l'obtenir.
Comment
"organiser" le transfert dun type de régulation
aussi sécuritaire, fondé sur une morale personnelle, sur un système
qui naccepte aucune "règle" tel que l'Internet ?
Pour éviter les abus, si les pharmaciens prenaient eux-mêmes
l'initiative de lancer les pharmacies électroniques dans la légalité,
ils pourraient garantir la sécurité des consommateurs et encadrer,
réglementer le commerce de médicament sur Internet tout en autorisant
la personnalisation.
Ce
nest pas le diplôme ou le titre de " pharmacien "
qui garantit la sécurité " des malades "
et non des " consommateurs ", mais les
règles déontologiques que les pharmaciens ont accepté de respecter
qui fondent la sécurité.
Ces
règles sont compatibles avec la création dadresses informatiques
professionnelles auxquelles les patients connus ou les correspondants
médicaux peuvent sadresser.
Ce
type de système existe déjà. Les ordonnances peuvent être faxées
au pharmacien en vue de leur préparation à lavance. Mais,
la dispensation se fait à la vue de lordonnance originale.
Quant
au portage des médicaments en réponse à ces sollicitations " électroniques "
parfaitement identifiées, il est réglementairement possible. Il
existe des systèmes de portage à domicile qui permettent d'éviter
le déplacement du patient.
La
vraie question qui intéresse mes confrères est donc : est-ce
que les officinaux ne peuvent pas envisager à terme que la relation
avec leurs clients se fasse par Internet ? Cela viendra probablement.
Internet remplacera le téléphone ou le fax, car la communication
sera moins onéreuse. Mais, fondamentalement, le seul changement
et il est dimportance sera que le
pharmacien aura lobligation de tenir un dossier patient sans
faille sur informatique. La qualité des soins y gagnera. LOrdre
prépare depuis longtemps cette transformation en assurant létude
et la promotion dun logiciel déchanges dinformations
avec les prescripteurs et les malades appelé " lOpinion
pharmaceutique ".
La mise en place du marché commun au niveau européen et la création
de la monnaie unique favorisent la transparence des prix et le commerce
transfrontalier. Comment le monde officinal peut-il bénéficier de
cette ouverture internationale ?
Le
" monde officinal " nest pas une
réalité. Il sagit de pharmaciens dofficine, individuellement
responsables de leurs actes, et qui ont la chance dafficher
un réseau homogène respectant les mêmes règles de qualité et dans
lequel chaque membre ne peut afficher " sa différence "
que par une adaptation fine aux demandes spécifiques de la population
quil sert.
Par
ailleurs, dans notre pays, l'économie du médicament est administré.
Au
niveau européen, lorganisation du système relève de chaque
pays. Cela sappelle la subsidiarité. Daucuns semblent
vouloir remettre en cause ce principe. Le débat est ouvert. Il faudra
évaluer les avantages et les inconvénients pour les acteurs du système
de santé, mais aussi pour les malades qui devront apprécier le degré
de confiance quils peuvent accorder aux soignants.
Un
système très " concurrentiel " pourrait
profiter à l'officine qui, en tant quacheteur, pourrait mettre
en concurrence les vendeurs. Restera dans ce cadre à mettre en place
des procédures qualité. Si les pharmaciens s'approvisionnaient sur
le marché asiatique, nigérian ou libanais, le prix serait sans doute
plus bas. Toute la chaîne de fabrication serait contournée, mais
avec quelle garantie de conformité du produit. Où serait " le
progrès " ? Le modèle existe en Afrique. Ces
pays nous demandent de les aider à rédiger des règles qui puissent
être respectées.
Suite
et fin (2/2)
11 janvier 2000
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