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François
MALYE
Journaliste - Sciences et Avenir
"Le
difficile chemin
vers la transparence du système de santé français"
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L'enquête
de Sciences
et Avenir parue dans le numéro de septembre du mensuel a
provoqué de nombreuses réactions dans le monde de la santé. Le premier
classement des hôpitaux français recensant les 50 meilleurs et les
50 les moins performants pour 5 interventions chirurgicales a mis
à mal beaucoup d'habitudes solidement installées, à commencer par
celle du secret. Si le secret médical est parfaitement justifié
dans les relations des praticiens avec leurs patients, rien ne le
justifie lorsqu'il s'agit de la nécessaire transparence des résultats
des organismes de soins. L'évaluation, l'accréditation, le contrôle
de qualité désormais largement répandus ne peuvent rester durablement
à l'écart du domaine de la santé. Chacun l'admet en théorie, mais
les choses deviennent plus compliquées lorsqu'il faut passer aux
actes.
C'est ainsi
que les journalistes de Sciences et Avenir ont eu toutes les peines
du monde pour accéder à des données censées être publiques. Huit
mois ont été nécessaires malgré l'avis positif de la Commission
d'accès aux documents administratifs (CADA) pour en obtenir copie.
Encore des pans entiers de l'information hospitalière manquent-ils
aujourd'hui à l'appel: l'Assistance
Publique des hôpitaux de Paris a refusé de transmettre les
données concernant les CHU parisiens. Il en est de même pour les
Hospices
Civils de Lyon. Quant à la Caisse Nationale d'Assurance-maladie,
elle ne s'est elle pas sentie jusque là autorisée à fournir les
résultats concernant les cliniques privées. Et les analyses publiées
dans le mensuel ont suscité de nombreuses réactions indignées.
L'urgence
de la réforme du système de santé et notamment de son volet hospitalier
font pourtant l'objet d'un consensus unanime. Et il est bien évident
que le préalable à une telle réforme consiste à pouvoir connaître
et discuter publiquement les résultats actuels de l'institution.
Sciences
et Avenir ne compte pas s'en tenir là. Dans quelques jours paraîtra
le Guide de l'hospitalisation qui permettra à chaque citoyen de
connaître les performances des principaux hôpitaux pour 23 interventions
courantes. Enfin le prochain numéro de la revue proposera à ses
lecteurs la suite de l'enquête dont la première partie est parue
en septembre.
Quelles
que soient les réactions actuelles, il est déjà certain que les
conséquences de cette étude seront importantes. L'évaluation est
désormais entrée dans le monde médical. Et les pouvoirs publics
(Ministère de la Santé, Sécurité Sociale)
vont sans doute devoir réfléchir à l'éventualité de fournir eux-mêmes
à l'ensemble des français les informations indispensables à la prise
en charge personnelle de leur santé.
Nous avons
cherché à mieux comprendre les ressorts de cette évolution en interrogeant
François Malye, l'un des responsables de l'enquête de Sciences et
Avenir.
1-
Comment est née l'idée d'une comparaison statistique de l'activité
des hôpitaux français ?
L'idée
de départ était celle d'une enquête journalistique sur le fonctionnement
des hôpitaux. En cherchant les documents permettant de recenser
l'activité des centres hospitaliers, nous nous sommes aperçu que
des bases statistiques existaient déjà, et notamment la SAE : statistiques
d'activité des établissements, ainsi que des rapports individuels
de la CNAM (Caisse Nationale d'Assurance-maladie) sur chacun des
centres hospitaliers. A cette occasion nous avons découvert que
les premiers recueils de PMSI ( Programme de médicalisation des
systèmes d'information) venaient d'être réalisés. La richesse de
cet outil nous est immédiatement apparue, mais nous n'avons pas
pu en disposer pour la première enquête effectuée l'an dernier.
Nous avons donc traité le sujet à l'époque avec les seuls éléments
dont nous disposions. En attendant de pouvoir consulter le PMSI,
ce qui nous a pris huit mois, nous avons approfondi notre connaissance
de cet outil complexe pour pouvoir l'analyser dès qu'il serait en
notre possession. Nous avons découvert toutes ses potentialités
et constaté qu'en travaillant avec des informaticiens nous pouvions
en tirer des renseignements extrèmement nombreux, extrèmement pertinents
et avec une extrème rapidité.
2-
Comment analysez-vous les réactions pour le moins réservées de nombreux
responsables hospitaliers à l'enquête de 1997?
Parmi les
nombreuses réactions négatives de la part des hôpitaux, une bonne
part témoignaient d'une mauvaise foi évidente : ce ne sont jamais
les bons indicateurs, etc. Nous avons été assaillis de demandes
de droits de réponse que nous avons publiés pendant six mois, en
les assortissant évidemment de nos commentaires chaque fois - c'est
à dire la plupart du temps - que ces réponses étaient hors sujet.
Nous avons subi également quelques procès - dès que l'on touche
à l'hôpital, de toutes façons il y a des procès - mais en fait ils
ont été très peu nombreux. Nous avons également eu de nombreuses
réponses très positives, de la part de professionnels de la santé,
d'enseignants, d'experts. En fait il y a deux discours : le premier
médiatique et critique de la part de certains responsables, le second
très positif de la part de professionnels qui pour la première fois
avaient accès à des informations qu'ils cherchaient depuis longtemps
et que personne ne leur avait jamais données.
3-
Cette année les réactions ont-elles été très différentes?
Une première
nouveauté par rapport à l'an dernier, c'est le nombre de demandes
d'information. Beaucoup de professionnels se sont aperçu que nous
étions les seuls à disposer - ou plutôt à avoir analysé - cette
base d'information nationale qu'est le PMSI. Lorsqu'ils ne sont
ni dans les 50 premiers ni dans les 50 derniers, ils nous appellent
afin de connaître les statistiques sur leur activité comparée à
celle des autres, ce qui nous semble un très bon réflexe.
Beaucoup
de réactions de patients également qui nous font part des difficultés
qu'ils ont rencontrées et des anomalies qu'ils ont pu constater.
Dans l'autre
sens nous retrouvons les mises au point embarassées ou franchement
de mauvaise foi, comme par exemple celle de l'Assistance Publique
qui essaye de justifier son refus de nous communiquer son PMSI au
motif qu'il ne serait pas individualisé par hôpital. Si cela est
vrai, ce dont je doute fort, c'est très inquiétant pour l'APHP.
Mais dans
tous les cas ce qui est apparent, c'est que les réactions sont beaucoup
moins méprisantes que l'an dernier car tout le monde sait que nous
avons tous les dossiers. Quant à ceux qui nous disent que les statistiques
concernant leur hôpital ne sont pas valables parce qu'elles ont
été mal codées, ils ne devraient pas employer cet argument : feriez
vous confiance à un hôpital qui n'a pas été capable de coder correctement
les statistiques de son activité ?
Enfin un
dernier point à noter, c'est l'afflux de demandes par Internet.
Ceci est nouveau et nous incite à penser qu'il y a là une piste
pour une offre de contenus nouveaux sur ce média dont chacun sent
bien l'immense potentialité mais avec lequel on ne sait pas encore
trop quoi faire.
4-
Certaines critiques portent sur la méthodologie de l'étude et
notamment sur le trop petit nombre de critères retenus
Plus on
veut intégrer de critères et plus les choses deviennent inclassables.
Il faut donc rester le plus simple possible. Mais je ne crois pas
que les biais éventuels soient importants. La meilleure preuve c'est
qu'après avoir fait une analyse des 512 sites, comme par hasard
on retrouve presque exactement les estimations des documents de
l'assurance-maladie. Si l'on veut complexifier les choses, on retrouvera
sans surprise une usine à gaz bien française d'où l'on ne peut rien
tirer, ce qui d'ailleurs était peut-être jusqu'alors le but recherché.
Les trois critères principaux que nous avons choisis me paraissent
inattaquables : l'activité, la mortalité et l'attractivité de l'hôpital
au delà de sa zone géographique.
Il n'est
pas inintéressant non plus de constater ce que font les autres pays
qui utilisent comme nous l'avons fait des indicateurs simples et
surtout compréhensibles par le grand public, car c'est à lui que
ces renseignements sont en définitive le plus utile.
Suite
de l'interview
10 septembre 1998
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