Interview
du professeur Bader
La santé en plan(s)
7 février
2000
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"J'essaie
de déboulonner dans ce livre un certain nombre d'idées
qui ont cours actuellement (
) elles arrangent ceux
qui estiment que la hausse des dépenses est uniquement
de la responsabilité des professionnels de santé et des
laboratoires ."
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7
février 2000
suite (2/3)
Justement, à ce propos, vous citez l'exemple des antidépresseurs.
Absolument, il y a
une guerre d'école. Pour certains spécialistes, on prescrit des
antidépresseurs à tort et à travers. Toutefois, toutes les études
qui ont été menées à ce sujet et qui sont un peu sérieuses montrent
que, si des antidépresseurs sont en effet prescrits à des personnes
qui n'en ont pas besoin, il y a surtout un très grand nombre de
déprimés qui ne sont ni diagnostiqués ni soignés. Encore une fois,
on ne parle que des surconsommations et extrêmement peu des sous-consommations,
parce que cela arrange tout le monde.
L'un des chapitres de notre
livre s'intitule "L'informatique, telle JANUS au double visage".
Qu'entendez-vous exactement par cette formule ?
Je
parle du codage des pathologies pour expliquer qu'il est souhaitable
mais très difficile à mettre en uvre et à interpréter. L'informatisation
du système de santé, que ce soit au niveau du cabinet du médecin,
de l'enregistrement des actes, de la circulation des informations,
etc. est une nécessité à ce point incontournable que dans une dizaine
d'années, on aura peine à imaginer qu'on pratiquait la médecine
comme on le fait encore trop souvent actuellement avec un dossier
médical écrit à la main.
L'informatisation du
système de santé, et en particulier celle du cabinet médical et
du dossier médical, va considérablement améliorer la qualité de
la médecine et des soins, mais il ne faudra pas essayer d'en faire
un instrument quasi policier qui permettra de surveiller d'une manière
obsessionnelle le médecin dans sa relation avec un malade. Tous
les informaticiens savent que les agrégats des données permettent
d'obtenir des données statistiques mais ne pourront jamais dire
qu'un médecin traite bien ou mal son malade. C'est pour cela que
je défends l'évaluation en face-à-face. Nous pourrons d'ailleurs
en parler ultérieurement.
Vous êtes favorable au concept de panier de soins pour maîtriser
la hausse des dépenses. Comment pourrait-on instaurer ce concept
en France et quel est son lien avec l'évaluation ?
Vous
savez, le panier de soins existe déjà. Certains soins et médicaments
sont plus ou moins remboursés par la Sécurité sociale. Ce que je
dis, c'est qu'il faudra certainement le développer puisque la différence
entre la somme potentielle des dépenses de santé et la somme que
la collectivité acceptera de prendre en charge ne fera que grandir.
Il arrivera un moment où l'écart sera tellement important qu'il
faudra choisir de façon formelle et transparente ce qui peut être
pris en charge par la collectivité. Le panier de soins devra être
déterminé de la façon la plus éthique possible, notamment grâce
à l'évaluation pour ne pas déboucher sur des situations d'injustice
grave.
Pour le moment, l'évaluation
est loin d'être parfaite. Elle est tout à fait aléatoire. Prenez
l'évaluation du panier des médicaments. Il faut que cette évaluation
soit permanente. Il ne suffit pas d'évaluer un produit à un jour
J. L'évaluation que je prône aura bien entendu un coût. Beaucoup
de personnes vont être mobilisées qu'il s'agisse de l'évaluation
des actes ou de l'évaluation des pratiques, et les médecins évaluateurs
ne devront pas se comporter en fonctionnaires coupés de la réalité
de la pratique.
L'évaluation n'est
pas la solution magique et exclusive mais c'est une des conditions
de l'évolution du système. Quand les professionnels de santé ne
seront plus traités en boucs émissaires (toujours tenus responsables
des dépassements de l'ONDAM), ils admettront que le contrôle qualité
est indispensable.
Cela prend du temps et impose un travail supplémentaire. Envisageriez-vous
que les professionnels de santé soient rémunérés pour cela ?
Vous touchez du doigt
un autre problème qui est celui de la rémunération de l'acte médical,
qui est ridicule. Le prix de la consultation est celui de deux places
de cinéma ou d'une coupe chez un coiffeur. C'est complètement scandaleux.
On a dévalué l'acte, et il dure dix minutes maintenant. C'est absurde.
A la fin de mon ouvrage, je me suis amusé à rédiger le double Décalogue
de la prescription où figurent les 20 items qu'un médecin doit
respecter quand il prescrit un seul médicament : posologie,
précautions d'emploi, interactions médicamenteuses, insuffisance
rénale, poids, âge, ordonnanciers bi-zones, actes à prescription
initiale hospitalière, etc. Or, comme je l'ai dit, l'acte médical
de base, la consultation a été tellement dévaluée (115 F) que sa
durée moyenne actuelle dépasse à peine 10 minutes.
Suite
et fin de l'interview(3/3)
7 février 2000
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