Mai
2000
Pr.
Bernard Glorion
Président du
Conseil National de l'Ordre des Médecins
|
|
"Je
ne vois aucun problème à ce quun patient demande
un second avis médical via Internet, mais on se
heurte toujours au même problème de la confidentialité
des informations, tant quil ny a pas
de solutions de cryptage et de codage." |
|
|
25 mai
2000
Quelles sont selon vous les plus importantes mutations que la médecine
va devoir vivre dans les prochaines années ?
Jen vois trois groupes : premièrement,
les mutations technologiques et scientifiques, notamment avec les
nouvelles technologies et lintroduction de linformatique
dans la médecine. Celles-ci ne portent pas dailleurs uniquement
sur la transmission des données mais concernent également la chirurgie
assistée par ordinateur, la robotique, la télémédecine, cest-à-dire
la lecture de documents à distance avec prise de décision. Linformatique
et, bien entendu, Internet vont jouer un rôle considérable. Je ne
dirai pas quils vont modifier la relation médecin/malade,
car je ne le souhaite pas. Je souhaite quon la préserve, mais
il est sûr que Internet et linformatique en général vont ravir
au dialogue médecin-malade une partie de sa portée.
Deuxièmement, les mutations économiques. Je pense
que la médecine coûtera de plus en plus cher. Comment la financer ?
On ne peut pas imaginer quil y ait une régression dans laccès
aux soins ou dans leur distribution, ce qui serait contraire au
progrès, mais il est sûr que cette question va nécessiter une analyse
très fine de la façon dont les ressources économiques devront être
utilisées.
Troisièmement, des enjeux nouveaux apparaissent,
qui sont dailleurs fonction des progrès scientifiques dans
des domaines comme la génétique. Est-ce que le médecin va sapproprier
la possibilité de modifier le patrimoine génétique de son patient
(lhomme changé par lhomme), ce qui aboutirait à des
utilisations perverses du progrès ? Il faut mener une réflexion
éthique permanente face au développement du progrès, particulièrement
dans le domaine de la génétique.
Estimez-vous que cette réflexion nest pas assez menée ?
Je nai pas dit cela. Il y a un Comité National
dEthique des Sciences de la Santé et de la Vie qui a un rôle
consultatif, donc un rôle de réflexion. De plus, le législateur
sest prononcé sur cette question en 1999 avec les Lois de
bioéthique. La vigilance des uns et des autres sera toutefois nécessaire.
Le pouvoir politique doit maîtriser la situation de façon à protéger
les citoyens.
Vous prônez dans votre livre une réforme du Conseil de lOrdre.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Il faut partir du constat suivant : le Conseil
de lOrdre a été créé par le législateur par une ordonnance
de 1945. Depuis la médecine a beaucoup évolué. Les missions confiées
à lOrdre par cette ordonnance, pour ce qui concerne sa participation
à lorganisation de la profession et de lexercice médical,
doivent elles aussi évoluer. La structure du Conseil de lOrdre,
centralisée avec le Conseil national et décentralisée avec les départements,
correspond à lorganisation administrative de la France en
1945. Maintenant, la France est régionalisée. Il faut donc un niveau
administratif régional. Il faut également rendre les structures
juridictionnelles plus transparentes, en modifiant les modes délection.
Le Conseil, qui garantit déjà la qualité morale des médecins, doit
aussi pouvoir garantir leurs compétences. Certes, il existe des
organismes dévaluation, mais il faut que lOrdre puisse
garantir que les médecins satisfont ces exigences. Il est indispensable
que les praticiens participent à lévaluation des pratiques.
Le dernier Code de Déontologie y fait dailleurs référence.
Il faut une évaluation collective (pour une spécialité, par exemple)
et une évaluation individuelle, à laquelle doivent se soumettre
les médecins, dans leur intérêt, mais surtout dans lintérêt
des malades et de la société.
Revenons aux nouvelles technologies. Utilisez-vous régulièrement
Internet ? Si oui, que pensez-vous de lInternet médical
francophone ?
Jai appris à me servir dInternet. Je
sais utiliser un moteur de recherche pour rechercher des informations
ô combien intéressantes et nombreuses. Cest indéniablement
un progrès, notamment pour les banques de données ou la recherche
bibliographique.
Ce qui pose problème, je nai pas dit ce qui
est discutable, cest lutilisation dInternet comme
intermédiaire entre un médecin et un patient, cest-à-dire
la mise en ligne dun dossier médical pour obtenir une réponse.
Je parle ici de linternaute lambda qui mettrait en ligne ses
informations personnelles. Ca lui est peut-être égal de dire quil
est porteur de telle ou telle maladie, mais il oublie que son assureur
est, lui, très intéressé par ce type dinformations.
A linverse, il est formidable quun
médecin puisse anonymiser un dossier pour demander un avis à un
confrère via Internet et obtenir une réponse presque immédiatement.
Que pensez-vous plus précisément du deuxième avis sur Internet ?
Cest une forme moderne de ce que lon
voit depuis longtemps en consultation. Il est assez fréquent quun
médecin demande des conseils à un confrère ou quun patient
consulte un autre médecin pour obtenir la confirmation dun
diagnostic.
Je ne vois aucun problème à ce quon le demande
via Internet, mais on se heurte toujours au même problème de la
confidentialité des informations, tant quil ny a pas
de solutions de cryptage et de codage. Jusquà preuve du contraire,
je nai pas eu le sentiment quon avait résolu complètement
le problème de lanonymisation.
Ce problème sera bientôt réglé.
Tant mieux. Ensuite, les médecins devront shabituer
à travailler de cette manière. Cest une autre culture de la
pratique médicale.
Suite
et fin (2/2)
25 mai 2000
|