« Vous
ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui se promènent dans
les couloirs des hôpitaux, pour la simple raison qu’ils ont vu la
série Urgences à la télévision. Ils viennent parce qu’ils pensent
que c’est le dernier lieu à la mode ».
Le
point de vue de ce médecin britannique recueilli par le Guardian
est révélateur d'un vrai problème pour le NHS :
l’engorgement des services hospitaliers, surtout à l’approche de
l’hiver.
Les malades
s’adressent en priorité aux urgences en cas d’inquiétude. NHS
Direct, un centre d’appel institutionnel, veut s’interposer
pour orienter les patients dans le système de santé.
« Get the right treatment »
L’épidémie
de grippe qui a touché la Grande-Bretagne l’an dernier a surpris
par son ampleur. Cette année, le gouvernement s’est préparé avant
même le début de l’été. Les élections générales ayant lieu au printemps,
il ne faut pas que pareille mésaventure se reproduise. La campagne
publicitaire « Get the right treatment » d’un montant
de deux millions de Livres (soit près 20 millions de
francs), lancée en octobre, vise la population par voie de presse,
d’affichage et en radio. Il s’agit d’encourager les assurés à se
faire vacciner contre la grippe et à s'adresser aux infirmières
du NHS Direct en cas de rhumes ou de tracas mineurs, plutôt que
de se rendre chez leur généraliste ou dans un service d’urgence.
En France
comme en Grande-Bretagne, les recettes des publicitaires pour s’adresser
aux plus de 65 ans sont les mêmes. Rien ne vaut le recours
à un prescripteur, une personnalité charismatique qui porte bien
ses années et ménage sa santé. A ma droite, la CNAMTS
fait appel à Michel Galabru pour sa campagne de vaccination, et
à ma gauche le NHS choisit l'ancien boxeur Sir Henry Cooper. Reste
à savoir si cela suffira. L’une des agences de publicité retenue
admettait elle-même que « le problème posé par l’arrivée de
l’hiver ne pourra pas être résolu par la publicité. Il s’agit surtout
de savoir combien de personnes seront malades par rapport au nombre
de médecins et d’infirmières susceptibles de délivrer le traitement
adapté ».
Le NHS Direct : un gate-keeper supplémentaire
Le
ministère de la santé britannique fonde de grands espoirs dans le
service NHS Direct. Ce centre d’appel téléphonique lancé en décembre
1997, vise à assurer 24 heures sur 24 un accueil téléphonique aux
personnes qui ont des doutes sur leur état de santé. Annoncé dans
le Livre blanc intitulé « Le Nouveau NHS », c’était une
innovation, mais aussi la reconnaissance tacite qu’il n’y avait
pas suffisamment de médecins généralistes pour répondre à la demande
des patients. Ce call center tenu par des infirmières se substitue
au médecin généraliste dans le renvoi des patients vers l’hôpital
ou vers leur médecin. Le service devrait couvrir 65% de la population
à Noël.
C’est
aussi un moyen de réaliser des économies. Chaque appel à la hot
line coûte environ 8 Livres, contre 10,55 Livres pour une visite
au généraliste et 42 Livres aux urgences en cas d’accident. Soit
un coût annuel de 54 millions de Livres et de 80 millions quand
tout le pays sera couvert. Chaque semaine près de 60 000 appels
sont traités, un quart d’entre eux concernant des enfants de moins
de cinq ans. Beaucoup d’adultes appellent aussi pour leurs parents
âgés qui disent ne pas oser déranger le médecin pour rien ».
Un sondage réalisé par le Ministère de la santé la nuit de Noël,
alors que le service était au maximum de ses capacités, a indiqué
que 90% des personnes ayant appelé étaient satisfaites. Par ailleurs
48% d’entre elles avaient reçu le conseil de se traiter elles-mêmes
à leur domicile, mais depuis la création du service 24 000 personnes
ont été hospitalisées suite à leur appel.
Une hot-line on line
NHS
Direct s’est enrichi au printemps d’un site Internet appelé à devenir
le portail d’information santé de référence en Grande-Bretagne.
L’implantation de 200 terminaux à écran tactile dans des lieux
publics (supermarchés, pharmacies, universités, Docks de Liverpool
et terminal du ferry dans le Kent) préfigurent les 500 bornes réparties
dans tout le pays à l’horizon 2004. Un des six groupes de travail
initié par Tony Blair pour émettre des propositions sur la modernisation
du NHS a suggéré de doter les britanniques d’une carte de santé
qui leur permettrait d’avoir accès à leur dossier de santé depuis
ces bornes. Les médecins et les infirmières de l’hôpital ou de la
hot line auront un accès aux informations privées sur la base de
données centralisée.
Le site
NHS Direct se veut dès aujourd’hui très grand public en proposant
200 « audio-clips » de 3 à 10 minutes pour les personnes
qui ont des difficultés de lecture. Il devrait compléter son information
en offrant des rubriques sur les maladies rares et en mettant les
familles des malades en relation. Autre nouveauté : le débat
en ligne une fois par mois avec le professeur Mike Richards, cancérologue
renommé. Les maladies cardiaques devraient elles aussi trouver leur
place sur le site. Le gouvernement entend ainsi faire la démonstration
de la confiance qu’il met dans le NHS Direct.
Des rapports aux conclusions divergentes
En
octobre, le ministère de la santé a publié un rapport qui démontre
que NHS Direct est un moyen d’accès au NHS aussi sûr que n’importe
quel autre. Il répond aux critiques selon lesquelles les infirmières
traitant les appels ne seraient pas suffisamment expérimentées pour
faire face aux problèmes les plus graves. L’étude menée par l’Université
de Sheffield dépeint un tableau optimiste du service. Il confirme
la popularité croissante de la ligne d’appel et montre qu’elle n’a
pas eu d’effet d’induction de la demande. Les enquêteurs ont au
contraire mis en évidence le fait que NHS Direct a freiné le recours
aux médecins de garde.
Ce n’est
pas le point de vue de Lauren Booth, la belle-sœur de Tony Blair.
Sa tribune publiée par le New Statesman a alimenté un début de polémique.
Après avoir été admise à l’hôpital, elle raconte : « Cinq
jours après mon retour chez moi, j’étais à l’agonie. Incapable d’aller
chez mon médecin généraliste, car je me sentais trop faible, j’ai
appelé NHS Direct. J’ai parlé à une voix dépersonnalisée qui m’a
dit de « voir mon généraliste ». j’ai tenu 24 heures de
plus et alors, en larme, j’ai à nouveau essayé d’appeler. Une
dame à la voix rassurante, qui « en était aussi passé par là,
ma chère » m’a conseillé de me mettre au lit avec un bouillotte
(…). Deux heures plus tard, j’arrivais aux urgences. Rester au lit
avec une bouillotte aurait été une erreur fatale ».
Le ministère
de la santé a rétorqué que le centre d’appels ne prodiguait pas
des diagnostics mais des conseils.
Une évaluation du service nécessaire
Une
enquête menée rendue publique en juillet par l’association de consommateur
Health Which abonde en ce sens. Les enquêteurs se sont fait passer
pour malades, atteints d’une angine. Dans l’un des cas, selon l’association,
les infirmières auraient dû poser plus de questions pour établir
que le « malade » avait fait un arrêt cardiaque et que
ses attaques d’angine devenaient plus fréquentes. Sur dix appels,
seule une infirmière s'est montrée assez curieuse. De plus,
les urgences potentielles n'étaient pas correctement traitées
alors que d’autres patients étaient envoyés aux urgences sans raisons
valables.
La British
Medical Association (BMA) ne dit pas autre chose. Lors de son assemblée
générale la BMA a appelé le gouvernement à cesser l’expansion de
NHS Direct et à pratiquer une évaluation du service. Certains
médecins soulignent que les infirmières sont une denrée rare et
qu’elles seraient plus utiles ailleurs. Dans les faits, les médecins
généralistes n’ont pas été impliqués dans l’élaboration du service.
Ils craignent de perdre leur rôle de gate-keeper et qu’une barrière
soit dressée entre leurs patients et eux-mêmes.
Le rapport
rendu par l’Université de Sheffield indique de plus que “ au cours
de sa première année, le NHS Direct n’a pas réduit la demande exercée
sur les services du NHS, bien que l’on puisse supposer qu’il ait
pu restreindre l’accroissement de la demande auprès des généralistes
de garde. D’un autre côté nous pouvons affirmer que rien ne tend
à prouver que le service a encouragé le recours à un médecin."
Lors de
l’inauguration du service, Tony Blair déclarait « NHS Direct
peut devenir un symbole à la fois d’un système de soins moderne
et équitable ». Mais le véritable problème du NHS, qui reste
l’inadéquation entre l’offre et la demande, est-il pour autant réglé ?
Suffit-il d’enjoindre les malades à se soigner soi-même pour résoudre
le problème ? Le gouvernement britannique sait bien que non.
L’accord conclu avec l’Espagne pour recruter 5 000 infirmières
espagnoles n’est que la première étape d'un plan d’embauche de 20 000 infirmières
sur quatre ans (lire notre brève du 07/11/00).
De la même façon 10 000 médecins devraient rejoindre les rangs
du NHS d’ici à quatre ans.
Et en
France, une telle expérience serait-elle imaginable sous cette forme ?
L’option du médecin référent qui est pourtant quelqu’un de bien
réel et non un simple contact téléphonique, n’a pas convaincu les
Français. La transposition paraît donc difficile. D’autant plus
que, comme le rappelle le Docteur Chassort, de l’Ordre des médecins,
« les médecins ont le monopole de l’exercice de la médecine,
et un premier contact avec le patient est indispensable » (lire
notre interview du Dr Chassort).
Le NHS
Direct est tout de même révélateur de l’évolution
que connaît l'exercice médical. Le médecin doit
désormais endosser les habits de l'ingénieur, comme
l'explique Claude Le Pen dans son dernier ouvrage Les habits
neufs d’Hippocrate: Du médecin artisan au médecin ingénieur
(lire l'interview
de Claude Le Pen et le compte
rendu de son ouvrage).