Le
patient, le médecin
et l'Internet
Mathieu
Ozanam
28 septembre
2000
Le
sexe ne fait plus recette sur le Net. Cest la conclusion dune
étude américaine de la Wharton School de lUniversité de Pennsylvanie,
qui constate que les internautes utiliseraient désormais davantage
Internet pour chercher des informations santé plutôt que pour aller
sur des sites pornographiques. (1)
Les premiers résultats
de létude menée par Sean Nicholson, professeur de santé publique
à luniversité de Wharton, montrent que plus des trois-quart
des personnes interrogées utilisent Internet pour chercher des informations
sur des maladies, la santé féminine, la nutrition, des conseils
minceur et des produits pharmaceutiques. Il est vrai que 95% dentre
elles sont libres daccès. Le commerce en ligne devrait aussi
décoller, plus dun quart des internautes ayant déclaré avoir
déjà acheté des produits, bien quil sagisse plus souvent
de vitamines ou de compléments nutritionnels que de médicaments
prescrits.
Le portrait robot dressé
révèle que le "cybercondriaque" moyen (lire
notre brève à ce sujet) est une femme, aux alentours de la cinquantaine,
ayant suivi des études supérieures, et
caucasienne (cest-à-dire
blanche en "politically correct" américain). La femme
peut donc jouer un rôle potentiel de prescriptrice dans les décisions
dordre médical, comme elle le fait dans la « vraie vie ».
Les personnes interrogées
sur leur motivation insistent sur la simplicité dutilisation
dInternet par rapport aux autres sources dinformation
de santé. Les sites sont plus souvent réactualisés, offrent une
plus grande disponibilité par rapport aux médecins généralistes
(selon lOCDE la durée de la consultation serait passée de
35 à 7 minutes ces dernières années, contre 15 en France) et lanonymat
est garanti. Près de la moitié des sujets ayant participé à létude
affirme faire confiance aux informations en ligne ou aux conseils
quils reçoivent en réponse à leurs questions.
Le flou demeure
Le pouvoir des patients
Largent, le nerf de la guerre
Internet gratuit
Le flou demeure
Il reste difficile aujourdhui dappréhender
quelles seront les implications dInternet sur les relations
patients-médecins. Les patients auront-ils un comportement de consommateurs
de soins plus actif, attentif aux dernières innovations médicales
ou aux traitements encore expérimentaux et non validés ? Se
montreront-ils plus exigeants vis-à-vis des professionnels de santé ?
Internet incite-t-il à consulter plus rapidement un médecin ou bien
les patients préféreront-ils se prendre en charge de façon indépendante ?
Lautomédication va-t-elle se généraliser
? Il est encore trop tôt pour le dire. Les évolutions seront progressives
et mériteront un suivi attentif. Il faudra par exemple attendre
quelques dizaines dannées pour savoir si les personnes qui
prennent en charge leur santé à laide dInternet sont
en meilleure santé que le reste de la population.
Cependant, les premiers changements de comportements
sont perceptibles lorsque les patients arrivent chez leurs médecins
armés de leurs informations recueillies sur Internet. Le Professeur
Nicholson se montre également curieux de connaître les évolutions
dordre sociologique. De quelle façon les internautes considéreront-ils
leurs médecins « Ce qui est intéressant, cest
le nombre de fois où le médecin se dévalorise aux yeux du patient
quand il lui semble que celui-ci nest pas à jour de ses connaissances ».
Il est aisé dimaginer quun tel sentiment entraînerait
un nomadisme de la part du patient, alors quil est possible
que le médecin ait réagi ainsi parce quil a jugé que linformation
trouvée nétait pas appropriée et non en raison dun a
priori défavorable à légard dInternet. Sean Nicholson
cite en effet un sondage selon lequel 15% des médecins incitent
leurs patients à aller sur Internet pour effectuer des recherches
sur telle ou telle affection.
Le pouvoir des patients
Selon les premiers éléments tirés de lenquête
de la Wharton School, certaines personnes interrogées pensent que
leur traitement a changé parce quils ont fait mention de leur
recours à Internet. Nicholson tempère : « Parfois cest
simplement parce que le patient a engagé la conversation avec le
médecin, attitude quil naurait pas eu sinon ».
La question de savoir si létat de santé de la population saméliore
ou non restera posée, tout du moins à court terme. Sean Nicholson
et son équipe ont pour projet de suivre 2000 personnes en leur
posant 12 questions sur leur santé basé sur le SF12, un outil
standard d'évaluation de santé. « Nous regarderons d'abord
si les gens qui utilisent l'Internet sont en meilleure santé ou
non que l'Américain moyen ».
Largent, le nerf de la guerre
LInternet médical ne pourra se développer
que sil est rentable, cest-à-dire sil fait gagner
du temps ou de largent au médecin. La télétransmission a,
par exemple, été partiellement prise en charge. Il faut envisager
de quelle façon un suivi par voie électronique peut être valorisé
financièrement. De la même façon, le cours des actions de certains
portails généralistes américains dégringole, ce qui signifie que
les analystes financiers demandent à être convaincu de la viabilité
de leur business model et de sa capacité à être rémunérateur. La
vente de vitamines et produits naturels en ligne ne suffit pas.
Outre les contraintes réglementaires, la vente de médicaments prescrits
ne sera possible aux Etats-Unis quà la condition que
les compagnies dassurance et les sites de santé américains
passent des accords. En leur absence, le malade en sera pour ses
frais, ce qui constitue un frein indéniable.
Internet gratuit
La participation de lindustrie pharmaceutique
est également indispensable aux portails santé. Sans largent
que procure leur publicité, cest la banqueroute. Au cours
de sa première année d'existence, Drkoop.com
a très précisément atteint le montant qu'il s'était fixé avec un
chiffre daffaires de 9,5 millions de dollars, à 80% généré
par les rentrées publicitaires. Ses mauvais résultats en termes
daudience lont conduit à renégocier à la baisse le prix
des espace vendus.
Johnson & Johnson pourrait montrer la voie.
En déclarant que 40% de son budget publicitaire serait consacré
à Internet, le laboratoire pharmaceutique crée un espoir. En effet,
si toute lindustrie pharmaceutique suivait lexemple,
les sommes dégagée seraient colossales et les internautes pourraient
continuer à s'informer gratuitement.
Et en France ? Si les patients témoignent
d'un intérêt très fort pour les portails en santé, il semble que
les médecins soient encore dans leur phase de découverte et comme
tout ce qui est nouveau, ils se montrent peu intéressés, voire méfiants.
Un sondage de la Sofres réalisé auprès de 200 médecins généralistes
en juillet 2000 (lire
notre brève du 26/07/2000 - Quatre médecins sur dix utilisent régulièrement
Internet) révèle quun tiers des médecins interrogés commencerait
à être confronté à des malades qui se sont informés préalablement
à leur visite par la lecture dun site de santé. Si 31% des
médecins interrogés jugent que le dialogue avec les patients en
sera amélioré, 42 % estiment au contraire que la relation sera altérée.
Et près de la moitié dentre eux craignent que les informations
soient mal interprétées.
(1) CNET News.com : On the
Net, RX-rated beats X-rated, 7 août 2000.
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