Les
inconnues de la
Couverture Maladie Universelle
Mathieu
OZANAM
26 avril
2000
Suite et fin (2/2)
Des coûts
de fonctionnement inconnus
Les
débats parlementaires ont été animés lorsque la question du seuil
daccès à la CMU a été abordée. Quel est le niveau le plus
juste pour attribuer la CMU ? 3 500 francs comme le proposait
le gouvernement, ou 3 800 francs comme le voulait lopposition
et certains membres de la majorité ? Les contraintes de financement
ont finalement emporté la décision, et cest la limite basse
qui a été retenue. Les bénéficiaires de lallocation adulte
handicapé (AAH) et du revenu minimum vieillesse ont donc été rejetés
du dispositif pour quelques centaines de francs supplémentaires.
Mais
ces restrictions voulues par le législateur pourraient être difficiles
à faire respecter. Le sénateur Jacques Oudin, vice-président de
la Commission des finances du Sénat, juge que les organismes dAssurance
maladie feront face à des difficultés quasi-insurmontables pour
vérifier les conditions de ressources des bénéficiaires. La CNAMTS
devra en effet se contenter dune simple déclaration des postulants
de lancienne AMD à la CMU complémentaire. Difficulté que ne
rencontrera pas le régime agricole puisquil gère en un guichet
unique à la fois la branche Famille, Maladie et Vieillesse, ce qui
lui assure une connaissance plus fine de ses assurés. En tout état
de cause, lestimation de 6 millions de bénéficiaires pourrait
donc être dépassée, sans que lon puisse dire dans quelle proportion.
Par
ailleurs, alors que la CNAMTS avait demandé au ministère lautorisation
de créer 3000 emplois nouveaux pour rattraper le retard dans le
traitement des feuilles de soins et faire face à lafflux de
personnes désireuses de sinscrire à la CMU, le ministère a
permis lembauche de 1400 personnes (dont 500 en CDD). Il faut
à présent les former et les payer, et tout ceci dans le contexte
de lapplication des trente-cinq heures. Ces surcoûts de fonctionnement
qui nont pas été inclus dans la loi, et ne sont donc pas " visibles ",
peuvent être évalués à environ 200 millions de francs supplémentaires
pour 2000.
Les
Mutuelles, Assurances et Caisses de prévoyance qui prennent en charge
la partie complémentaire reçoivent un forfait de 1500 francs par
personne prise en charge. Cette somme paraît insuffisante pour certains
qui jugent que la réalité se rapprocherait plutôt des 1900 francs.
M. Jacques Oudin estime quun dépassement de 15% du forfait
prévu représenterait un coût supplémentaire pour lEtat et
les organismes complémentaires de 1,2 milliards de francs. Face
aux conséquences financières de la tempête qui a frappé la France
en décembre dernier, les assureurs ont annoncé une hausse des primes
pour les années à venir. Que feront-ils si la CMU coûte plus que
prévu ?
La
Fédération Française des Sociétés dAssurance (FFSA)
réfléchit dores et déjà à la possibilité de déposer une plainte
devant la Cour européenne de justice. Le raisonnement qui pourrait
appuyer cette action en justice est le suivant : dans le cadre
de la CMU complémentaire, si les dépassements de forfait sont supportés
par les CPAM, lEtat les prendra à sa charge, tandis que sil
sagit des organismes complémentaires dassurance maladie
(OCAM), ils devront en assumer seuls le coût.
Une explosion des dépenses de santé ?
Personne
ne peut aujourdhui prédire quel sera son impact sur lévolution
des dépenses maladie. La CPAM de Maubeuge souligne quil est
encore trop tôt pour savoir si le nombre de demandes de remboursement
augmentera ou non de façon significative. La rapidité avec laquelle
a été conçue la CMU na pas permis de définir a priori quels
indicateurs mettre en place pour réunir les informations adéquates.
Un groupe de travail national se penche actuellement sur le sujet
et devrait donner ses conclusions dans quelques semaines.
M.
Jacques Oudin a quant à lui émis des mises en garde dans son rapport
sur le projet de loi. Il estime quil pourrait y avoir "
un effet de rattrapage " de la part de personnes qui ont
longtemps été tenues éloignées du système de soins. Cette analyse
de la situation est confortée par létude du IRDES qui affirme
que " les personnes à revenus modestes souffrent davantage
daffections pulmonaires, de troubles mentaux ou de sommeil,
de troubles digestifs et du système nerveux ". Il
se pourrait aussi que les dépenses liées aux soins dentaires et
à lophtalmologie croissent de façon plus que proportionnelle
à larrivée des bénéficiaires de la CMU, le nouveau dispositif
prévoyant des prises en charge à 100% avec la complémentaire (contre
70% pour lassuré social lambda sans complémentaire).
Cependant
rien ne prouve encore que nous assisterons à une explosion des dépenses
de santé. La décision de recourir à des soins repose en effet sur
des ressorts économiques mais aussi socio-culturels. Lavenir
dira si la création de la CMU rééquilibre légalité daccès
aux soins.
La CMU renouvelle la conception de la protection
maladie
Attendue
et présentée comme une grande avancée sociale, la CMU introduit
de nouveaux concepts.
Dabord
lassurance maladie nest plus seulement rattachée à louverture
de droits par le travail mais repose, et cest une première,
sur des critères de résidence. Prenant acte de lévolution
de la structure de la population française et notamment du nombre
grandissant de retraités, les gouvernements successifs ont fait
le choix, à la suite de Michel Rocard en 1991, daugmenter
peu à peu le taux de la Contribution sociale généralisée (CSG) qui
sapplique aux revenus de lépargne, des retraites et
du travail. Cest la fiscalisation des sources de financement
de la Sécurité sociale. Si cette logique se poursuit, le critère
du travail ne serait alors plus la référence pour létablissement
de droits de protection sociale, puisque le financement serait déconnecté
de lactivité.
La
CMU introduit également la notion de panier de biens et services,
cest à dire dun périmètre des soins remboursés. Défini
conjointement par les régimes de base et les organismes complémentaires,
il peut être révisé périodiquement. Faut-il y voir les premiers
pas en direction dune sorte de liste de services ou soins
prioritaires sur le modèle de lOregon
Health Plan qui repose sur des critères de coût-efficacité des
soins pris en charge ? Il est bien trop tôt pour y répondre et la
perspective de voir sétablir en France un tel système paraît
lointaine en raison des différences culturelles.
Il
nen demeure pas moins que certains sinquiètent de la
couverture partenariale de la CMU, craignant quelle nouvre
la voie à un rôle croissant des organismes complémentaires, dont
les assurances privée. Le protocole daccord concernant la
mise en place de la CMU, contenu dans le plan stratégique du 12
juillet 1999, paraît traduire une évolution des états desprit.
Les signataires se déclarent notamment " convaincus
que seule une synergie forte entre régimes obligatoires et institutions
complémentaires peut permettre une maîtrise globale et durable des
coûts de santé et une plus grande efficacité du système de santé ".
Une vraie révolution !
Concrètement
le protocole prévoyait que le principe de subsidiarité serait appliqué.
Autrement dit, à moins dune carence constatée des organismes
complémentaires, la partie complémentaire de la CMU serait prise
en charge par les OCAM. Le choix du bénéficiaire se fait à partir
dune liste close le 1er avril 2000, présentée par le régime
de base de référence de lassuré.
Les
OCAM qui le souhaitaient se sont inscrits auprès de chaque préfet
de région. Pour éviter la sélection des assurés, les organismes
ne peuvent refuser de sinscrire dans une région dont les indicateurs
de santé seraient en deçà de la moyenne nationale (55 organismes
complémentaires sont inscrits dans le Nord-Pas-de-Calais).
Il
est aujourdhui encore trop tôt pour dire si lassuré
CMU préférera navoir quun seul guichet pour tous les
remboursements (de base et complémentaire), ou sil optera
pour un OCAM. Cependant une polémique a récemment vu le jour. La
Fédération des Mutuelles de France et la Fédération Nationale de
la Mutualité Française affirment que dans huit cas sur dix la gestion
de la part complémentaire est confiée au régime de base par manque
dinformation de lassuré.
Alors
si le régime obligatoire se met à faire le métier des organismes
complémentaires, pourquoi ces derniers ne retourneraient-ils pas
de largument pour demander à leur tour de gérer lassurance
maladie de base ?
La
CMU recèle bien des inconnues qui se lèveront peu à peu. Au mois
de juin le nombre de bénéficiaires sera révélé, et leur choix pour
le volet complémentaire sera arrêté. Le débat sur la CMU pourrait
alors rebondir.
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