Jean
de KERVASDOUE
La santé intouchable
ETHIQUE
ET CHOIX ECONOMIQUE EN POLITIQUE DE SANTE
Le cas de la transplantation
(
Chapitre 4 )
Le titre
de cet exposé présuppose l'unicité de l'éthique et renvoie à la
conception de la vérité éthique par rapport à une vérité scientifique,
à supposer, dans notre cas, que les sciences sociales puissent y
prétendre. Contrairement à l'opposition traditionnelle des philosophes
physicalistes (1)
entre la nature de la vérité dans les sciences en général et les
sciences physiques en particulier d'une part et la nature d'une
vérité, nécessairement de "second rang", en philosophie
d'autre part, ces différences s'estompent si avec Charles LARMORE
(2) nous
admettons que "peut-être pourrions-nous reconnaître dans la
pensée éthique une forme d'objectivité semblable à celle de la pensée
scientifique si nous nous tournions vers un meilleur modèle de la
connaissance en général". Cette éventualité me parait plausible
et WILLIAMS (3)
lui-même semble l'envisager lorsqu'il oppose le modèle fondamentaliste
à un modèle holiste selon lequel "certaines croyances peuvent
être questionnées justifiées ou modifiées alors que d'autres demeurent
constantes, mais il n'existe pas de procédé permettant de les questionner
toutes en même temps " (p.113).
Si nous
nous plaçons dans ce cadre, nous nous trouvons donc à une époque
donnée avec un ensemble de connaissances venant de la recherche
scientifique et technique mondiale et un ensemble de valeurs individuelles
et collectives de notre société française à la fin de ce siècle.
C'est l'examen simultané de ces deux ensembles qui doit nous permettre
de traiter du sujet qui m'est imparti en examinant les problèmes
éthico-économiques que posent la transplantation.
La première
remarque qui s'impose par son évidence est que, dans le domaine
qui nous préoccupe, les choix qu'imposeraient une application de
la théorie économique aux malades voulant se faire transplanter
sont considérés comme non-éthiques. Ils vont à l'encontre de nos
valeurs. Il n'y a pas de marché de la transplantation. Les organes
disponibles ne vont pas aux plus offrants. L'égoïsme, moteur du
libéralisme, qui veut que chacun en recherchant la satisfaction
de ses besoins contribue à l'utilité collective par cette "main
invisible" chère à Adam SMITH trouve ici ses limites.
Nos politiques
sociales sont bâties sur d'autres principes que ceux de l'économie
libérale. Elles s'appuient sur des principes de solidarité qui veulent
que chacun contribue selon ses moyens et accède au système de santé
selon ses besoins. Cela reste essentiellement vrai même si, en France,
la part remboursée des dépenses de santé continue à décroitre en
pourcentage.
Dans le
domaine qui nous intéresse, le taux de prise en charge est pratiquement
de 100% à l'exception du forfait hospitalier.
Même si
l'économie de marché n'a pas son mot à dire, l'économie, qui s'intéresse
à l'attribution des ressources rares, peut contribuer au débat qui
nous intéresse.
Toute politique
sociale doit examiner le bénéfice collectif qu'elle induit, mais
aussi la moralité de ce bénéfice à savoir que des personnes identiques
sont effectivement traitées de manière identique. Or les ressources
dont dispose le secteur de la santé sont limitées. Même sans gâchis,
toutes les ressources publiques : impôts et charges sociales ne
suffiraient pas. On pourrait imaginer en effet, que comme certains
chefs d'état, nous disposions de plusieurs dizaines de médecins
dans les mois qui précèdent notre mort. Ce n'est pas le cas. Il
y a donc rationnement de fait : rationnement dans l'accès aux organes,
rationnement du nombre de services appelés à transplanter, rationnement
des moyens de chacun de ces services, rationnement du nombre de
greffes.....
Mais l'on
peut considérer qu'en France, à l'exception de l'accès aux organes,
géré en partie par France-Transplant en fonction du principe premier-venu
- premier-servi, l'ensemble du rationnement est local c'est-à-dire
réalisé par chaque hôpital, chaque service. En Grande-Bretagne (4)
les conséquences de ce rationnement ont été analysées.
"Le
rationnement local par les médecins du NHS britannique durant quatre
décennies, du fait qu'il est invisible, est potentiellement discriminatoire
(dans le cas du NHS, contre les plus de 50 ans, la classe ouvrière
et les femmes).
Il corrompt
également l'intégrité de la relation médecin-malade, forçant les
médecins non seulement à mentir à leurs patients mais aussi à rationnaliser
en refusant de reconnaître les besoins de leurs patients comme des
besoins .La santé morale de toutes les institutions sociales, et
l'intégrité psychologique de toute personne impliquée dans le rationnement,
demande que ce processus soit public aux trois niveaux de la théorie
de RAWLS - c'est-à-dire que les principes du rationnement sont publiquement
reconnus, que le public sait qu'ils sont appliqués à la médecine,
et que les raisons des décisions spécifiques sont connues".
Il y a
en France rationnement de fait, accompli selon des critères localement
définis, quand ils le sont que le rationnement soit tacite ou réalisé
selon des règles pré-établies rien ne garantit que ces critères
soient les mêmes. En outre "cette structure organisationnelle
(France Transplant) donne aux transplanteurs la protection de la
bureaucratie vis-à-vis de sa clientèle mais aussi le pouvoir discrétionnaire
que confère le statut d'être son propre patron" (5).
Nous reviendrons à ces questions avant d'aborder une question préalable
.
Faut-il
transplanter ?
La réponse
à cette question parait évidente et positive. La transplantation
permet à certains de nos concitoyens de vivre. Notre système de
sécurité sociale est suffisamment riche pour nous offrir en cas
de besoin cette garantie collective.
Néanmoins,
dans un contexte de ressources rares, on peut se demander si cette
technique onéreuse est la meilleure utilisation possible des ressources
de la sécurité sociale. Un Etat américain l'Oregon (6)
et un pays le Royaume Uni (7)
se sont efforcés de rechercher des critères rationnels de classement
de l'efficacité des techniques thérapeutiques aujourd'hui disponibles.
Cette recherche
de rationalité n'est pas nouvelle. Il y eut tout d'abord les études
coûts-bénéfices dont les limites sont venues du fait que les bénéfices
doivent être exprimés en termes monétaires ce qui n'est pas toujours
possible.
Les études
coût-efficacité, ou coût-efficience, qui permettent de comparer
des techniques proches, voire potentiellement substituables, mais
ne permettent pas des études entre techniques thérapeutiques aux
champs d'application trop lointains.
C'est pourquoi
les économistes se sont intéressés aux études coût-utilité, avec
une unité de mesure commune le "QALY" :
"Quality
- Adjusted Life Years" qui utilise également le QWB (The quality
of Well-Being Scale) (8)
Le
ratio coût - utilité est calculé par la formule suivante :
Coût total = coût du traitement - coût des alternatives
QWB x nombre d'année (QWB Traitement - QWB alternatives) net de
vie espérée x nombre d'année de vie espérée.
Sachant
que le QWB se calcule de la manière suivante :
QWB = 1
- (morbidité observée X poids affecté à la morbidité)
- (activité
physique observée X poids activité physique)
- (activité sociale observée X poids activité sociale)
- (problèmes et symptômes observés X poids symptômes et problèmes)
Ce type
de méthode fait l'hypothèse que l'on peut vivre aussi longtemps
que possible en étant aussi bien portant que possible ce qui parait
raisonnable.
Elle a
donné lieu à de nombreux commentaires et débats que je ne reprendrai
pas ici (9).
J'indiquerai
simplement que faire passer un malade de 0.3 à 0.5 est une amélioration
identique à celle qui fait passer un malade de 0.8 à 1. Dans un
cas il est plutôt mal portant, dans l'autre cas il l'est plutôt
bien. Ces deux malades peuvent être identiques sauf si l'on partage
une certaine conception de la justice qui voudrait que l'on favorisât
les plus déshérités : Il y a de très nombreuses autres critiques
formulées, à commencer par la difficulté de réunir les chiffres
appropriés, la crainte des médecins de voir un indicateur externe
se substituer à la relation médecin-malades etc.....
Néanmoins
est-ce totalement dénué d'intérêt que de savoir ((7) P.76) que :
"Produire
une année de vie en bonne santé coûte, selon le traitement proposé
:
167 £ pour des conseils prodigués par des médecins généralistes
auprès de leurs patients pour arrêter de fumer,
700 £ pour l'implantation d'un stimulateur cardiaque,
1 330 £ pour un pontage coronarien auprès d'un malade victime d'une
angine de poitrine moderée,
3 200 £ pour une transplantation rénale,
8 000 £ pour une transplantation cardiaque,
14 000 £ pour l'hémodialyse à l'hôpital".
Cet intérêt
peut nous paraître totalement intellectuel et pourrait conduire
à simplement conclure qu'il faut tout faire pour favoriser la transplantation
rénale plutôt que la dialyse en centre ce que nous savions déjà.
Mais quittons
l'Angleterre pour revenir en Oregon où il y eut véritablement l'application
de cette méthode aux malades relevant de medicaid (Ceci a d'ailleurs
été le centre du débat éthique : pourquoi ne rationner explicitement
que les pauvres même si c'est pour faire bénéficier d'autres pauvres
de cette économie potentielle ? Les malades de medicaid sont en
effet les plus défavorisés de l'Etat d'Oregon).
Les premières
sorties d'ordinateur classèrent dans des groupes proches des malades
intuitivement différents : ceux qui sont peu malades et pour lesquels
les coûts sont peu élevés et ceux qui sont très malades et pour
lesquels les coûts sont très élevés.
En outre,
après avoir regroupé les malades en 709 groupes qui sont formés
de paires "traitement-diagnostic," ils ont choisi de classer
la transplantation du foie au 690 ème rang/709 quand le malade est
alcoolique, alors que la même transplantation est au 366 ème rang
quand le malade n'est pas alcoolique, même si l'indication dans
le premier cas est bonne sinon meilleure que dans le second.
Le classement
de l'Oregon n'a pas été une pure application des "QALYS",
mais des QALYS, tempérés, si j'ose dire, par des jugements moraux
et politiques. On les retrouve d'ailleurs en Angleterre où certains
médecins refusent de prendre en charge pour des interventions lourdes
fumeurs et/ou alcooliques.
Si l'on
appliquait ce type de techniques en France et si l'on recherchait
les méthodes contribuant le plus à l'amélioration de la vie de nos
concitoyens à l'intérieur et à l'extérieur du champ de la médecine
: prévention, lutte contre la toxicomanie, aménagement des routes,
des quartiers difficiles, est-on certain que la médecine aurait
toujours pour elle les meilleures "QUALY"?
Faut-il
ne pas poser la question ?
Est-il éthique de ne pas le faire ?
Qui
transplanter ?
Dans ce
contexte la question n'est pas médicale mais politique . La médecine
nous dit qui ne pas transplanter, comme, par exemple, les patients
non-histocompatibles avec un greffon disponible.
Le faire
serait coûteux et dangeureux et donc éthiquement condamnable.
Mais, entre
malades ayant des degrés analogues d'histocompatibilité, des âges
identiques , la médecine est sans critère pour indiquer qui favoriser.
Elster et Herpin (5)
font d'ailleurs remarquer que selon que l'on recherche le perfectionnisme,
l'efficacité maximum ou la compassion, on privilégiera successivement
ceux qui sont peu atteints, moyennement atteints ou au contraire
très atteints.
Les jeunes
ou les vieux ? Les Français ou les Etrangers ? les chefs de famille
en pleine activité ou les retraités ? Les premières greffes ou les
récidives après rejet du premier greffon ? Les producteurs ou les
retraités ?
En France
on ne répond qu'à une seule question : Ne sont greffés dans les
hôpitaux publics que les gens solvables c'est-à-dire les assurés
sociaux français et ceux des pays avec lesquels nous avons des conventions,
auxquels s'ajoutent un petit nombre d'étrangers fortunés. En outre
on privilégie d'abord et toujours ceux qui présentent des caractéristiques
d'hyper-immunité. L'égalité d'accès est donc bien relative et tous
les convives potentiels n'ont pas accès à notre table. A ma connaissance,
il n'y a pas eu de directives, même officieuses, pour favoriser
nos ressortissants nationaux, dans l'accès aux greffons, en ont
bénéficié des Italiens, des Yougoslaves. Mais jusqu'à quand cela
durera t-il ?
On pourrait
également être tenté de favoriser les jeunes, les gens mariés (U.S.A.)
les productifs ? Quel est le danger éthique d' une telle position
?
S'il est
possible d'évaluer de manière objective des facteurs physiologiques,
il n'en est pas de même des facteurs sociaux ou psychologiques.
La manière de pondérer l'utilité sociale d'un virtuose du violon
et d'un gardien de prison (sans jeu de mot) est affaire de point
de vue. En outre, une société qui définirait une utilité sociale
hiérarchisée selon les rôles de chacun interviendrait, de fait,
dans le mode de vie de chaque individu (10)
et serait donc de ce point de vue liberticide.
Enfin,
toute discrimination à l'encontre des plus âgés, des faibles, des
inadaptés suppose un manque de respect à l'égard de chaque personne
considérée comme unique par essence, ce qui est d'ailleurs un principe
fondateur de notre démocratie. Ceci est vrai même si économiquement,
il conviendrait de favoriser les plus jeunes.
Comment
choisir donc parmi plusieurs candidats possibles ? On pourrait imaginer
le tirage au sort, mais l'aléatoire n'est pas nécessairement le
juste. Pour ma part , je pense que le principe de la liste d'attente
avec la règle du premier venu - premier servi est la plus juste
, à condition qu'il n'y ait pas de discrimination dans la constitution
même de cette liste et que des biais ne soient pas introduits par
la résidence du patient comme ce fut le cas en France où les transplantations
en région parisienne furent favorisées par rapport à celles de province.
Cette non-discrimination n'arrive pas par hasard, elle doit être
organisée et contrôlée. Le sentiment d'injustice nait de la discrimination,
du secret, bien plus que de l'application de règles strictes et
universelles.
A ma connaissance,
il n'y a en France aucune obligation légale de déclarer un organe
à France-Transplant, même s'il est habituel de le faire et de mettre
à disposition de cet organisme au moins un rein sur deux.Les hôpitaux
qui ,du fait de la présence d'un SAMU, ont à leur disposition des
organes, peuvent donc organiser un court-circuit local et favoriser
leurs propres équipes, même non -agréées. Peu le font et la règle
est de prévenir France-Transplant, elle souffre cependant des exceptions.
Le moins
que l'on puisse dire c'est que, dans ces conditions, les garanties
d'équité à l'égard des autres candidats potentiels ne sont pas assurées.
Faut-il
enfin souligner que le médecin, aussi titré soit-il, n'a aucune
légitimité personnelle pour faire prévaloir ses propres préférences
ou jugements de valeurs ? Je le crains, car dans notre pays la confusion
des genres règne et la classe politique a tendance à entretenir
cette erreur sur le fondement de la légitimité. Ce n'est pas parce
qu'un médecin fait preuve de qualités humaines et intellectuelles
dans sa pratique qu'il est légitime pour dire les valeurs de la
société. Il peut légitimement en éclairer les choix. Il n'a pas
à les faire. Mais il faut souligner, à la décharge du corps médical,
que le silence de la classe politique est bien pesant sur les thèmes
abordés ici et qu'il faut bien choisir. Le côté demiurge des uns
est renforcé par l'extrême prudence des autres dans un domaine où
l'on pense qu'il vaut mieux ne pas choisir ou simplement ignorer
jusqu'à ce que des problèmes apparaissent comme l'a montré l'affaire
du sang.
Qui
transplante ?
Quelle équipe ?
Des textes
récents ont limité l'autorisation de réaliser des greffes. Il faut
qu'une équipe soit agréée. Le souci de la puissance publique fut
à la fois économique : multiplier les centres coûtent cher, et médical
: la qualité de l'acte augmente avec la fréquence et diminue statistiquement
avec le nombre de centres. Cette relation n'est bien entendu pas
causale et d'autres facteurs rentrent en ligne de compte dans les
déterminants de la qualité.
Si cette
politique a un fondement éthique elle pêche par le manque de publicité
des modes d'appréciation. Certes les critères sont connus, les rapports
à fournir sont les mêmes, mais, qui décide ? Comment s'élabore la
décision d'agréer ou de ne pas agréer un centre ? Le manquement
à la règle de publicité est incontestablement un manquement à l'éthique.
La réglementation
actuelle souffre également d'une autre limitation, à savoir qu'elle
favorise ceux qui exercent déjà cette activité par rapport à ceux
qui voudraient l'exercer. Il y a incontestablement une barrière
à l'entrée, il n'y a pas de procédure pour accueillir les nouveaux
candidats et par contre un raisonnement tautologique pour faire
des greffes, il faut en avoir fait ou comment en faire si on n'a
pas d'autorisation ?
On verra
la procédure qui sera suivie en pratique quand les centres seront
examinés après cinq années de fonctionnement. Y aura t-il publicité
des critères ? Y aura t-il appel d'offre pour solliciter la candidature
de nouvelles équipes ? Sera t-il ouvert, à quels hôpitaux ?
Avec quel budget ?
Il n'est
plus exceptionnel de constater que certains hôpitaux limitent le
nombre de greffes pour des raisons strictement budgétaires.
Tout d'abord,
ceci est contraire au principe du décret sur la dotation globale
qui indique que le budget est calculé en fonction de l'activité
de l'hôpital et non pas l'inverse !...
C'est ensuite
un manquement à l'éthique pour plusieurs raisons :
1) C'est
un rationnement de fait, sans publicité ,
2) C'est
un rationnement inéquitable : tous les services sur le territoire
national n'ont pas leur activité limitée, et quand une limite s'exerce
elle n'a pas le même effet car :
-
Les
bases budgétaires ne sont pas les mêmes,
-
Les
dotations en personnel, les équipements ne sont pas les mêmes
, et donc les coûts sont différents,
-
Les
taux de réussite des différentes équipes sont eux-mêmes différents.
Il faut
enfin souligner que si certaines de ces responsabilités budgétaires
sont exercées par le chef de service, il peut y avoir des contradictions
entre ses responsabilités de chef de service gestionnaire du rationnement
et son éthique médicale qui pousse à rechercher les soins les meilleurs
possibles pour chacun de ses malades.
L'économie
peut-elle favoriser le don d'organe ?
Nous sommes
aujourd'hui en France dans une situation de pénurie, aggravée depuis
plusieurs mois. Pénurie qui n'existe pas dans les pays où les donneurs
vivants sont la règle plus que l'exception. Sachant qu'éthiquement
nous avons collectivement refusé toute vente de produits du corps
humain (organe, sang, sperme...) en suivant les recommandations
du Comité National d'Ethique, les voies sont limitées, d'autant
plus que c'est notamment par crainte d'influence financière que
l'on a freiné, contrairement à d'autres pays (La Norvège), le don
de rein à partir de donneurs vivants. La commission Nationale d'Ethique
est d'ailleurs beaucoup plus restrictive que la loi Caillavet. Ce
risque, n'est pas perçu de la même façon en Norvège, même si dans
ce domaine, ils prennent aussi de grandes précautions et s'estiment
aptes à "contrôler la transaction entre le donneur et le receveur"
(5).
Les facteurs
économiques jouent donc ici également un rôle. "Le suréquipement
en appareils de dialyse entre pour partie dans le fait que des individus,
étant potentiellement de bons candidats à la greffe, n'accèdent
jamais à une consultation de prétransplantation" (5).
La division
du travail et l'indépendance des chefs de service hospitaliers néphrologues
d'une part, transplanteurs de l'autre, accentuent ces phénomènes
d'autant plus que les seconds sont moins nombreux que les premiers
et ne se trouvent que dans certains hôpitaux publics.
L'ensemble
de ces facteurs : position éthique, intérêt économique, organisation
du travail se renforcent les uns les autres et forment un tout cohérent
car au nom de quel principe refuserait t-on l'acte d'amour suprême,
celui du don d'un organe ? Les conséquences de ces choix sont que
si en France 1/4 des insuffisants rénaux sont transplantés, c'est
80% qui le sont en Norvège.
Le libre
choix s'étend même à la faculté laissée aux familles de ne pas faire
don de leurs organes alors qu'eux-mêmes ou un de leur proche en
sont potentiellement bénéficiaires.
Cette totale
liberté serait-elle longtemps tenable ? Envisagera-t-on une pénalisation
financière de ceux qui refusent le don, tout en acceptant la transplantation
? Comme c'est le cas en Turquie.
Le débat
n'est, à l'évidence, pas économique mais éthique avant d'être, éventuellement,
législatif.
Sans conclure
ce débat, il est clair que même en dehors de toute malversation,
influence financière ou autre, la situation de l'organisation de
la transplantation n'est pas irréprochable sur le plan de l'éthique.
Puissent
des réunions comme celle d'aujourd'hui et ces quelques réflexions,
aussi succinctes que non exhaustives, contribuer à l'améliorer .
(1) Pierre JACOB -
"Justification éthique et justification scientifique" (H.PUTMAN,
Raison, vérité et histoire) Ethique et philosophie politique - Odile
JACOB - Ed.1988
(2) Charles LARMORE - "Les limites de la réflexion
en éthique" - (B. WILLIAMS, Ethics and the limits of philisophy)
- Ethique et philosophie politique - Odile JACOB - Ed. 1988
(3) Bernard WILLIAMS, Ethics and the limlits of philosophy,
Londres, Fontana Press/Collins, Coll. "Fontana Masterguides",
1985 x 230p.s
(4) Robert BAKER "The inevitability of health
care rationing : A case study of rationing in the Bristish National
Health Service : in rationing America's Medical care : The Oregon
plan and Beyond. Editors : M.STRESBERG - J. WIENER - R. BAKER - A
FUN - The brookings Institution 1992
(5) John Elster et Nicolas Herpin - Ethique des choix
médicaux - Actes Sud - 1992
(6) Rationing America's Medical care : The Oregon
Plan and Beyon - M. STRESBERG - J. WIENER - R. BAKER - A. FEEN - Editors
- The Brookings Institution Washington D.C. 1992
(7) Alain JOURDAIN - "La qualité de la vie peut-elle
guider les choix de plannification sanitaire ?
Les Qalys ou l'essai non transformé de l'Angleterre - Sciences sociales
et Santé - Vol. XI - n° 1 - mars 1993.
(8) Robert KAPLAN - ouvrage cité - Ref 6 - pages 66
et 67.
(9) Pour le lecteur intéressé se reporter aux références
(5) et (6) mais aussi : Gérard de POUVOURVILLE - que faire des QALYS
? Sciences Sociales et Santé, Vol. XI - N° 1, mars 1993
(10) Jean de KERVASDOUE et Al. "La Santé rationnée
" p. 1299 - Economica 1981.
|