Assurance
maladie :
leffet "Titanic"
Alain
MERCURIOT
(suite)
Systèmes de financement de lassurance
maladie
On
distingue trois grands modèles :
1.
Le modèle dassurances privées
(en vigueur aux Etats-Unis ou en Suisse) est fondé sur la
souveraineté du consommateur et la domination du financement privé
au moyen de primes dassurances versées à des compagnies
privées par les employeurs ou les particuliers. Les facteurs de
production appartiennent également au secteur privé. Les figures
emblématiques de ce modèle sont les fameuses HMO
et les quelques centaines de Managed Care Organizations (MCO)
existant aux Etats-Unis.
2.
On appelle beveridgien le
modèle anglais du NHS.
Il se caractérise, dune part, par une protection sociale
universelle financée par la fiscalité nationale et, dautre
part, par la maîtrise par la puissance publique des facteurs de
production. Le système du NHS britannique sert de modèle de référence
lorsque lon évoque les filières de soins et la délégation
de budget (cf. Gate-keeper
et GP Fund Holders).
Le syndicat MG
France a dailleurs signé un avenant permettant lexpérimentation
de filières de soins.
3.
Le modèle bismarckien enfin,
dont la France et lAllemagne sont les exemples. Il se caractérise
par une protection sociale obligatoire, avec une dominante de
financement sur cotisations sociales liées à la rémunération du
travail. Il sorganise autour de caisses dassurances
sans but lucratif et lappartenance des facteurs de production
aux secteurs public et privé.
Le
débat est actuellement vif pour faire évoluer notre système vers
un modèle beveridgien ou vers
davantage de concurrence entre assureurs au premier franc. De
nombreux leaders dopinion souhaitent ainsi, sopposant
du même coup à Martine
AUBRY, lintervention des assurances privées au premier
franc. La CSMF
et le SML ont, tout récemment, soutenu la philosophie du projet
de réseau de soins expérimental du groupe AXA.
Typologie des mécanismes dassurance
privée
On
en distingue 3 types :
1.
Les mécanismes assurantiels fondés sur une relation
de supplémentarité. En vigueur actuellement en Angleterre,
Espagne ou Italie, les individus sy assurent pour disposer
dune couverture supplémentaire à celle fournie par lEtat.
Une telle assurance est assimilable, en Economie de la Santé,
à un bien de luxe.
2.
Les assurances au premier franc
(USA, Suisse ou Pays-Bas) où les assurances privées fournissent
lunique couverture dune partie importante des dépenses
non socialisées.
3.
Le modèle français de relation de complémentarité
dont le principe est la souscription dune police pour
couvrir la partie de soins non remboursée par le système dassurance
public.
Notons
que le système de santé français est souvent résumé, par les observateurs
étrangers, comme un système organisé autour dune " demande
passive solvabilisée par un système dassurance publique ".
Ces
quelques précisions apportées, il convient de remonter aux prémisses
de lEconomie de la Santé. K. Arrow
fut le premier économiste à sintéresser à ce secteur et particulièrement
à lincertitude de loffre et de la demande dans le domaine
de la santé. Il soutient ainsi quil existe des asymétries
dinformations altérant la relation patient / médecin.
La problématique de lasymétrie dinformations et la notion
de sélection adverse (ou antisélection)
Il
sagit dune situation où, dans le cadre dune relation
dagence, au moins un des
agents dissimule à lagent principal une information concernant
ses caractéristiques. Cest lhypothèse dans laquelle
le patient ayant des pratiques à risque ou consommant beaucoup de
biens de santé, se garde de préciser ces spécificités à son assureur
au moment de souscrire une assurance.
La couverture dun aléa donné conduit les individus les plus
exposés à sassurer davantage que les autres. Comme le souligne
Drèze, " seuls les mauvais risques sassurent
".
La
sélection adverse ne trouve apparemment de solution véritable que
dans linstauration dune assurance obligatoire. Or, un
tel système est confronté au problème de risque
moral.
Les
économistes de la santé construisent leur analyse des systèmes de
santé autour de la relation
dagence. Il sagit ni plus ni moins que
de lensemble des liens, à caractère principalement économique,
qui sétablissent entre un agent particulier et un ensemble
dautres agents. Autrement dit, cest une situation dans
laquelle un individu (le principal) passe par la médiation d'un
autre acteur (dans un contexte d'asymétrie d'information) pour atteindre
ses objectifs.
Cette
théorie est issue des théories de linformation
et des incitations. Lagent particulier est appelé
agent principal ou simplement le principal, tandis que les autres
sont appelés agents secondaires ou agents.
Dans
la plupart des situations de relations dagence, le principal
dispose vis à vis des agents dune autorité le mettant en position
dimposer ses propres préférences. Principal et agents communiquant
peu entre eux, il sest développé deux types de situation :
celle de sélection adverse et celle de risque
moral.
On
parle de relation dagence entre le corps médical et le grand
public, entre le corps médical et les payeurs et entre le corps
médical et les acheteurs (cf. budget délégué).
Relation dagence entre patients et corps
médical
Cette
relation est la plus intuitive à percevoir. Lasymétrie dinformations
a pour conséquence que le patient ne peut que sen remettre
à son médecin traitant. Toute la problématique de la demande induite
en découle : le médecin propose ou suggère des examens complémentaires
ou des visites régulières sans que le patient puisse juger de leur
opportunité. Aux Etats-Unis, les patients demandent maintenant à
être informés des incitations mises en uvre dans les HMO
afin de comprendre les décisions thérapeutiques de leur médecin
(et participer aux arbitrages). Il y a là une volonté de renforcer
le pouvoir des patients dans la relation d'agence par la levée de
l'asymétrie d'information.
Relation dagence entre le corps médical et payeurs
Dans
cette situation, les payeurs (cest à dire en France essentiellement
les caisses) demandent aux praticiens de respecter certaines règles
(prescription de médicaments génériques, respect des RMO,
etc.). La relation dagence est illustrée par le fait que les
payeurs ont les plus grandes difficultés à vérifier le respect de
ces bonnes pratiques. La situation sera évidemment bien différente
lorsque le codage des actes et des pathologies sera effectif. Dans
la mesure où la tutelle na pas les moyens dobserver
le niveau deffort des médecins, elle se voit contrainte dutiliser
des mesures incitatives, lenveloppe globale en étant un exemple.
La notion de risque moral découle de la relation
dagence
Il
sagit de la situation où au moins un des agents dissimule
au principal une information concernant ses actions. Une situation
de risque moral correspond, par exemple, au cas où un nouvel assuré
modifie son comportement après avoir souscrit un contrat dassurance
(fréquentes hospitalisations, négligences des mesures de prévention
élémentaires, etc.).
En
matière dassurance santé, on évoque le risque moral pour décrire
lattitude de ceux qui sexposent davantage au risque
sachant quils disposent dune couverture. Certains plans
de réforme de lassurance maladie se sont fondés sur cet argument
pour mettre en uvre une politique de déremboursement (plan
Seguin 1987, plan Veil 1993, etc.).
En
dautres termes, on peut affirmer que lassurance induit
une surconsommation.
Les
travaux déconomie publique (Laffont, 1985) indiquent ainsi
la nécessité de laisser une partie de la dépense à la charge de
lusager du service public, afin de limiter le risque moral.
Parmi
les études ayant tenté de comparer les différentes méthodes de réduction
du risque moral (co-paiements, franchises), la plus concluante est
celle de la Rand Corporation
aux Etats-Unis.
Il
y est démontré que la gratuité des soins entraîne
un niveau de consommation de dépenses de ville de 45 % supérieur
à celui des ménages qui acquittent 95 % de ticket modérateur jusquau
seuil de remboursement.
La théorie de la demande induite
Depuis
sa première formulation par R. Evans en 1974 (Supplier
Induced Demand), elle est régulièrement affinée par de nouvelles
enquêtes. Son principe est simple et plutôt intuitif : le
corps médical serait à même de favoriser la demande de soins et
ainsi de sassurer un revenu. Laugmentation
de la démographie médicale et de la densité médicale donnerait naissance
à des formes plus ou moins directes de " publicité ",
ce qui favoriserait la consommation.
Lalliance
tacite médecins / usagers est au cur de cette problématique.
Le patient exige de plus en plus de soins, de prescriptions ou même
darrêts de travail. Revendications que le médecin peut difficilement
refuser sous peine de voir ce patient se rendre chez un autre médecin.
La
France est davantage susceptible de rentrer dans ce modèle au regard
de la concurrence existant entre généralistes et la spécificité
de notre système qui fonctionne à guichets ouverts.
Lignorance
du patient est placée au cur de lanalyse et on émet
lhypothèse selon laquelle le médecin est à même dinfluer
sur le niveau et la nature de la demande de soins de ses patients.
Lutilisation
par le médecin de ce pouvoir discrétionnaire doit lui permettre
dajuster ses revenus réels au revenu quil désire, qualifié
de "revenu cible".
Elle implique la remise en cause de la souveraineté du consommateur.
On parle pour les médecins de "rente informationnelle".
Les médecins sont les premiers à se reconnaître une grande liberté
de prescription (et à se battre pour son respect), liberté qui leur
confère un pouvoir quasi discrétionnaire sur la fonction de demande.
D'après
une étude menée en 1986 par deux économistes américains (Romwell
et Mitchell), une augmentation de 10
% du nombre de chirurgiens ferait croître de près de 1 % le
recours par habitant aux soins chirurgicaux traditionnels.
Elle démontre également quil ne semble pas exister de création
de demande artificielle dans les zones rurales, à la différence
des zones urbaines.
Certains
économistes (Hoerger, 1989) ont poussé le raffinement jusquà
distinguer les consultations de nouveaux patients et les consultations
de patients déjà connus. Ils sont parvenus à démontrer que les médecins
à honoraires libres sont capables de discriminer le coût dune
consultation pour un nouveau patient. En revanche, les médecins
élèvent leurs prix au dessus de leur coût marginal pour les patients
fidélisés, notamment en ce qui concerne les généralistes et gynécologues.
Phelps
sest également intéressé aux réactions des médecins face aux
modifications de leur système de paiement, la rémunération à lacte
constituant une incitation significative vers une activité
importante. En revanche, dans le cas où le paiement seffectue
purement par forfait (capitation par
exemple), il peut exister une forme doffre insuffisante.
Cest
ainsi que périodiquement, on évoque la possibilité de modifier la
rémunération des médecins de ville français et dintroduire
de la capitation.
Les modes de tarification en ambulatoire
Le
paiement à lacte sapparente, pour les économistes,
au remboursement ex post dun coût, à la valorisation de la
compétence du médecin.
Les
partisans dun maintien du paiement à lacte (la grande
majorité des médecins de ville) affirment quil leur confère
une plus grande liberté et lassurance dune continuité
des soins. Il existe cependant, ainsi que nous lavons vu,
un risque de demande induite dans la mesure où le médecin cherche
à atteindre un revenu cible.
Si
le paiement à lacte semble bien refléter les préférences des
usagers comme des offreurs de soins, il noffre aucune garantie
de respect de la contrainte macro-économique.
En
ce sens, on peut considérer que les reversements (ou les revalorisations
dhonoraires) constituent une régulation ex-post du paiement
à lacte.
Le
paiement à la capitation est lui associé au paiement
prospectif de la responsabilité de la période du contrat.
La capitation saccompagne traditionnellement dune hiérarchie
entre soins de premier et soins de second recours (soins des généralistes,
des spécialistes et soins hospitaliers), le généraliste jouant alors
un rôle daiguilleur dans le système de soins.
On
évoque fréquemment le risque de baisse de la qualité des actes,
le manque de motivation (conduisant à une forme de déflation de
la demande) les risques décrémage du risque avec envoi abusif
vers lhôpital. Dans le cadre des filières et réseaux de soins
prévus par lordonnance
du 24 avril 1996 relative à la
médecine de ville, des systèmes de rémunération de ce type sont
envisagés, à titre expérimental et dérogatoire au code de la sécurité
sociale.
Dans
ce sens, les actuels promoteurs de réseaux de soins proposent des
modes de rémunération combinant paiement à lacte, capitation,
forfait, prime, etc. De telles rémunérations sont utilisées pour
valoriser les actes non médicaux. Ainsi, en organisation coordonnée
des soins, la gestion de linformation, la formation aux nouvelles
technologies, lévaluation des pratiques ou le temps nécessaire
à la coordination des soins doivent être valorisés. Le médecin est
rémunéré pour accomplir ces actes. Il sagit de gratifier la
valeur ajoutée non directement médicale.
De
tels modes de rémunération permettent également, plus prosaïquement,
dinciter les professionnels de santé à entrer en réseau. Les
promoteurs des réseaux de soins expérimentaux AXA
ou GROUPAMA prévoient ainsi de telles rémunérations, garantissant
aux médecins un certain niveau de revenu.
Il
est également de plus en plus fréquemment évoqué la rémunération
à la pathologie ou à l'épisode de soins. Il sagirait,
pour le praticien, de recevoir une somme dargent correspondant
à létat de santé du patient. Ce système, pour être instauré,
suppose une très bonne connaissance des coûts de prise en charge
de telle ou telle pathologie et un suivi précis de la satisfaction
des patients et des éventuels effets pervers du système.
La
situation française est, de toutes façons, compliquée par :
-
labsence
de payeur unique ;
-
lopacité
du système dinformation ;
-
limportance
du secteur II ;
-
la
prise en charge intégrale du ticket modérateur.
Une
enquête de lOCDE
a confirmé quon opère deux fois plus dans les pays payant
leurs chirurgiens à lacte que dans ceux qui les salarient
(Poullier, 1991).
Un
tel résultat doit sans nul doute conforter les acteurs du système
de santé français dans le sentiment quune plus grande cohérence
dans lorganisation des soins est indispensable.
Les
expérimentations actuelles de réseaux de soins sinscrivent
dans ce cadre et permettent de combattre efficacement un certain
nombre de paramètres que nous nous sommes efforcés didentifier
(demande induite, inflation du nombre dactes du fait du mode
de rémunération, relation dagence, etc.).
La
non maîtrise des dépenses de soins constitue un problème dautant
plus préoccupant que, le IRDES
la encore dernièrement mis en évidence, le système de santé
français na pas démontré, sa supériorité en termes purement
médicaux. Quil sagisse, entre autres, de la mortalité
infantile ou des infections nosocomiales, la France ne fait pas
partie du peloton de tête des pays de lOCDE. La recherche
dune efficience médico-économique constitue assurément une
des voies à suivre pour adapter notre système de santé aux enjeux
tant médicaux quéconomiques.
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