Linformatisation des professionnels de santé, un casse-tête
international
La difficulté à équiper
les médecins et à leur faire utiliser les outils informatiques se
rencontre dans tous les pays. Cest donc davantage un problème
professionnel (lexercice médical se prête mal à linformatisation)
ou culturel que national. Même les pays qui affichent des scores
flatteurs y sont confrontés, les médecins ne se servant que très
peu de leur ordinateur. Seuls les pays en développement y échappent,
les médecins y étant désireux daméliorer leurs connaissance
ou leur productivité grâce à linformatique.
Pour passer outre les
réticences des médecins, certains acteurs sont prêts à aller très
loin. Cest le cas de WebMD,
jeune société implantée à Atlanta et qui annonçait
au début du mois doctobre quelle envisageait de mettre
un ordinateur gratuitement à la disposition de 60 000 médecins pourvu
quils adhèrent à sa plate-forme Intranet de communication,
qui gère les remboursements et les communications entre praticiens.
Quand on lui demande si une telle démarche nest pas déraisonnable,
le Président de WebMD, Jeff Arnold, souligne que cest
le seul moyen de prendre pied dans le bureau du médecin et de sarroger
des parts de marché. Contrairement à Healtheon, WebMD
ne développe pas de technologies ou de services propres. La
société a une démarche essentiellement marketing qui consiste à
rassembler dans une offre globale les éléments dont a besoin le
médecin pour sintégrer dans ce que les Américains appellent
" la santé du XXI° siècle " : un PC, un
modem, une connexion Internet, une assistance. Pour 25 dollars par
mois, le médecin est équipé dun PC qui fait office de fax
et de répondeur vocal. Le poste est connecté à lInternet et
le médecin dispose dune adresse E-mail. Il intègre également
un certain nombre de services apportés par des prestataires de contenus :
formation médicale continue, système de vérification des droits
sociaux des patients, etc. Pour un forfait supérieur, le médecin
peut aussi récupérer automatiquement les résultats danalyse
auprès des laboratoires, les radios numérisées ou encore les comptes-rendus
hospitaliers. Bientôt, une boutique électronique lui permettra également
dacheter tous les matériels et consommables dont il a besoin
dans sa pratique. Depuis septembre 1998, date à laquelle WebMD
a lancé son offre, 1 500 praticiens ont été séduits par ce
service global. La société espère en attirer 30 000 dici
la fin de lannée. La rentabilité de ce type de service reste
toutefois à démontrer. Elle suppose des volumes importants et la
capacité de sintégrer dans certains processus par la démonstration
dune valeur ajoutée (WebMD espère par exemple prélever
un intéressement à chaque vérification des droits dun assuré).
Lidée de WebMD
est pertinente : linformatisation à langlaise
a en effet montré quun processus déquipement trop complexe
freine ladhésion des praticiens aux nouvelles technologies.
En France, le danger existe également, dautant que les médecins
ont intégré le risque inhérent à un mauvais choix de prestataire.
WebMD souhaite donc devenir un prestataire de service global
pour le médecin, en lui offrant un " tout en un "
sous la bannière dune société qui espère faire de son nom
un gage de confiance. Deuxième enseignement délivré par le Président
de WebMD : sur lInternet, la marque est tout.
Dans un univers saturé dinformations, de produits, de services
et de références, les consommateurs et les utilisateurs ont besoin
de points de repères et de lieux où ils se sentent en confiance.
Son ambition est claire : " Nous pensons que la marque
est tout sur lInternet. Quand les gens pensent livres, ils
pensent à Amazon,
quand les gens pensent divertissement, ils pensent à Disney.
Nous voulons que lorsque vous pensez santé, vous pensiez à WebMD ".
La démarche lancée
par WebMD colle parfaitement à lidéologie de son
Président. Dabord, la société sest dotée dun vice-président
charismatique et parfaitement rodé aux stratégies de communication
tous terrains puisquil sagit de Bill Payne, responsable
de lorganisation des J.O de 1996 (lentreprise a son
siège à Atlanta). Lentreprise a organisé un vaste tour de
pays pour présenter ses solutions. La société est aujourdhui
valorisée à près de 250 millions de dollars (environ 1,25 milliard
de francs) et a réussi à fédérer un grand nombre déditeurs
médicaux, heureux de trouver un nouveau circuit de distribution
et de bénéficier des efforts marketing de WebMD. Ces synergies
révèlent la façon dont peut sorganiser le marché de linformatique
médicale, où les métiers sont nombreux. HBO, un des éditeurs leaders
du secteur, figure dailleurs au capital de WebMD,
qui lui permet de renforcer sa visibilité.
WebMD nest
pas le seul acteur à vouloir fédérer les services informatiques
proposés aux médecins. Le constructeur Dellpar exemple, leader de la vente de PC par téléphone et sur lInternet,
a lancé un programme de partenariat (Health
Alliance Program) pour apporter sous sa bannière une solution
clef en main aux médecins de tous les pays.
En France, la prime
à linformatisation et les efforts de Cegetel pour coordonner
les actions des éditeurs et des constructeurs correspondent aussi
à une volonté de simplifier la démarche déquipement des médecins.
Linformatisation des pays émergents : les sprinters affrontent
les coureurs de fond
Selon un phénomène
désormais bien connu en matière déquipement, il se pourrait
que les pays émergents disposent dans quelques années dinfrastructures
et de systèmes informatiques plus perfectionnés que ceux quon
trouve en Europe ou aux Etats-Unis. Lhistoire industrielle
et sociale nous a accoutumé aux raccourcis technologiques empruntés
par des pays qui faisaient jusqualors figure darriérés.
A l'instar des pays africains ou sud-américains qui séquipent
directement de réseaux de téléphonie mobile évitant par là
létape des réseaux de téléphonie fixe, beaucoup plus coûteux
et longs à mettre en uvre, certains pays comme la Malaisie
ou le Mexique sont en train de se doter de systèmes dinformation
médicaux perfectionnés et correspondant aux plus récents standards
dinteropérabilité. Dans cette course à linformatisation,
les pays émergents donnent limpression de commencer un 100
mètres contre les vieux Etats industriels, embarqués dans un 5 000
mètres haies depuis les années 70.
Il est vrai que les
firmes américaines développent sur ces marchés vierges une influence
hyper-efficace, permettant aux gouvernements locaux et aux acteurs
privés de ne pas commettre les erreurs quont pu effectuer
leurs homologues des vieux continents industriels. Le gouvernement
malais a récemment décidé dinterconnecter tous les acteurs
du système de santé au sein dun Intranet dédié, selon un modèle
proche de celui du Réseau Santé Social. Lobjectif du gouvernement
est dinformatiser tous les processus médico-administratifs
dici lan 2 000 (projet " paperless hospitals ").
La pression de la classe moyenne émergente en faveur dun système
de santé plus moderne est forte, doù limportance des
gains de productivité pour affecter davantage de ressources à une
prise en charge plus large et plus qualifiée.
Naturellement, le système
de santé chinois constitue un marché fort attractif, même si sa
solvabilité reste sujette à caution et que les obstacles sont nombreux
(manque de personnels qualifiés, barrières linguistiques, faiblesses
des infrastructures, complexité des règles du jeu commercial, etc.).
Linformatisation du système de santé chinois pose des problèmes
jamais rencontrés encore, tant le volume des informations à manipuler,
létendue des systèmes et la complexité des procédures et des
circuits dinformations sont importants. Le pays compte notamment
7 000 hôpitaux à équiper, la plupart étant dépourvus de systèmes
informatiques aujourdhui. Les analystes estiment que le marché
de linformatique médicale chinois pourrait représenter 18
milliards de dollars en lan 2 000 (environ 90 milliards de
francs). Si cette projection se vérifie, le marché chinois équivaudra
alors au marché américain, bouleversant mécaniquement le jeu concurrentiel
international. Simultanément, les pays émergents auront commencé
à se doter de systèmes informatiques évolués, ce qui consacrera
lapparition dun marché international intégré des technologies
de linformation médicale. Dans les pays dAsie du Sud-Est
et dAmérique latine, les investissements consentis dans le
domaine de linformatique de santé croissent de 20 % par an.
Certes, les pays émergents se débattent aujourdhui avec des
problèmes élémentaires, comme lalimentation constante des
établissements en électricité ou lorganisation des services
durgence. Il existe donc un décalage avec les technologies
de linformation qui sont mises progressivement en uvre
dans ces centres. Conscients de ce paradoxe, les éditeurs et les
constructeurs informatiques nen relâchent pas pour autant
leur action commerciale. IBMHealthcare
anime des projets en Chine continentale, à Singapour et en Malaisie.
Sun, créateur du langage Java, participe à la mise en uvre
dun Intranet national en Chine et vient de conclure un contrat
avec lautorité sanitaire de Hong-Kong pour équiper en dispositifs
de sécurité les 42 hôpitaux et les 60 cliniques de la ville, devenue
un laboratoire de modernité pour la Chine populaire.
En Amérique latine,
les marchés brésiliens, argentins, mexicains ou chiliens sont également
prometteurs mais une certaine stabilisation économique est requise
pour que les systèmes de santé séquipent de technologies de
linformation. Comme le remarque un responsable dIBM
Healthcare : " Il y a beaucoup à faire mais
il ny a que peu de structures et de payeurs à qui sadresser ".
Les pays en voie de développement connaissent un cercle vicieux :
les autorités sanitaires publiques manquent de moyens pour moderniser
leurs structures et leurs actions, donc la classe moyenne recourt
à des systèmes privés qui fonctionnent en dehors dune logique
de solidarité. Ces systèmes privés ont les moyens et lambition
de mettre en uvre des technologies de linformation,
creusant progressivement lécart avec le système public et
accentuant les inégalités dans laccès aux soins.
LAfrique du Sud
constitue un autre cas intéressant. Le pays est à peu près le seul
en Afrique à disposer des moyens économiques et de la stabilité
politique requis pour mettre en uvre des systèmes dinformation
de santé performants, pour améliorer la qualité et la gestion des
soins. Or, lapartheid a écarté lAfrique du Sud des courants
dinnovation pendant de longues années. Aujourdhui, donc,
tout est à faire et les Sud-africains sont particulièrement désireux
de disposer des technologies les plus modernes pour leur système
de santé. Selon une enquête récente, 80 % des transactions financières
au sein du système de santé sont déjà informatisées. La dématérialisation
des procédures devrait atteindre 100 %, y compris pour les échanges
de données médicales, dès que le réseau cellulaire de télécommunications
sera implanté dans lensemble du pays. Entre townships et centres
de supervision informatisés, lAfrique du Sud connaît donc
une révolution technologique originale en matière de santé. Les
nouvelles technologies sont plus facilement acceptées dans ces pays
en développement quau sein de lOCDE, où les médecins
disposent pourtant dune plus grande connaissance de linformatique.
En Afrique du Sud par exemple, les praticiens comptent sur les gains
de productivité permis par linformatique pour apporter une
couverture médicale de bonne qualité à lensemble de la population.
Linformatisation
des systèmes de soins nationaux, une répétition générale avant la
globalisation de linformatique médicale
Le tour dhorizon
des projets dinformatisation montre que chaque Etat se concentre
aujourdhui sur ses propres projets déquipement et dorganisation
de linformation médico-administrative, quelle que soit la
méthode retenue pour y aboutir. Ces projets marquent lultime
phase historique de maîtrise nationale des technologies de linformation.
Une fois ces socles nationaux mis en uvre, les pays occidentaux
entreront dans une logique de mondialisation des systèmes dinformation
médicaux. Linterconnexion des systèmes internationaux de télécommunication
favorise mécaniquement cette globalisation, également promue par
les industriels du secteur, à la recherche de nouveaux moteurs de
croissance.
Le dynamisme du marché
américain permet aux firmes américaines dexporter leurs solutions
et leur savoir-faire. Au sein du Top
100 américain des éditeurs dinformatique médicale, 26
sociétés ont une activité internationale. Les éditeurs français
et même européens sont loin de faire aussi bonne figure,
ce qui explique leur absence dans lorientation fonctionnelle,
normative et technique du marché des logiciels et des réseaux dinformations
médicaux.
En outre, la spécialisation
des acteurs américains est si poussée que même des compagnies de
moyenne importance parviennent aujourdhui à simplanter
à létranger, sur des niches. En somme, le combat pour simposer
parmi les leaders de la communication médicale est particulièrement
difficile mais son issue se joue pour une large part sur le marché
américain. Lorsque les acteurs y ont acquis une masse critique et
une légitimité, elles ont de facto une vocation internationale.
La France, malgré la
faiblesse financière de ses éditeurs, apparaît comme un foyer secondaire
de création et de développement de solutions. En revanche, un grand
nombre de pays sont dépourvus dune telle industrie, en particulier
les pays émergents qui se dotent actuellement de systèmes de santé
et des systèmes dinformation afférents. Derrière lenjeu
médico-économique que représentent les systèmes dinformation
médicaux à léchelle nationale, se dessinent aussi des enjeux
industriels et culturels à léchelle internationale. Cest
pourquoi la standardisation des solutions développées par lindustrie
française et son intégration dans le tissu informatique international
est impérative. A ce jeu, la différence entre Américains et Européens
sexplique notamment par la différence de conception à légard
de linformatique. Comme lindique Robert Powell, de Microsoft,
" les technologies de linformation ont toujours
été considérées comme un fardeau administratif en Europe, et pas
vraiment comme un outil stratégique ".
En somme, la France
disposera bientôt dun système dinformation de santé
performant et homogène mais dacteurs industriels faibles.
Les Etats-Unis sont dépourvus de système dinformation cohérent
mais compte un grand nombre déditeurs et de constructeurs
puissants. Sil est encore trop tôt pour tenter de tirer une
règle dexplication dans cette relation entre tissu industriel
et modalités dinformatisation, on peut tout de même convenir
de la nécessité de mieux exploiter lexpertise acquise en Europe.
Les acteurs européens doivent acquérir une masse critique pour exporter
leur modèle dinformatisation et de gestion de linformation
médicale. Lémergence dopérateurs de télécommunications
spécialisés, grâce aux concessions de service public, dans le domaine
médical (Cegetel
en France, Deutsche Telekom en Allemagne, British Telecom
en Angleterre) permettra peut-être datteindre cet objectif
en organisant des réseaux de partenaires (éditeurs de logiciels,
intégrateurs, producteurs de contenus) autour de ces pôles à vocation
internationale.
La démocratisation de la télémédecine marque lémergence dun
système de santé international
Jusquau milieu
des années 90, la télémédecine restait au mieux une épopée, au pire
une anecdote. Depuis, elle sest démocratisée au point de désigner
maintenant des applications relativement communes. La télémédecine
est devenue en quelques années un enjeu industriel international,
le marché du conseil et de lassistance transfrontaliers étant
solvabilisé par les classes moyennes des pays émergents.
Selon le magazine Telemedicine
today, 13 hôpitaux américains sont actuellement engagés
dans des projets internationaux de télémédecine, dont la Mayo Clinic,
le Stanford University Medical Center et la Cleveland Clinic. Leur
objectif est de vendre des interventions à distance (télédiagnostic,
téléformation, téléchirurgie) pour optimiser lutilisation
de leurs ressources humaines et matérielles. Avec linterconnexion
généralisée des infrastructures de télécommunications au niveau
mondial (autour du réseau Internet) et le développement de solutions
logicielles et matérielles économes, la télémédecine pourrait passer
prochainement au stade industriel, consacrant dès son apparition
un marché international et validant comme principale fonction la
coopération sanitaire entre pays. Luniversité de Los Angeles
(UCLA)
a déjà tiré profit dune coopération avec le Chili en matière
dexpertise radiologique à distance. Luniversité californienne
souhaite maintenant faire de son département de télémédecine un
service à part entière, ouvert sur linternational et constitué
en centre de profit. Luniversité souhaite vendre des téléconsultations
directement à des patients ou aux assureurs qui en ont la charge.
Il est vrai quun tel marché peut être abordé en ne sadressant
dans un premier temps quaux personnes qui viennent se faire
soigner aux Etats-Unis et qui ont besoin dun suivi de leur
état et de visites de contrôle. Le roi Hussein de Jordanie, habitué
de la Mayo Clinic,
fut impressionné quand on lui montra les équipements de télémédecine
du prestigieux hôpital. A sa demande, un réseau de télémédecine
fut établi entre la Mayo Clinic et deux hôpitaux dAmman, permettant
au roi dêtre suivi par des spécialistes américains depuis
sa capitale. Certes, le roi aurait pu connecter directement son
palais à la Mayo clinic. Néanmoins, il opta pour un réseau inter-hôpitaux
pour faire profiter ses sujets de la médecine américaine. De façon
complémentaire, des sessions de Formation Médicale Continue sont
organisées par satellite. Ce sont les médecins jordaniens qui choisissent
les thèmes de leurs formations afin de répondre aux besoins sanitaires
locaux. Forte de cette expérience, la Mayo prévoit de développer
un système plus ambitieux encore avec la riche Arabie Saoudite.
Une fois que les services
hospitaliers ont mené avec succès quelques expériences pilotes de
télémédecine, lindustrialisation de ce type de service est
à portée de main. Le bouche-à-oreille et un site Web attractif permettent
dorganiser un recrutement électronique à grande échelle. Déjà,
certains experts américains évoquent lémergence dun
" système international de délivrance des soins ",
pensant que les réseaux de télémédecine vont rendre caduques les
frontières de la protection sociale et de la prise en charge sanitaire.
La Mayo Clinic traite chaque année 12 000 patients provenant du
Moyen-Orient, dEurope ou dAmérique du Sud, sur un total
de 400 000 patients. Ces étrangers représentent 12 % de ses revenus.
Le centre espère augmenter cette position internationale grâce à
la télémédecine. Linertie des autres pays développés devant
ce type de réseaux pourrait accroître la suprématie des Etats-Unis
en matière de technologies de linformation et leur donner
une influence inédite sur lorganisation des soins à léchelle
internationale. Si la Mayo clinic est le chef de file de ce nouveau
courant d'exportateurs dexpertise médicale, un grand nombre
détablissements sapprêtent à entrer dans le jeu. Luniversité
de médecine de Houston (Texas) prévoit de lancer une chaîne internationale
de formation continue des médecins et des infirmières (Health
Channel), qui diffuserait par satellite ses programmes. Il
est vrai que linstitution bénéficie du charisme de Michael
DeBakey, dont lexpertise fut sollicitée par léquipe
médicale de Boris Eltsine. Comme le dit Kevin Fitzpatrick, directeur
des programmes internationaux à luniversité de Houston, " nous
sommes traditionnellement des importateurs de patients. Nous voulons
inverser le mouvement pour devenir des exportateurs de connaissance ".
Limplication
dans des projets internationaux de télémédecine est profitable pour
les institutions occidentales. Au-delà des revenus additionnels,
ces projets apportent une expérience inédite aux éditeurs informatiques
et aux médecins, qui peuvent valider certaines théories, confronter
des expériences différentes et apprendre à adapter leurs solutions
et leur savoir-faire à différents contextes et cultures. Cet apprentissage
renforce naturellement leur compétitivité sur le marché international
des soins et de linformation médicale. Un des objectifs des
hôpitaux américains est dapprendre à soccuper des patients
américains situés en zone rurale. Via lInternet, il est désormais
possible de leur proposer des services de qualité qui leur évite
certains déplacements et optimise la rentabilité des installations
hospitalières. Les projets de télémédecine dans les pays en développement
concernent souvent des zones rurales, ce qui permet aux hôpitaux
et aux industriels américains de tester des solutions et des procédés
de prise en charge avant de les déployer sur leur territoire. Autre
exemple, le centre de télémédecine de la Cleveland
Clinic a mis en uvre un programme avec lEquateur
qui fonctionne dans les deux sens. Les médecins américains assistent
leurs homologues équatoriens mais peuvent aussi recourir à leurs
services pour se former à la prise en charge des maladies tropicales.
En Europe, la libéralisation
du cadre réglementaire des régimes nationaux de protection sociale
favorise lémergence des services médicaux électroniques. Tirant
parti de la richesse offerte par lhétérogénéité des cultures
médicales et des systèmes de soins, les nombreux frontaliers qui
peuplent lUnion européenne seront davantage attirés par des
prestations délivrées dans un autre pays européen sils peuvent
bénéficier dun suivi quotidien de leur situation par des médecins
internautes. Plus généralement, les patients insatisfaits de leur
système (comme les 1,5 millions de Britanniques habitués des files
dattente et privés de facto dun accès aux spécialistes),
pourront sadresser à des médecins étrangers via le Web, comme
cela se fait déjà sur des sites comme Mediconsult.
Il en est de même des patients qui répugnent à aborder certains
problèmes médicaux avec leur médecin traitant. Si les récentes
jurisprudences sont confirmées, on peut imaginer que certains
organismes de sécurité sociale voire certaines mutuelles
et assureurs complémentaires acceptent de rembourser des
prestations de télédiagnostic ou de suivi à domicile dispensées
par des opérateurs étrangers, sils font la preuve du bénéfice
médico-économique apporté par leurs solutions. A terme, la création
dune agence européenne daccréditation des services médicaux
électroniques peut même être envisagée.
Certains pays, notamment
ceux du Sud-Est asiatique, souhaitent bénéficier des technologies
américaines tout en conservant leur propre expertise médicale. En
somme, ils souhaitent implémenter des réseaux nationaux de télémédecine,
dans lobjectif dapporter aux zones rurales des prestations
sanitaires de qualité. En Thaïlande, par exemple, un réseau à haut
débit doit relier prochainement le Ministère de la santé à une vingtaine
dhôpitaux de Bangkok pour des sessions de formation à distance,
des consultations, des accès à des bases dinformations et
lorganisation de téléconférences.
Le centre médical de
la East Carolina
University a créé une société, appelée Telemedicine
Technologies Company (TTC), pour répondre à ce type de demande.
Un des premiers contrats décrochés par cette société consiste à
accompagner la construction dun " super corridor
multimedia " en Malaisie, un parc technologique devant
sétendre sur 30 kilomètres et mobiliser 2 milliards de dollars
(10 milliards de francs) dinvestissements. TTC est également
engagé dans des négociations en Chine.
Le développement de
la télémédecine saccompagne deffets pervers tels que
le creusement des inégalités en matière sanitaire entre les pays
qui peuvent s'offrir des services de télémédecine et les autres.
Il convient pour cette raison de saluer les initiatives dorganisations
à but non lucratif qui, à linstar de SatelLife,
aident les pays en développement à séquiper en matériels,
logiciels et réseaux de télémédecine. Grâce à un réseau de satellites
placés en orbite basse, SatelLife a déjà connecté quelque 4 000
professionnels de santé dans 30 pays (essentiellement en Afrique)
pour leur donner accès à des services de communication par mail
et à des bases de connaissances sur lInternet.
Malgré ses promesses,
le développement de la télémédecine ne se fera que progressivement.
Parmi les obstacles à son développement, on peut citer la faiblesse
des infrastructure dans les pays en développement, la nécessité
dune sécurité totale des échanges (il peut être tentant dintercepter
les communications de la Mayo Clinic quand on sait quune partie
de sa clientèle est composée de responsables politiques et économiques
de premier plan) et labsence de standard internationaux en
matière dinformatique médicale.