La
recherche développement des laboratoires pharmaceutiques
Cécile
Hourcade :
le
processus de sélection de projets dans
l’industrie pharmaceutique.
Existe-il des biais de sélection systématiques ?
19
février 2001
suite et fin (2/2)
L’industrie
pharmaceutique a un rôle déterminant dans la recherche et développement
de nouveaux médicaments. L’article s’intéresse au processus de sélection
de projets (molécules en développement) internes aux firmes pharmaceutiques.
Il peut exister des biais de sélection liés à des inégalités entre
projets vis-à-vis de l’information sur le marché et sur les préférences
publiques. L’article pose la question des signaux possibles de la
part des pouvoirs publics pour réduire ce biais.
Aujourd’hui, la problématique essentielle des laboratoires n’est
pas la recherche de nouvelles molécules mais plutôt la sélection
des projets que les laboratoires pousseront jusqu’à leurs phases
de marketing et de commercialisation. L’objectif des laboratoires
n’étant pas de sortir une multiplicité de molécules peu innovantes
mais de rechercher celles qui deviendront des « blockbuster »
c’est à dire celles qui leur offriront une augmentation signifiante
de leurs part de marché.
Les recherches de Cécile Hourcade sont consacrées à la production
des innovations médicamenteuses et aux processus de choix des projets
de R&D de l’industrie pharmaceutique. on objectif final sera
de faire la démonstration théorique de l’existence d’incitations
« gagnant-gagnant » des pouvoirs publics sur les politiques
de recherche des laboratoires.
Une série d’entretien a été menée dans 4 laboratoires pharmaceutiques
français. Les points de vue des différentes fonctions ont été représentés :
R&D, marketing, affaires réglementaires, pharmaco-économie.
Puis cette étude a été complétée par une analyse bibliographique,
toutefois assez faible car peu de ressources existent sur le sujet.
Les déterminants de la sélection des projets
Les
décisions autour d’un projet pharmaceutique s’organisent à trois
niveaux :
-
décisions
de stratégie générale : définition
des programmes de recherche selon l’analyse de portefeuille
de projets, des marchés à fort potentiel économique, l’actualité
concurrentielle des découvertes scientifiques récentes
-
allocation
des ressources : décisions
de moyen terme, fixation annuelle des budgets, après présentation
par chaque responsable de projet de ses résultats et de ses
besoins financiers
-
décisions
opérationnelles : poursuite ou non du processus à chaque
moment du développement du produit (décisions de type go /
no go) : recherche exploratoire, sélection de molécules,
essais sur les animaux, phase 1, phase 2, phase 3, puis procédures
d’admission du médicament
Les paramètres d’évaluation d’un projet
S’agissant
d’entreprises privées la rentabilité a bien évidemment un poids
très important dans l’évaluation des projets. Mais elle ne suffit
pas. Pour appuyer leurs décisions les entreprises utilisent un certain
nombre de paramètres :
-
Les
indicateurs financiers qui visent à cerner la valeur économique
du projet : ROI (Return On Investment), NPV (Net Present
Value), espérance de la NPV qui prend en compte le paramètre
risque, lié à la probabilité d’aller jusqu’à l’AMM.
-
Les
paramètres cliniques et
médicaux : pathologie concernée par la molécule, efficacité,
effets secondaires, toxicité au regard de l’efficacité…. Les
sources d’incertitude dans l’évaluation du profil thérapeutique
sont multiples : pour 20 à 30 molécules en développement
pré-clinique, seule une (en moyenne) sera effectivement mise
sur le marché. Le profil thérapeutique n’est bien connu qu’en
fin de phase III. Le risque technique est formalisé sous la
forme d’une échelle de risque qui se traduit souvent en terme
de probabilité de passage d’une phase à l’autre (la méthode
classique étant de faire une moyenne sur un historique de projets
antérieurs).
-
Le
positionnement du projet dans l’environnement interne du laboratoire
dépend de deux notions : les champs thérapeutiques sur
lesquels il est spécialisé et la structure de communication
et de commercialisation. Il s’agit de paramètres d’adéquation
entre un projet et la stratégie globale.
-
Les
coûts de R&D, de production
et de marketing : les coûts de promotion dépendent du type
de pathologie visée : pour les grandes innovations (pathologies
moins connues), les coûts de formation et d’appropriation par
les médecins sont très importants. Pour les pathologies plus
connues, si l’appropriation par les médecins n’est plus à faire,
la guerre commerciale entraîne aussi des coûts élevés.
-
Le
marché et la concurrence :
fonctiondu marché cible et de la part de marché que le laboratoire
pourra exploiter. Deux notions sont distinguées : le marché
existant (comparaison aux produits existants) et la veille concurrentielle.
La veille concurrentielle, qui se développe de plus en plus
dans les laboratoires, vise à recenser et estimer les produits
des laboratoires concurrents. Chacun traite les informations
en interne selon ses méthodes propres, plus ou moins formalisées
et standardisées au sein de l’entreprise.
-
Le
prix et le mode de prise en charge :
Ce paramètre dépend directement des systèmes de santé des pays.
La
sélection des projets nécessite de faire des compromis entre ces
paramètres antagonistes classés en trois catégories :
Hypothèses sur les biais de sélection
Le
modèle actuellement en cours de développement par l’auteur vise
à tester les hypothèses de biais dans la sélection des projets.
Les différentes sources d’incertitude évoquées précédemment, représentent
un risque pour l’entreprise, risque qui se traduit par un biais
dans la sélection des projets en développement. L’industrie voulant
éviter les risques, elles se traduisent par un biais dans la sélection
des projets en développement.
La
première hypothèse de l’auteur est que les laboratoires favorisent,
à rentabilité égale, les projets pour lesquels ils disposent d’informations
les plus fiables. En effet, les données épidémiologiques portant
sur chaque marché sont variables.
La
deuxième hypothèses est qu’il n’existe pas en Europe de signaux
des pouvoirs publics permettant à un laboratoire d’évaluer pendant
le développement, la valeur que donnera le futur acheteur à son
produit. Les entreprises se basent donc sur l’existant. Ainsi sont
mieux documentés les produits visant le traitement des pathologies
qui disposent déjà de traitement. Il existe donc un biais systématique
dans la décision.
La
troisième hypothèse est que la réduction « intelligente »
de ces incertitudes serait positive à la fois pour le laboratoire
(rentabilité) et pour les pouvoirs publics (amélioration de la qualité
des innovations au regarde de leur coût).
Les
laboratoires demandent aujourd’hui à l’Etat de construire ce type
de signaux. Le fonctionnement américain donne un exemple concret
de ce type d’incitation : la FDA exprime de manière informelle
ses priorités aux laboratoires pharmaceutiques lors des étapes institutionnalisées
de contrôle des essais cliniques. Il faut remarquer qu’aux Etats-Unis,
hormis l’AMM, et le poids des payeurs Medicaid et Medicare, l’Etat
n’a pas de contrôle sur la commercialisation des produits. En Europe,
les signaux amont n’existent pas et la régulation aval est plus
développée, et représente une indication importante sur les priorités
de l’Etat en termes de santé. Mais ces signaux en aval ne concernent
que certains types de médicaments ou pathologies, et pas nécessairement
ceux où la recherche n’a pas encore comblé les manques.
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19 février 2001
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