Christophe
Legrenzi
PDG
Acadys France
 |
|
" 20
à 40% du temps de
travail devant l’ordinateur
peut s’avérer improductif
"
|
|
Propos
recueillis par Cédric
Tournay
15 mars 2001
Suite et fin (2/2)
Vous avez eu l’occasion d’intervenir dans
le secteur pharmaceutique, que pensez-vous de la façon dont sont
employés les outils informatiques dans cette industrie ?
La
soumission pour un nouveau médicament représente l’équivalent
d’un camion de 36 tonnes rempli de papiers.
|
L’industrie
pharmaceutique a pris conscience très tôt des avantages potentiels
des nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC). Il suffit de savoir que la soumission pour un nouveau
médicament représente l’équivalent d’un camion de 36 tonnes rempli
de papiers. Les NTIC sont incontournables et interviennent à tous
les niveaux de l’entreprise. De la recherche à la commercialisation,
en passant par le développement, l’ingénierie, la production,
la logistique et toutes les fonctions de support. L’informatique
est indispensable et est UN, si ce n’est LE facteur déterminant
de la compétitivité actuelle et future des entreprises de ce secteur.
C’est ce qui explique que l’industrie pharmaceutique a été pionnière
dans l’acquisition de l’outil informatique et ce sous toutes ses
formes. D’ailleurs, une étude que nous avons conduit récemment
indique clairement que les leaders du domaine investissent plus
de 5% de leur chiffre d’affaires en informatique, soit bien plus
que la moyenne. Simplement, il ne s’agit pas uniquement d’investir,
mais aussi et surtout de repenser son fonctionnement dans sa globalité.
Les remises en question sont d’actualité et les enjeux sont d’importance.
Pour n’en citer que quelques-uns : identifier un plus grand
nombre de nouvelles molécules à fort potentiel commercial avant
la concurrence. Réduire les temps de développement et la mise
sur le marché des produits. Commercialiser efficacement les nouveaux
médicaments. Des exemples de nouveaux ou déjà anciens projets :
la technologie « high throughput screening » pour la
recherche, qui permet de générer un nombre bien plus important
de molécules candidates, la « gestion documentaire électronique »
qui est omniprésente, les « systèmes d’information marketing »
et de « veille concurrentielle » sans parler du CRM
et de l’ERP. Pour tous ces enjeux conditionnant singulièrement
la performance de l’entreprise, les systèmes d’information sont
au cœur de la problématique. C’est pourquoi on observe de nombreux
projets « pilotes » dans ce secteur, n’aboutissant pas
forcément. C’est le prix à payer. N’oublions pas que c’est un
domaine où l’innovation prime. Se cantonner uniquement à une
gestion par les coûts obère toute chance de faire partie un jour
des leaders et peut remettre sérieusement en cause sa pérennité.
Etrangement,
les autres domaines de la santé tels que les hôpitaux, ne bénéficient
pas des mêmes ressources et se retrouvent souvent à l’autre extrême
des statistiques lorsqu’on présente les moyens informatiques dont
ils disposent.
Vous introduisez de la transparence dans
les entreprises concernant leur système d’information. Etes-vous
bien accueillis ?
Notre
objectif est avant tout l’amélioration de la performance des organisations.
C’est ce que nous mettons en avant dans toutes nos missions. Le
but n’est pas de focaliser sur tel ou tel domaine, mais plutôt
de parler des vrais enjeux. Ainsi, nous dépassons le cadre classique
des fonctions pour appréhender l’ensemble de l’organisation. D’ailleurs
les gains importants sont souvent au confluent de plusieurs disciplines
et se retrouvent aux interfaces.
Ceci
n’est pas sans gêner l’ordre établi. D’autant plus que les dirigeants
se doivent d’ajouter à leurs attributions naturelles la composante
système d’information pour laquelle ils n’ont été ni formés ni
préparés. Notre philosophie est de ne mettre en avant ni un discours
idéologique, ni un technicisme exacerbé, mais de se concentrer
sur les faits. En résumé, notre approche est très pragmatique
même si elle se base sur des recherches poussées. Elle s’inspire
de ce qui a été à l’origine du succès de l’ère industrielle :
la métrologie. Notre spécialité consiste donc à développer une
nouvelle métrologie de l’ère de l’information. Mesurer les activités
liées au traitement de l’information. Rien de très sorcier en
somme. Le côté innovant dans tout cela, est que la plupart des
mesures que nous effectuons ne sont à priori pas connues des dirigeants
et s’avèrent perturbantes, pour ne pas dire déstabilisantes. On
ne les retrouve jamais dans la comptabilité analytique. Une fois
la surprise et les vérifications de circonstances passées, les
questions de fond peuvent être abordées.
Est-il facile d’introduire des mesures
de changement dans les organisations, en vue d’améliorer les performances
informatiques ?
Il
faut à nouveau distinguer la performance informatique de la performance
d’entreprise. Les mesures de changement ayant trait à la fonction
informatique ou à l’outil informatique lui-même sont souvent l’apanage
d’une ou deux personnes dans l’organisation et sont relativement
simples à mener. Encore faut-il avoir l’écoute et être en mesure
de convaincre ses dirigeants. Par contre, à partir du moment où
on touche le système d’information, c’est l’ensemble de l’organisation
qui est concernée. Certains pouvoirs peuvent être remis en cause.
De nouvelles fonctions et responsabilités émergent. Sans une conviction
et une volonté farouche des dirigeants à changer, tout projet
est voué à l’échec.
Sans
une conviction et une volonté farouche des dirigeants à
changer, tout projet est voué à l’échec.
|
C’est
sur ce point que nous nous concentrons en priorité, puisqu’il
représente la condition sine qua non de réussite. Une fois cette
condition levée, il faut avoir conscience qu’un programme de changement
dure au minimum 6 mois et peut atteindre 3 ans, avec une moyenne
d’un an et demi. Il répond à des contraintes à la fois vastes
et spécifiques. Les aspects techniques ne représentent qu’une
petite partie du problème. Tous les pans de l’entreprise sont
impactés : la stratégie, l’organisation, les processus, les
ressources humaines, les métiers, les valeurs, la culture, le
pilotage, etc. Pour ce faire, nous nous appuyons non seulement
sur l’état de l’art dans ces différents domaines, mais aussi et
surtout sur les personnes capables de mener en interne de tels
projets. Ce sont les « agents du changement » souvent
amenés aux plus hautes responsabilités après un tel projet. En
conclusion, c’est tout sauf une sinécure, mais ô combien intéressant !
Vous vivez une carrière professionnelle en seulement quelques
mois !
Vous avez mené récemment une grande enquête
sur l’évolution du métier de Directeur Informatique. Quels sont
les principaux enseignements tirés de cette étude ?
En
premier lieu, l’informatique est encore largement cantonnée dans
un rôle de prestataire de services. Moins de la moitié des entreprises
estime travailler dans une logique de partenariat avec les instances
dirigeantes, en se comportant comme une force de proposition dans
le but d’améliorer la performance de l’organisation. Heureusement
les choses évoluent. En effet, le rattachement du Directeur Informatique
à la Direction Générale est de plus en plus fréquent
Dans
un second temps, les responsables informatiques sont convaincus
en grande majorité d’apporter une réelle valeur ajoutée à leur
organisation. Pourtant, ils sont moins de 15% à être capables
de la mesurer même partiellement, et les indicateurs communément
utilisés demeurent orientés coûts. C’est à la fois antinomique
et révélateur de la crise managériale dans laquelle nous nous
trouvons.
Enfin,
l’essentiel des ressources financières et humaines dédiées à l’informatique
est encore consacré à des tâches non forcément différenciatrices
pour l’entreprise. C’est beaucoup. Cela fait sans doute le jeu
de l’industrie informatique qui en profite largement, mais certainement
moins des entreprises. Ces dernières subissent les politiques
agressives des sociétés informatiques sans forcément avoir le
choix. Changer régulièrement de version de système d’exploitation
ou de sa suite bureautique engendre des coûts substantiels, sans
pour autant amener une réelle valeur ajoutée pour l’organisation.
S’ils
réussissent à franchir tous ces obstacles, nous pensons que les
responsables informatiques sont voués au plus bel avenir. Le challenge
est de taille, mais ils sont bien armés pour réussir.