Jean
de KERVASDOUE
La santé intouchable
L'ASSURANCE
COMPLEMENTAIRE :
LE PIEGE ET COMMENT EN SORTIR ?
(
Chapitre 3 )
Le marché
de l'assurance complémentaire s'est fortement accru au cours de
ces dix dernières années. Il a accompagné le déremboursement progressif
des dépenses de santé. L'effet a été mécanique du fait de la part
croissante du ticket modérateur laissée à la charge des ménages
mais aussi des dépassements des médecins du secteur 2 et des chirurgiens
dentistes qui ont plus rapidement crû que n'a augmenté le ticket
modérateur.
Le développement
rapide du marché de l'assurance complémentaire l'a été moins pour
les mutuelles que pour les compagnies d'assurance. Il passe entre
1980 et 1993 de 5% à 6,3% des dépenses de santé et, durant la même
période, pour les compagnies d'assurance de 1,5% à 3,6%. Cependant
ce marché n'est pas saturé puisqu'il ne couvre que 10% des dépenses
de santé quand 17% restent à la charge directe des ménages. 73%
sont remboursés aujourd'hui par l'assurance maladie, c'était 79%
en 1980.
Ce dernier
chiffre décroît régulièrement depuis quinze ans. Le phénomène cache
cependant deux effets qu'il est important de distinguer. Le premier
est un meilleur taux de remboursement des dépenses hospitalières
89,7% en 1993, le second est par contre une détérioration très sensible
du remboursement des soins de ville (57% en 1993), des médicaments
et plus particulièrement des prothèses dentaires.
Le nombre
de séances annuelles chez le dentiste par habitant a d'ailleurs
baissé de 1980 à 1990 passant de 1,4 à 1,2. La décroissance a été
très forte chez nos concitoyens des milieux les plus défavorisés,
alors qu'une croissance continue a été constatée pour ceux des milieux
les plus favorisés.
Le marché
de l'assurance complémentaire regroupe deux types d'acteurs : la
Mutualité d'une part et les compagnies d'assurance d'autre part.
S'ils sont concurrents, notamment pour les contrats groupes, de
nombreuses différences les distinguent.
Leur part
de marché : celle de la Mutualité est proche du double de celle
des compagnies d'assurance.
Le droit
auquel ils sont soumis : le Code de la mutualité est distinct de
celui des compagnies d'assurance, même si les directives européennes
et leurs traduction Françaises les font converger. Leur position
institutionnelle est par ailleurs différente : les mutuelles siègent
aux Conseils d'administration des caisses d'assurance maladie et
pour les mutuelles de fonctionnaires, gèrent par délégation les
remboursements du régime obligatoire.
Leur philosophie
à l'égard de la prise en charge des dépassements : la mutualité
a pour principe de ne rembourser que le ticket modérateur opposable
et de ne pas solvabiliser les dépassements. Si ce principe dans
la réalité souffre quelques exceptions, sa défense est apparemment
paradoxale puisqu'elle limite non seulement le marché des mutuelles
mais aussi leurs capacités de négociation (en solvabilisant un dépassement
la mutualité aurait pu négocier avec les professions de santé).
Ce principe a joué néanmoins un rôle certain dans la limitation
de l'effet de risque moral que nous analyserons plus tard.
Les compagnies
d'assurance par contre offrent à leur client toute la gamme de produits
depuis le remboursement du ticket modérateur jusqu'à des dépassements
substantiellement supérieurs à ceux des tarifs conventionnés, mais
certaines sur-tarification sont pratiquées pour les personnes à
risque, ce qui n'est pas le cas des mutuelles.
Malgré
leur importance financière les compagnies d'assurance ont été jusqu'à
une date récente, un nain politique subissant et s'adaptant aux
décisions gouvernementales qu'elles apprenaient le plus souvent
par la presse, même quand elles ont sur elles un fort impact direct.
Certes, quelques unes ont pris des positions idéologiques en défendant
la "santé libérale". Ceci a eu peu d'effet sur le fond
même si ces engagements leur ont commercialement réussi. Depuis
quelques mois les choses changent et la FFSA a pris notamment position
sur l'assurabilité du risque thérapeutique, sujet que nous ne ferons
qu'évoquer ici.
Apparemment
donc beaucoup de choses séparent mutuelles et compagnies d'assurance
: leur histoire, le marché, leur système de régulation juridique
et fiscal, leur position institutionnelle, leur fondement philosophique
mais un facteur important sinon essentiel, les réunit cependant
: l'assurabilité du risque maladie : leur marché. Ainsi, depuis
plusieurs mois les uns et les autres réfléchissent à l'évolution
du système de santé et à leur positionnement stratégique futur sachant
qu'elle est dans les deux cas fortement contrainte.
Il n'est
possible d'analyser le rôle et la fonction des assurances complémentaires
qu'à partir de deux points de vue l'un très universel qui consiste
à comprendre les particularités du marché de la santé et les difficultés
particulières que soulève l'assurabilité de ce risque, l'autre très
spécifique à la France qui décrit l'organisation et la gestion du
système du santé de notre pays. Ces deux points de vue permettent
de comprendre les dilemmes des différents acteurs et d'esquisser
quelques scénarios selon les décisions qui seront prises ou non
dans les années à venir.
LES
PARTICULARITES DE L'ASSURANCE SANTE
Nous reprenons
ici succinctement, en les adaptant, les excellentes réflexions de
Robert G. Evans qui a souligné les problèmes universels que pose
l'assurance santé qu'elle soit privée ou obligatoire. Il s'agit
d'assurance au premier franc. Ces réflexions s'appliquent néanmoins
aux assureurs complémentaires.
Economies d'échelle
Elles sont
considérables. Si la gestion administrative du risque coûte en France
à l'assurance maladie de l'ordre de 6% de l'ensemble du risque,
ce coût est de 2% au Canada et de 10 à 20% pour les assurances privées
Nord-américaines même avant l'instauration du "managed care".
En effet, outre les coûts purement administratifs de toute procédure
de remboursement, les assurances privées doivent déployer une force
commerciale ce qui n'est pas le cas des régimes uniques et obligatoires
comme au Canada ou, à peu de choses près, de la sécurité sociale
en France.
Comme il
n'est pas plus difficile de procéder au remboursement du principal
que du complément, ces coûts sont donc relativement encore plus
importants pour les assureurs complémentaires et ils le sont d'autant
plus que le marché est petit et les concurrents nombreux. Le pourcentage
des frais de gestion augmente enfin d'autant plus que les remboursements
hospitaliers qui représentent une masse importante sont plus faibles.
Il existe
en outre, des coûts cachés qui sont à la charge des établissements
de soins quand ils adressent en notre nom directement à l'assureur
complémentaire la facture de l'hôpital ou de la clinique. Ce coût
augmente à l'évidence avec la multiplicité des interlocuteurs.
Difficulté de rechercher l'origine du risque
Supposons
que la compagnie soit assureur d'une entreprise de travaux publics
et qu'au cours d'une visite on constate qu'un employé de quarante
ans, conducteur d'engin dans cette entreprise, est atteint d'une
bronchite chronique : cet employé rappelle à son médecin qu'il ne
fume pas mais que, par contre, il a été mineur pendant 10 ans. La
compagnie "A" ne pourra pas se retourner contre la compagnie
"B" assureur de la mine car si à l'évidence, le travail
dans la mine est un facteur de risque considérable, de nombreuses
personnes atteintes de bronchites chroniques n'ont pas été mineurs.
En outre,
les compagnies d'assurance n'aiment pas les risques dont l'occurrence
est certaine. Il en est ainsi de la vieillesse. Si bien que même
aux Etats-Unis c'est une assurance publique qui prend en charge
les personnes âgées de plus de 65 ans. Les taux des compagnies privées
seraient bien différents s'ils devaient se retourner pour solvabiliser
ce risque vers les assureurs passés en fonction du nombre d'années
d'affiliation pendant la vie active du retraité.
L'anti-sélection
Tout système
d'assurance santé en particulier dans les contrats groupes est un
système de redistribution entre les malades et les bien-portants.
Toutefois, si une personne connaît approximativement sa probabilité
d'être malade, elle sortira du programme si cette probabilité est
faible. Le coût moyen pour l'assureur augmentera ce qui contribuera
à faire sortir du marché de nouveaux adhérents. Ceci plaide à l'évidence
pour les contrats groupes, moins chers à gérer, et dans lesquels
cette sélection contraire ne se produit pas. Ceci pousse également
les compagnies une fois qu'elles ont acquis une expertise du taux
de sinistres à rechercher les groupes à faibles risques et à concourir
pour l'affiliation de cette population à leur programme. Cela conduit
également à sortir des polices d'assurance avec franchise et/ou
une couverture limitée.
Le risque moral
Ce concept
est mal connu en France à l'exception des professionnels de l'assurance.
Il ne s'agit pas ici d'anti-sélection mais tout simplement du fait
que le comportement d'une personne change à partir du moment où
elle est assurée : elle consomme plus et conduit donc l'assureur
à revoir à la hausse les tarifs de base.
C'est un
point essentiel qui permet d'éclairer une question dont nous débattons
en France depuis de longues années et qui se résume ainsi : faut-il
contrôler les dépenses de santé dans leur ensemble ou seulement
les dépenses de santé à la charge de la Sécurité sociale ?
Les tenants
du second point de vue partent d'une position philosophique qui
s'interroge sur la légitimité de la puissance publique à intervenir
sur la consommation des ménages. Au nom de quoi en effet interviendrait
l'Etat ou la sécurité sociale pour limiter la consommation de soins
de santé alors qu'à l'évidence, ils n'interférent pas pour limiter
les voyages, l'achat d'automobile ou de police d'assurance-vie.
Ce point de vue n'est défendable que si, et seulement si, ces dépenses
sont à 100% à la charge des ménages.
Dès lors
qu'elle sovabilise largement la demande payable par l'assuré, l'assurance
complémentaire écarte toute désincitation financière. On peut même
montrer que plus le niveau d'assurance complémentaire est élevé,
plus sont élevés les niveaux de remboursements obligatoires, l'indépendance
des deux sphères est donc fictive. Donc de manière apparemment paradoxale
l'Etat et la Sécurité sociale sont d'autant plus légitimes pour
intervenir qu'il y a assurance complémentaire, sauf si les assureurs
complémentaires contrôlent eux-mêmes cet effet de risque moral.
L'Etat
doit donc contrôler l'ensemble des dépenses de santé si celles-ci
recouvrent des biens et des services totalement ou partiellement
remboursés. Il n'est pas légitime pour contrôler les dépenses qui
sont à 100% à la charge des ménages, ce qui ne représente en France
aujourd'hui que très peu de choses mais, nous y reviendrons, car
il y a là une voie à approfondir pour certains des problèmes majeurs
que nous rencontrons.
En effet,
le premier problème de l'assurance complémentaire est que, c'est
une "Lapalissade", elle n'est que complémentaire, même
si comme dans le domaine des prothèses dentaires, de l'optique ou
des médicaments remboursés à 40% sa part est aujourd'hui plus importante
que celle des régimes obligatoires.
Elle subit
et s'ajuste à des décisions, des mécanismes, des réglementations
qui ont fortement limité jusqu'à ce jour, sa marge de manoeuvre.
Il faut également remarquer qu'à l'exception de la Mutualité, les
assureurs complémentaires n'ont pas revendiqué la place politique
que pourrait rendre légitime leur poids économique. Le moment semble
être enfin venu.
Durant
la décennie 80, les inégalités de fréquentation du système de soins
se sont accrues entre ceux qui disposent et ceux qui ne disposent
pas d'assurance complémentaire.
En 1980,
le nombre de visites chez le médecin généraliste et spécialiste
était de 5,2/an, que l'on ait ou non une assurance complémentaire,
en 1990 il était de 5,1 sans assurance complémentaire et de 7,2
avec assurance complémentaire.
Mais venons
en aux spécificités de la situation française.
Le prix
du laisser-faire : le système de santé français a privilégié la
liberté au dépend de l'égalité et de l'efficacité. Ces libertés
sont nombreuses et quasiment uniques au monde.
Liberté
du malade de choisir son médecin : il peut être généraliste ou spécialiste,
il peut être en ville ou à l'hôpital, du secteur 1 ou du secteur
2 (sans d'ailleurs que le malade sache toujours ce que cela veut
dire et quels seront les honoraires demandés ainsi que la part remboursée).
Liberté
du malade de choisir son hôpital : il peut être public ou privé,
et dans le secteur privé, il peut avoir le choix entre le secteur
lucratif et non lucratif.
A l'hôpital
public, il pourra par le biais du "secteur privé" et moyennant
rémunération, choisir le médecin qui le prendra en charge. Cette
liberté des malades est aussi celle des médecins qui peuvent choisir
leur lieu et mode d'exercice même si depuis trois ans, l'accès au
secteur 2 est fortement contingenté, sinon quasiment fermé.
Les médecins
français choisissent d'ailleurs le plus souvent des modes d'exercices
multiples.
La liberté
des honoraires n'existe cependant que pour les médecins du secteur
2 (27%) et les consultations du secteur privé à l'hôpital public.
La liberté
de mode d'exercice est considérable. Rien n'interdit à un médecin
d'exercer à l'hôpital ou en ville, et d'exercer l'homéopathie, l'acupuncture
ou d'autres types de médecine qualifiée.
Comme le
faisait courageusement remarquer Gilles JOHANET, à l'époque Directeur
de la CNAMTS, "si la profession médicale consacrait autant
d'énergie à poursuivre le charlatanisme dans ses rangs, qu'à l'extérieur
de la profession, la situation serait sensiblement différente"
!...
Il est
vrai que le fondement scientifique de certaines pratiques médicales
ayant en France toutes les reconnaissances "officielles"
qui s'imposent est dans certains cas léger (thermalisme) et dans
d'autres inexistant.
Il n'y
a pas non plus de limites à la prescription jusqu'à l'apparition
des toutes récentes "références médicales". Un médecin
a le droit de tout prescrire même lorsque l'on se demande comment
il peut tout connaître du fait de la croissance exponentielle des
connaissances médicales.
Certaines
ordonnances dépassent la dizaine de prescriptions médicamenteuses.
Les spécialistes
comme par exemple les radiologues ont le droit de s'auto-prescrire
sans contrôle, ce qui est justifié, mais surtout sans avoir à apporter
de justification de leurs "auto-prescriptions" ce qui
n'est pas le cas dans d'autres pays. Les procédures mises en oeuvre
aux Etats-Unis depuis des décennies comme l'accréditation des hôpitaux,
les habilitations à être "service universitaire", correspondant
des facultés de médecine, les comités des tissus contrôlant systématiquement
les pièces opératoires, le contrôle des compagnies d'assurances
sur certaines pratiques professionnelles, rien de cela n'existe
en France.
Les médecins
ont une liberté considérable, ainsi que les consommateurs de santé,
tout au moins lorsqu'ils ont le pouvoir de l'exercer, c'est-à-dire
qu'ils vivent en zone urbaine (disponibilité physique) et ont une
bonne assurance complémentaire (disponibilité financière). Car si
la solidarité s'exerce par le biais des cotisations sociales, la
baisse de remboursement progressif des dépenses de santé pénalise
les catégories les plus défavorisées.
Si l'assurance
maladie rembourse parfois mal elle assure tout : l'homéopathie,
les cures thermales, certains soins plus proches de l'esthétique
que de la dermatologie, le secteur 2, les prothèses dentaires, les
lunettes, etc.......
Si bien
que nous en sommes en France dans une situation très paradoxale
et quasiment unique en Europe. En effet, le premier recours au système
de soins que constitue la visite chez le généraliste à un fort ticket
modérateur alors qu'au Danemark par exemple la visite chez le généraliste
est gratuite. Les quinze dernières années voient d'ailleurs une
croissance du taux de remboursement de l'hôpital et des maladies
prises en charge à 100% et un déremboursement progressif de la médecine
de ville (généraliste, spécialiste, médicaments, etc.).
L'on constate
alors mais, pourquoi s'en étonner, que les milieux sociaux les plus
défavorisés s'ils dépensent grossièrement les mêmes sommes que les
milieux plus favorisés voient moins de médecins de ville et vont
plus souvent à l'hôpital. Est-ce efficace ? En outre cette apparente
équité financière cache une réelle inéquité parce qu'ils sont non
seulement pauvres, sans assurance complémentaire, mais également
plus souvent malades, on devrait donc constater dans cette population
une plus grande fréquentation du système de soins si la barrière
financière n'existait pas.
En outre,
il faut signaler ici que le libre choix n'est pas vraiment possible
notamment dans certaines grandes villes car l'ensemble des spécialistes
est au secteur 2 même si aujoud'hui ils doivent tous avoir un quota
en secteur 1. Mais que recouvre en réalité ce quota ?
La stratégie
et la politique des assureurs complémentaires sont influencées par
des mécanismes qu'ils ne contrôlent pas.
les prix :
- la définition des tarifs conventionnels et du prix des lettres-clé
(B, K, Z, ....)
- la procédure T I P S
les indices de complexités
les nomenclatures dont certaines sont très anciennes et inadaptées
notamment en chirurgie
les droits à remboursement
- la liste des trente maladies qui induisent un remboursement
à 100%
- les durées de séjour hospitalier qu'il faut dépasser pour être
remboursé à 100%
- le seuil de K 50 qui induit l'exemption de ticket modérateur
en cas d'intervention chirurgicale
le volume des prescriptions
la procédure des références médicales opposables (RMO) a aussi,
si son effet se prolonge, un effet limitatif pour les assureurs
complémentaires.
les accords de régulation
les accords signés avec les biologistes, les infirmières libérales,
les cliniques privées ont un impact bénéfique sur les assureurs
complémentaires
le droit de la concurrence
Il a été
recommandé au gouvernement que la facture du prothésiste soit communiquée
au patient quand une prothèse est posée. Ces recommandations ne
sont pas suivies d'effet. Les dentistes tirent en effet les 2/3
de leurs revenus du tiers de leur activité car les soins dentaires
sont mal payés et bien remboursés. Alors que les prothèses sont
probablement surpayées par le patient et particulièrement mal remboursées.
les dépassements
Les compagnies
d'assurance prennent en charge la baisse du ticket modérateur mais
aussi la croissance des dépassements définis par chaque médecin.
C'est ainsi
que selon l'échantillon permanent d'assurés sociaux constitué par
la CNAMTS sur la période 1989-1992, l'augmentation du ticket modérateur
est de 2% et celui des dépassements de 18% si bien que la moyenne
annuelle non remboursée mais assurable, passe de 789 F à 919 F.
Le ticket modérateur y contribue pour 406 F en 1989 et 454 F en
1992, alors que les dépassements passent, pendant cette période,
de 383 F à 465 F. Ce phénomène de croissance des dépassements est
particulièrement sensible pour les soins dentaires.
Il faut
enfin souligner la très inéquitable répartition des soins non remboursés
car si pour un quart des français, en 1990, ce chiffre ne dépassait
pas 350 F/an, pour 5% il était supérieur à 4 700 F et pour 1% d'entre
eux, il dépassait 12 000 F !...
Il ne s'agit
pas ici de faire porter aux assureurs complémentaires les très grandes
imperfections de notre système de santé mais de constater leur très
grande difficulté à se positionner, à anticiper, à définir des contrats
et des primes. Certains des mécanismes poussant à la maîtrise et
d'autre pas.
LE
PIEGE
Avant d'aborder
des solutions concrètes qu'il est possible d'envisager nous voulons
souligner le piège collectif dans lequel nous sommes.
La politique
de déremboursement continu depuis 1980 nous fait battre un record
d'Europe : nous sommes le pays qui rembourse le moins et de loin
(73% en France contre 85% en moyenne en Europe). Le déremboursement
qui porte sur les soins extra-hospitaliers et notamment les soins
primaires, pousse nos concitoyens à recourir à une assurance complémentaire
soit par la souscription de contrats individuels, soit par la prévoyance
des entreprises : 80% le font aujourd'hui.
Si cette
politique se poursuit, les effets constatés ces quinze dernières
années vont s'accentuer car les mécanismes sont en place.
Le fondement
de cette affirmation est basé sur le raisonnement suivant :
Plus la Sécurité sociale dérembourse, plus la population
socialement intégrée et financièrement solvable s'assure (80%
des français)
Plus les produits proposés par l'assurance complémentaire
couvre le ticket modérateur et l'intégralité des dépassements,
plus les dépenses à la charge de la Sécurité sociale augmentent
(risque moral).
Plus les dépenses obligatoires augmentent, plus l'État
dérembourse.
Plus l'Etat dérembourse la médecine libérale, plus les revenus
des professionnels dépendent de la capacité des citoyens à les
payer. En effet, moins les régimes obligatoires couvrent les dépenses
de médecine de ville plus est réduite la portée des accords conventionnels
qui se rétrécissent telle une peau de chagrin.
Or, plus les déremboursements sont importants, plus fort
est l'effet d'exclusion des plus défavorisés et plus ce nombre
s'accroît.
Plus l'exclusion des soins primaires est forte, plus
les dépenses hospitalières augmentent en volume pour les défavorisés,
moins la structure des soins est adaptée et cela contribue aussi
à augmenter les dépenses en valeur absolue. Donc plus la demande
des "exclus" du système extra-hospitalier se reporte
sur l'hôpital, plus elle y absorbe des ressources (largement financées
par l'assurance maladie), moins les technologies de pointe sont
utilisées à bon escient.
Notre piège
est donc bien en place, il pousse à l'inéquité, à l'inefficacité
et à la croissance des dépenses.
Il est
clair que la Sécurité sociale et les assureurs complémentaires ont
partie liée si un gouvernement souhaite sortir de ce piège. Mais
si cette volonté politique ne s'affirme pas par des décisions concrètes,
il est aussi évident que les assureurs complémentaires ont, non
seulement un marché, mais aussi de beaux jours devant eux, car ils
vont définir la nature et le prix des prestations et des soins.
Eux seuls ont une véritable marge de manuvre, la Sécurité
sociale sera prise dans sa nécessaire politique d'équilibre des
comptes et accordera peut être cinq francs d'augmentation d'honoraires
à la veille de chaque campagne électorale ce qui n'est ni digne,
ni suffisant.
Que
faire ?
Le problème
des assureurs complémentaires n'est pas de limiter la croissance
des dépenses de santé mais d'offrir un service, celui de l'assurance,
sans perdre d'argent et si possible en en gagnant (ce qui ne semble
pas être le cas aujourd'hui globalement en France).
Pour cela,
les compagnies ont besoin de pouvoir définir le risque, en estimer
la magnitude et de la répartir sur une population suffisamment grande
pour que le calcul actuariel puisse contribuer à la définition de
tarifs et à l'élaboration de contrats qui permettent de gérer le
risque, de définir des niveaux de garanties, des conditions de souscription,
des franchises des périodes de carence, etc.
Les compagnies
qui ont le plus souvent délégué la gestion de leurs contrats aux
courtiers ne souhaitent pas, en général, prendre position dans un
débat public difficile et controversé. Les risques commerciaux sont
trop importants pour des bénéfices incertains du fait de la relative
faible part du risque santé dans leur portefeuille. La Mutualité
n'est pas dans la même situation car elle a un très grand nombre
d'affiliés (12 millions de ménages, 26 millions d'ayants droit,
près de la moitié de la population française) ainsi que du rôle
historique et de la position institutionnelle qu'elle a toujours
eu dans le secteur. Si sa finalité n'est pas commerciale elle devra
néanmoins apprendre à gérer le risque aléatoire et les comportements
vis-à-vis de l'assurance.
Si les
compagnies d'assurance souhaitent jouer un rôle dans les mois à
venir, la FFSA devra donc se substituer aux compagnies, à condition
qu'elles soutiennent activement leur fédération sur des axes précis.
Les voies
que nous allons esquisser posent souvent de nombreux problèmes de
mise en uvre dont les questions juridiques ne sont pas les
moindres. Par exemple, toute convention passée par plusieurs compagnies
avec des professionnels de santé pour limiter les dépassements d'honoraires
court aujourd'hui le risque d'être attaquée par la Direction de
la concurrence du Ministère de l'Économie comme entente illicite
entravant la libre concurrence.
1.
Actions sur le volume et la nature des soins
1.1
Prévention ciblée
Dépistage
obligatoire de certaines catégories de population comme par exemple
une visite annuelle chez le dentiste pour les enfants de moins de
16 ans, ou une mammographie annuelle obligatoire pour les femmes
de plus de 50 ans
Information
dans les entreprises des effets de la consommation de tabac et d'alcool.
Paiement
de formation spécifique pour ceux qui souhaiteraient s'arrêter de
fumer.
Incitation
à la formation de groupes d'alcooliques anonymes, etc.
Action
auprès des entreprises pour la prévention des accidents et des arrêts
de travail.
1.2
Gestion du risque
Ajouter
aux références médicales opposables des références supplémentaires
pour certaines spécialités ou certains risques.
Contrôler
les auto-prescriptions notamment des radiologues,
Demande
systématique d'un double avis en cas d'intervention chirurgicale,
Analyse
du bien fondé de la prescription chez les cliniciens,
Mise en
place de logiciels optimisant la prescription notamment pharmaceutique
chez les médecins volontaires. Ceci devrait se faire indépendamment
de l'industrie pharmaceutique, sous peine d'avoir à faire face à
des conflits d'intérêts évidents.
2.
Action sur les prix
Passer des conventions avec les praticiens volontaires
pour limiter les dépassements d'honoraires.
Passer des accords avec les chirurgiens dentistes et les
fabricants de prothèses dentaires en élaborant une nomenclature
et des tarifs opposables.
Passer des accords analogues avec des revendeurs de lunettes,
etc.
3.
Organisation de réseaux ou de filières de soins
Aujourd'hui,
ceci semblerait avoir été en partie réalisé par la Mutualité. Elle
dispose en effet de pharmacies, de centres d'optiques, de centres
de consultations, d'établissements de soins. L'effet réseau joue
cependant peu car l'utilisation de ces institutions est laissée
au cas par cas au libre choix des consommateurs et que les ordres
professionnels surveillent attentivement les responsables des centres
pour qu'ils n'interviennent pas dans l'organisation du travail médical.
Il ne s'agit
donc pas de réseau au cas où nous l'entendons ici, mais plutôt d'institutions
de références pesant sur les prix.
De plus,
des enquêtes encore confidentielles, montrent que des accords peuvent
exister mais que la liberté de s'associer est dans notre pays mise
sous le boisseau.
Pour créer
un réseau, il faut simultanément :
Agréer des producteurs de biens et services médicaux (médecins,
pharmaciens, dentistes, lunetiers, hôpitaux), centre de rééducation
fonctionnelle, hôpitaux de moyen et long séjour, etc... et en contre-partie
avoir des exigences de résultats (ceci posant bien sur les problèmes
de la responsabilité de la gestion du réseau).
Inciter financièrement à l'utilisation de ces producteurs
agréés en ne remboursant pas au même taux ceux qui se contraignent
à utiliser ce réseau et ceux qui préfèrent garder leur entière liberté.
Les thèmes
évoqués ci-dessus peuvent, sous réserve d'études détaillées, être
d'ores-et-déjà mises en uvre. Ce n'est pas le cas de ceux
que nous allons présenter ci-après. Ils nécessitent des modifications
législatives.
4.
Définir les soins qui ne seront plus remboursés par l'assurance
maladie et qui pourraient l'être par les assureurs.
Il ne s'agirait
donc plus d'assurance complémentaire mais d'assurance au premier
franc.
Si la médecine
a grandement contribué à l'amélioration de la santé de nos concitoyens,
elle permet aussi de rendre des services qui n'améliorent pas directement
la santé mais seulement, et c'est parfois beaucoup, le confort réel
ou perçu de nos concitoyens.
L'assurance
médicale obligatoire doit-elle continuer à prendre en charge l'homéopathie,
les cures thermales, toute la chirurgie esthétique, toute la dermatologie,
toutes les prothèses dentaires, le contrôle de la sexualité et de
la procréation ?
Il ne nous
appartient pas de répondre à ces questions mais de souligner que
dans de nombreux pays occidentaux, ces thèmes ont été débattus et
des réponses ont été apportées, notamment en Allemagne.
5.
Imposer des franchises
Ce n'est
pas le thème favori des compagnies d'assurance, car ce débat est
double.
Faut-il organiser des franchises obligatoires et de quelle
nature ?
Faut-il permettre que ces franchises soient remboursées
?
Si l'on
répond par l'affirmative à la seconde question au nom de la liberté
d'assurer, on n'élimine pas le risque moral. Ce débat a déjà eu
lieu en France en 1980 avec la création du ticket modérateur d'ordre
public : La Mutualité fit reculer le gouvernement de l'époque. C'est
donc un sujet politiquement chaud mais difficilement évitable. Cette
technique est couramment utilisée dans les pays européens.
La franchise
peut être :
à l'acte,
au médicament (franchise par boîte ou par ordonnance),
annuelle et identique pour tous les assurés,
proportionnelle au revenu.
Cette dernière
a depuis de longues années notre préférence pour des raisons d'équité
: mais elle n'apparaît pas compatible avec la multiplicité actuelle
des régimes, car le revenu à prendre en compte est celui des foyers
fiscaux et il arrive qu'au sein d'un même foyer fiscal, les régimes
et donc les taux de remboursement, soient différents. Il a également
été souvent évoqué, les difficultés techniques d'une telle mesure.
Cet argument ne tient pas. Il n'est en effet pas plus difficile
de gérer un mécanisme de franchise annuelle ou trimestrielle, que
de gérer un compte bancaire.
6.
Transférer aux assurances privées ou aux mutuelles, la gestion au
premier franc de tout ou partie des prestations des assurés sociaux
C'est le
thème favori de certains assureurs. Outre les considérables problèmes
politiques que cela poserait puisque une telle mesure annoncerait
la fin de la gestion paritaire de la Sécurité sociale, les bénéfices
attendus sont très incertains. L'exemple de la Suisse montre que
les assureurs organisent un cartel de fait. La situation américaine
avec son cortège d'exclus et une inflation médicale difficilement
maîtrisée n'est un exemple pour personne. Les tentatives néerlandaises
qui cherchent à rendre compatible les principes d'universalisme
et de concurrence semblent avoir du mal à se mettre en place, bien
qu'il soit encore trop tôt pour porter un jugement.
Enfin,
les remarques que nous avons faites au début de cet exposé, notamment
la très forte déséconomie d'échelle qui induirait une telle mesure
ne semble pas permettre de la recommander. Le système obligatoire
unique a certes des inconvénients mais aussi de nombreux avantages
dus aux particularités essentielles du risque santé. Ceci a été
reconnu et défendu non seulement par Robert G. Evans (1) et d'autres
mais même l'Angleterre Thatcherienne en a convenu. C'est dire !
6.1.
Favoriser une réforme du système de santé
Ce que
les compagnies d'assurance peuvent envisager de faire en passant
des conventions avec les producteurs de biens et services pourrait
être soutenu par voie législative ce qui limiterait l'incertitude
actuelle devant laquelle se trouvent les assureurs complémentaires.
Sans que
cette liste soit exhaustive on peut imaginer :
La limite des dépassements de tarifs conventionnels (éventuellement
revus à la hausse) comme cela se fait aux États-Unis (30%),
Limiter l'accès direct à certaines spécialités et ouvrir
la possibilité d'un financement partiel à la capitation pour les
médecins qui le souhaiteront
Gérer le risque : c'est à dire faire accepter par la profession
médicale un auto-contrôle des prescriptions en fonction de critères
de qualité.
Passer des conventions avec l'industrie pharmaceutique
et la biomédicale, etc.
Ouvrir la possibilité de passer des accords contractuels
entre producteurs et institutions de soins (loi type HMO).
Il est
difficile de conclure un tel survol. On peut toutefois remarquer
que si le piège continue à fonctionner, les assurances complémentaires
ont devant elles un beau marché à court et moyen terme. A long terme,
il est probable que nos enfants se satisferont peu du déficit croissant
des dépenses publiques et du cortège d'inégalité et d'exclusion
qui accompagne ce "laisser-faire" car nous aurons l'un
et l'autre. Pour en sortir malgré leurs différences idéologiques,
historiques et fiscales, il est clair que la Mutualité et la FFSA
ont partie liée car ce sujet dépasse à l'évidence, le cadre habituel
des réflexions qu'une entreprise développe quand elle cherche à
développer un marché, celui-ci n'est pas tout à fait comme les autres.
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