Les internautes appellent de leurs vux le développement dune
médecine électronique
Le développement des
sites Web médicaux destinés au grand public nen finit pas
dalimenter les discussions aux Etats-Unis. Nous avions présenté
il y peu le succès de sites comme Mediconsult,
Thriveonline ou Thepillbox.
Le recours à lInternet médical de la part des patients est
devenu un phénomène de société, comme lanalyse un récent
article de Businessweek.
Intitulé " Une
cyber-révolte dans le système de soins ", larticle
décrit comment les patients augmentent leur pouvoir par le recours
au Web. Un nombre croissants de patients ou de proches de patients
ont pris lhabitude dutiliser lInternet comme un
outil dinformation et de communication indispensable pour
leur prise en charge. Sherry Messick, patiente atteinte de sclérodermie,
racontait
il y a quelques mois comment lInternet lui avait permis de
garder lespoir dune guérison et de continuer à vivre
une vie sociale et intellectuelle à peu près normale : " Je
comprends le sens des test sanguins et mes résultats danalyses.
Je suis capable de poser des questions pertinentes à mon médecin.
Quand je suis déprimée, je dialogue sur le réseau avec des amis
ou avec dautres malades ". Soucieuse de faire partager
son expérience, Sherry dispose maintenant de son
propre site pour orienter les patients dans leurs recherches
dinformations et pour susciter un rapprochement entre les
personnes atteintes de cette affection.
La relation patient-praticien
est en train dévoluer à un rythme accéléré. Le grand public
accède à des données que les praticiens nont pas pris le soin
jusquà présent de diffuser et que parfois ils ne connaissent
pas eux-mêmes. Ce faisant, laccompagnement psychologique lui-même
évolue. Dans leur majorité, les patients ne se satisfont plus dun
discours rassurant, ils souhaitent " la vérité pure et
dure " sur leur maladie afin dappréhender au mieux
leur traitement et la suite de leur vie. Les exigences à légard
des médecins en sont renforcées. Les praticiens sont désormais jugés
par leurs patients, décidés à vérifier les compétences de leur médecin
et le bien-fondé de ses décisions diagnostiques et thérapeutiques.
Le marché du " second avis électronique " se
développe à un rythme effréné aux Etats-Unis. Sur Mediconsult,
les patients nouvellement diagnostiqués peuvent soumettre leur cas
documenté à lextrême aux grands patrons américains.
De plus en plus, linclusion des patients dans des essais cliniques
est organisée sur le Web et le recueil des données tend à basculer
lui aussi sur lInternet.
La santé est le prochain
boom du Web. Au cours de 1998, 17 millions dAméricains ont
consulté des sites médicaux sur le Web. Cela représente une croissance
de 35 % par rapport à 1997. A léchelle internationale, une
récente enquête dIntelliquest a montré que 46 % des internautes
ont pris lhabitude daller chercher des informations
sur le Web lorsqueux même ou quelquun de leur entourage
est confronté à un problème médical.
Pour répondre à cette
demande dinformations directement corrélée à une situation
médicale personnelle ou familiale, un grand nombre de services se
donnent pour ambition dévaluer les structures de prise en
charge et dorienter les patients dans le système. Un site
comme HealthCare
ReportCards conseille les patients à la recherche dun
service de cardiologie. Le service attribue des étoiles (de 1 à
5) aux différents hôpitaux en fonction de leurs performances et
de la qualité de leur accueil. HealthCareReportCards compte devenir
le Michelin de lhospitalisation aux Etats-Unis en étendant
son expertise à dautres domaines, comme la pneumologie, la
cancérologie ou encore la neurochirurgie. Le même type de service
existe pour sélectionner des médecins de ville. Le site DoctorDirectory,
littéralement " lannuaire de médecins ",
permet ainsi au public américain de choisir son médecin. Dautres
services sont également disponibles, comme le " Lifetime
calculator" (calculateur despérance de vie), qui
vous indique à partir dun quizz votre espérance de vie.
Ces exemples montrent
comment les sites Web médicaux peuvent devenir des machines à orienter
les patients et à organiser leur prise en charge. Le site HealthCareReportCards
est développé par un réseau de médecins, Specialty
Care Network, implanté à Lakewood (Colorado). Ce groupe de médecins,
regroupé au sein dune société à but lucratif, a pu développé
son guide des hôpitaux en achetant des informations auprès de la
Health Care Financing
Administration (HCFA), entité relevant du Ministère américain
de la santé, le Department
of Health and Human Services, en particulier les chiffres de
mortalité par établissement et par type dintervention. La
société qui anime le site a même conçu un modèle pour pondérer les
taux bruts de mortalité par la gravité des cas traités, grâce aux
données de léquivalent américain du PMSI. Le modèle distingue
la mortalité directe, la mortalité à 30 jours (au sein ou en dehors
de lhôpital où a eu lieu lintervention) et la mortalité
à 6 mois. Environ 15 % des hôpitaux évalués sont considérés comme
très bons (4 ou 5 étoiles) et 70 % des établissements comme bons
(3 étoiles). Les animateurs du site espèrent le rentabiliser en
vendant des bandeaux publicitaires aux hôpitaux, surtout ceux qui
sont favorablement classés et qui, pour cette raison, seront donnés
comme références aux visiteurs du site. Ce faisant, le service espère
devenir un label de qualité. Ce mécanisme diffère largement de la
situation française, où laccréditation des structures et des
services relevent naturellement des prérogatives des pouvoirs publics.
Aux Etats-Unis, les acteurs de la société civile ont un accès libre
aux informations et peuvent participer à lévaluation des services.
Limportance de
cette demande dinformation suscite des appétits. De nouveaux
services sont régulièrement lancés sur le Web pour offrir des informations
médicales personnalisées aux patients, pour les aider à gérer leur
" capital santé " via des systèmes de prévention,
de dépistage et dauto-prise en charge, pour orienter le patient
dans le système de soins (quel hôpital choisir ? quelle police
dassurance ?) ou pour lui vendre des médicaments. Daprès
une étude de VentureOne, 120 millions de dollars (soit près de 600
millions de francs) ont été investis par les capitaux-risqueurs
en 1997 et 1998 dans des sociétés en création spécialisées dans
lInternet médical.
Comme le reconnaît
Anna-Lisa Silvestra, une des responsables de Kaiser-Permanente,
le plus important HMO du pays : " lintroduction
de linformatique et des nouvelles technologies chez les professionnels
de santé réussira parce que nos assurés le veulent ".
Des opérateurs Internet sauront remplir le vide laissé par les médecins
sils ne répondent pas à lattente de leurs patients.
Déjà, une jeune société, Lexant, prévoit de gérer le dossier médical
des internautes sur le site du Dr.Koop.
Le patient, aidé dun assistant électronique, alimentera lui-même
son dossier après chaque visite chez son médecin. Le service Internet
auquel il aura adhéré s'occupera de récupérer ses résultats d'analyses
et ses examens complémentaires. Dans un deuxième temps, lopérateur
Internet proposera aux patients un suivi personnalisé de leur dossier
sur le long terme.
Kaiser-Permanente gère
9,2 millions de patients. Il est devenu impératif de leur proposer
des services dinformation adaptés à leurs besoins et à leurs
usages. Ayant pris conscience de cette demande, Kaiser prévoit de
lancer un site Web sécurisé permettant aux patients dadresser
des messages confidentiels à leurs médecins, à leur pharmacien ou
à leur infirmière. Les patients pourront prendre des rendez-vous
par voie électronique, demander des conseils ou encore renouveler
par E-mail une ordonnance avant de passer la chercher à la pharmacie
(ou de le recevoir à domicile). Kaiser et les professionnels de
santé, pour leur part, sengagent à répondre en moins de 24
heures à tous les courriers.
Les initiatives des
HMO en matière de délivrance pharmaceutique via lInternet
obligent les intermédiaires à réfléchir à leur positionnement dans
ce nouveau contexte technico-économique. Medco,
filiale de Merck spécialisée dans la distribution pharmaceutique
(répartition, mail order et disease management)
ou PlanetRx, jeune société dédiée à la prise de commande sur lInternet,
réfléchissent dailleurs à lévolution de loffre
destinée au grand public, aux pharmacies et aux organisations de
soins. PlanetRx,
dont le site ouvrira prochainement, a été créé par un groupe de
médecins grâce à un investissement de 7 millions dollars (environ
35 millions de francs) consenti par un groupe de capitaux-risqueurs.
Il est intéressant de noter que le Directeur général de PlanetRx,
William J. Razzouk, est un ancien dirigeant de Federal Express,
leader du transport de colis aux Etats-Unis. Les pharmacies électroniques
ont vocation à sintégrer en aval, cest-à-dire dans les
activités logistiques de distribution du médicament, soit directement,
soit au travers de partenariats.
Dans tous les cas,
le développement de ces services aura un impact sur la chaîne de
la distribution pharmaceutique. Medco,
fort de ses 51 millions de clients, a déjà réagi. Dès mars 98, ce
PBM
(Pharmacy Benefit Management) proposait aux patients de commander
un renouvellement dordonnance via un site Web. Ce service
permet aussi de suivre létat dune commande, quel que
soit le moyen par lequel elle a été effectuée (mail, fax, téléphone).
Parallèlement, Medco a conclu un
accord avec Physicians
Online pour équiper les pharmacies dun logiciel nouveau,
destiné à améliorer la communication entre les médecins et les pharmaciens.
En couplant son réseau avec lIntranet de Physicians Online,
Medco propose aux médecins 3 fonctions principales : le renouvellement
dordonnance, la modification dune ordonnance ou létablissement
dune ordonnance nouvelle. La modification dordonnance
est susceptible dintervenir lorsque le serveur de Medco détecte
une optimisation possible de lordonnance transmise au pharmacien.
Cette optimisation peut être thérapeutique (ex : le système
propose un médicament dune autre classe en fonction de la
pathologie) ou économique (le système propose un générique à la
place dun médicament de marque). Dans tous les cas, le praticien
reste libre de sa prescription. Ces échanges seffectuent en
temps réel et de façon sécurisée. Ils simplifient les tâches des
pharmaciens et des médecins puisquils permettent à Medco de
traiter automatiquement les ordonnances qui passent par ce circuit
plutôt que par le téléphone. En outre, cette communication électronique
permet à lopérateur deffectuer un contrôle qualité des
ordonnances lors de leur transmission du médecin au pharmacien (ex :
détection automatique dinteractions).
Le service Rite
Aid, pour sa part, va déjà un peu plus loin. En effet, il avertit
les abonnés lorsque le renouvellement de leur ordonnance est nécessaire.
Une façon, sans doute, de favoriser lobservance des traitements.
Le Président de cette jeune société annonçait récemment que son
site réalisait un chiffre daffaires mensuel de 500 000 $,
soit environ 2,5 millions de francs.
Le jeu est donc rebattu
en matière de distribution pharmaceutique. Rien ne dit, dailleurs,
que le marché doive se réorganiser autour des opérateurs Internet.
Les chaînes de pharmacies, par exemple, ont lopportunité de
renforcer leur rôle dans le système de soins. Walgreens,
une des principales chaînes dofficines américaines (2 500
pharmacies pour un chiffre daffaires de 15 milliards de dollars)
a déjà lancé son service Internet de commande en ligne. Là encore,
les patients chroniques peuvent sinscrire pour bénéficier
de services personnalisés, dont le renouvellement
automatique dordonnances. En fonction des prises théoriques,
Walgreens prévoit le moment du renouvellement et prépare le lot.
Le patient est alors prévenu. Il peut passer dans son magasin habituel,
à moins quil ne préfère être livré.
Parmi les autres pharmacies
électroniques en cours de déploiement, il convient de citer Drugstore.com,
soutenu par la société Kleiner-Perkins
et dirigé par Peter Neupert, ancien responsable des nouveaux
médias chez Microsoft. Parmi léquipe de direction figurent
Andy Stergachis, professeur de pharmacologie à lUniversité
de Washington, et Tracy Nolan, ancien vice-présidente de Merck-Medco
Managed care. Cet exemple explique un des mouvements de fond
de lInternet : la création de richesses et dactivités
nouvelles repose sur lessaimage de cadres supérieurs issus
de grandes sociétés et désireux de tenter une aventure à partir
dune idée originale ou dune technologie nouvelle. Alors
que les capitaux disponibles pour le lancement dactivités
sont relativement abondants aux Etats-Unis et que le mot " Internet "
suffit à intéresser les investisseurs, un grand nombre didées
peuvent être testées et déclinées de nombreuses manières. En Europe,
ce dynamisme est beaucoup moins important, si bien que les structures
actuelles évoluent beaucoup plus lentement dautant
que le public des internautes reste plus faible quaux Etats-Unis.
La pression exercée
par les patients sur les professionnels de santé fera sans doute
évoluer le système plus rapidement quil ny paraît. Les
organisations de soins et les assureurs redoutent de se trouver
marginalisés sils ne parviennent pas à négocier le virage
Internet avec suffisamment de rapidité et dinventivité. Déjà,
les HMO retardataires perdent des adhérents ou enregistrent des
taux de satisfaction en diminution constante. Quand ils ne proposent
pas de services spécifiques, leurs assurés sabonnent à des
sites médicaux lancés par des franc-tireurs. Health
Oasis, initié par la Mayo Clinic et dont laudience est
passée de 55 000 visites en janvier 98 à 800 000 en août, BetterHealth
et Dr.Koop
sont quelques-uns des sites qui ont su le mieux répondre à cette
demande nouvelle daccompagnement. Ces services se trouvent
aujourdhui en position de force pour négocier certaines prestations
avec les HMO de leurs visiteurs. On leur demande en effet dassurer
des campagnes de dépistage ou de prévention ainsi que des enquêtes
pour le compte des organisations médicales, qui comptent sur la
popularité de ces sites et sur la confiance quils ont su susciter
pour masquer leurs propres faiblesses. En somme, les organisations
qui ne parviennent pas à devenir des organisations médiatiques devront
prochainement apprendre à vivre avec de nouveaux intermédiaires,
qui ont su occuper les segments émergents et à forte valeur
ajoutée de la chaîne de valeur en santé.
Aujourdhui, par
exemple, seulement 1 ou 2 % des praticiens américains donnent à
leurs patients la possibilité de les contacter par E-mail, selon
une étude récemment publiée dans JAMA par Tom Ferguson. Naturellement,
ce type de communication soulève des interrogations concernant la
responsabilité du médecin ou le risque derreur médicale. Quoi
quil en soit, léchange de courriers électronique entre
patients et praticiens a vocation à se développer, sous la pression
des assurés sociaux, relayés par des organisations de soins soucieuses
dapporter à leurs adhérents les services quils demandent
et commencent à mettre en uvre de façon spontanée.
Le poids des seniors
sur le réseau est un autre facteur dexplication du développement
de lInternet médical. Les internautes âgés de 60 ans et plus
représente environ 15 % des utilisateurs du réseau sur le plan international.
Ces internautes passent en moyenne plus de temps sur le Web que
les autres Internautes, disposent dun pouvoir dachat
supérieur et sont davantage intéressés par les questions relatives
à leur santé. Ils constituent un bataillon important dans le développement
du consumérisme médical. LAgence New-Yorkaise pour les personnes
âgées vient ainsi de développer un site dédié au 3° âge, avec le
soutien du laboratoire Glaxo-Wellcome. Ce site, Aging
Well (" Bien vieillir ") délivre
tous types dinformations concernant les problèmes liés au
vieillissement.
Naturellement, des
cybercouacs sont à prévoir. Dabord, des atteintes à la confidentialité
pourraient advenir si les protections requises ne sont pas mies
en uvre par tous les acteurs du secteur. Ensuite, le pire
côtoie le meilleur sur le Web médical, sans que les patients ne
sachent toujours trouver le bon chemin. Il est vrai quil existe
aujourdhui plus de 15 000 sites médicaux dans le monde. Certes,
des labels commencent à être reconnus, comme celui décerné par la
Fondation Health On
the Net. Le Ministère américain de la Santé a même décidé de
lancer son propre service pour orienter les patients. Ce site, Scipich,
est présenté en détail dans notre rubrique " Site
du mois".
La difficile informatisation
des professionnels de santé comparée à lessor du Web médical
grand public fait aujourdhui surgir une question : en quoi
le développement des nouvelles technologies dans le monde de la
santé profitera-t-il aux patients ? Aux Etats-Unis, le grand
public est dautant moins enclin à soutenir les efforts en
faveur de linformatisation " officielle "
- cest-à-dire contrôlée par les HMO et leurs éditeurs attitrés,
que chacun pressent que celle-ci profitera dabord aux politiques
de managed care strictes. Soucieux de retrouver des espaces
de liberté et découte, les patients voient dun mauvais
il linformatisation dun système dans lequel ils
nont plus confiance.
Si les systèmes dinformation
ne sont pas développés dans une logique de santé publique, ils échoueront.
Patients et médecins les soutiendront sils sont dédiés à la
prise en charge de la douleur, à laccompagnement global des
patients, au dépistage, à la prévention, à lévaluation de
la qualité des soins et de la qualité de vie.
Healtheon
comptait se développer grâce aux processus de gestion complexes
qui définissent le managed care. Chaque HMO, en effet,
décide quel traitement doit être appliqué pour quel patient dans
quelles circonstances. Healtheon espérait automatiser la
gestion de ces guidelines par les médecins et le contrôle de leur
respect par les organisation de soins et les assureurs. Tout à sa
recherche de productivité et defficience médico-administrative,
Healtheon ne sest pas impliqué plus en amont dans
des processus épidémiologiques et médicaux pour définir la pertinence
de ces guidelines et le bénéfice pour le patient (dans
une logique dEvidence Base Medicine). Les outils
informatiques concentrent souvent les griefs exprimés à lencontre
des systèmes de soins, comme cela est aujourdhui le cas au
Royaume-Uni. Le succès des systèmes dinformation médicaux
dépend donc de leur capacité à incarner le changement au service
du public et des professionnels.
Dans cette perspective,
les acteurs institutionnels et industriels ne doivent pas confondre
leurs objectifs ou céder à une vision monolitique des systèmes dinformations
médicaux. Healtheon voulait inclure les patients
dans sa plate-forme en leur permettant daccéder à des consultations
sécurisées de leur médecin et daccéder à des banques dinformation
médicales. Or, tous ces services existent déjà, mais sur le Web !
une nouvelle fois, le réseau public révèle un dynamisme très supérieur
aux systèmes développés par les acteurs institutionnels du monde
de la santé. Le télédiagnostic, la domotique médicale et le suivi
à distance de patients chroniques se développent avec des technologies
standards (le cryptage, par exemple, sest banalisé en moins
de 2 ans grâce au protocole SSL de Netscape, placé derrière le cadenas
visible sur la barre doutils de Navigator). Ces activités
ont été développées par une multitude dacteurs et selon une
logique décentralisée. Cest le cas du médecin indiquant à
son patient comment lui envoyer par mail ses relevés glycémiques
tirés de son lecteur. Progressivement, des applications plus complexes
sont assimilées par les acteurs de la société civile, grâce à des
outils mis à disposition par de petites entreprises ultra-spécialisées.
La société Home
Access Health, commercialise par exemple un kit pour réaliser
des tests de dépistage HIV à domicile. Elle propose également dautres
services de télémédecine, comme les analyses glycémiques à distance.
Les caractéristiques
dynamiques de lInternet continuent donc de jouer à fond, même
si Jim Clark semble lavoir oublié. LInternet nest
pas clément pour ses enfants : le leader dune vague (les
navigateurs graphiques pour Jim Clark) peuvent être balayés dans
les mouvements ultérieurs par manque dimagination ou de clairvoyance
(parfois par leur propres enfants : la plate-forme dHealtheon
perd de sa pertinence car les outils de sécurisation mis sur le
marché par Netscape permettent à tout un chacun de constituer sa
propre plate-forme sécurisée).
Certes, la communication
électronique entre médecins et patients ne va pas sans poser quelques
problèmes. La Harvard
Medical School de Boston a conduit récemment, en collaboration
avec le Massachusetts
Institute of Technology, une étude sur lutilisation du
E-mail entre praticiens et patients. Les résultats de cette
étude sont parus dans le numéro de septembre de la revue Annals
of internal medicine. Ils révèlent, sans surprise, que le
courrier électronique nest pas adapté aux situations durgence
et quil convient de ne pas lutiliser lorsquil
faut annoncer des informations graves aux patients ou des résultats
complexes à expliquer. En revanche, le courrier électronique apparaît
comme un outil parfaitement adapté à une communication régulière
avec le patient, pour lui apporter des conseils, répondre à des
questions de routine ou organiser les rendez-vous. En conclusion,
les auteurs de létude plaident pour lapplication de
la loi de 1996 (Health portability
Act), convaincus que ladoption didentifiants
nationaux pour les assurés sociaux est nécessaire pour garantir
la confidentialité des échanges médicaux par une authentification
forte, qui sajouterait au cryptage que mettent déjà en uvre
les sites médicaux. Les auteurs de létude craignent également
que les services médicaux en ligne ne creusent un peu plus linégalité
entre citoyens en matière daccès aux soins puisque les conditions
matérielles et culturelles de connexion à lInternet dépendent
fortement du revenu et de la catégorie socioprofessionnelle des
individus. Si le développement dun secteur santé électronique
saccompagne dune réduction des infrastructures sanitaires
" réelles " ou dune moindre disponibilité
des soignants, alors la collectivité américaine aura creusé le fossé
entre les patients qui peuvent recourir aux services Internet pour
optimiser les conditions de leur prise en charge et les plus démunis,
qui attendent déjà de bénéficier dune assistance médico-sociale
élémentaire. Les médecins qui ont conduit létude font toutefois
preuve dun optimisme typique de lAmérique de cette fin
de siècle. Empreints dune confiance totale envers le progrès
technologique et sa diffusion naturelle dans lensemble du
corps social, ils ne doutent pas que les populations défavorisées
pourront bientôt avoir accès aux moyens modernes de communication,
dont les prix baissent structurellement et dont lusage devient
de plus en plus aisé. Dans cette perspective, ils encouragent les
établissements de soins à faire preuve dune attention particulière
en matière de design : les sites doivent être simples, plutôt
graphiques que textuels, avec une navigation intuitive, pour que
tous les publics puissent tirer bénéfice des informations et des
services qui y sont proposés. On le voit, la réflexion sur le média
est particulièrement avancée aux Etats-Unis, où les conditions de
mise en forme et de diffusion de linformation sont réfléchies
publiquement, en tenant compte de limpact social de lInternet
et des usages médiatiques de la collectivité.
Laffirmation
de lInternet médical comme colonne vertébrale de la communication
en santé est désormais une certitude. Une offre de services et de
produits de plus en plus riche et sophistiqués émerge, encouragée
maintenant par lensemble des acteurs institutionnels et industriels.
Intel,
le leader mondial des microprocesseurs, a par exemple décidé dinvestir
dans ce secteur quil considère sous-informatisé. Pour les
dirigeants dIntel, le développement des applications médicales
sur les réseaux Internet/Intranet favorisera la vente dordinateurs,
donc la vente de puces. Le 27 octobre, Andy Grove en personne, Président
dIntel, lançait à San Francisco " linitiative
Intel en faveur de lInternet médical ",
entouré dun parterre de professionnels de santé. La compagnie
ambitionne dinvestir dans une douzaine de sociétés spécialisées
dans le Web médical : gestion de patients chroniques à distance,
vente en ligne de vitamines ou de kits prénataux, diffusion dinformations
médicales auprès du grand public, etc. Intel mettra sa force de
frappe marketing au service de ces jeunes entreprises pour que leurs
activités deviennent un bien de consommation courant. Intel a notamment
conclu un accord avec la société LifeMasters Supported SelfCare,
qui commercialise un système de suivi en ligne des patients diabétiques
ou hypertendus. Cette plate-forme oriente les patients vers des
professionnels de santé en fonction de lévolution de leur
état. Dans cette vaste offensive, les dirigeants dIntel souhaite
que le vocable " e-health "(la santé électronique) devienne aussi courant que le slogan
" e-commerce " (commerce électronique). Une
fois cette objectif de popularité atteint, les services médicaux
sur le Web occuperont une place croissante dans la vie du public,
pour le bonheur des marchands dordinateurs et de microprocesseurs.
Une large partie des
services médicaux en cours dapparition sur le Web sont gratuits
pour les patients et les professionnels de santé. Leur fonctionnement
est solvabilisé indirectement, grâce au soutien de lindustrie
pharmaceutique. Selon une étude récemment publiée par Jupiter
Communications, la publicité médicale sur le Web devrait représenter
un chiffre daffaires mondial de 265 millions de dollars en
2002 (soit environ 1,525 milliards de francs). La moitié de ce budget
sera alors représenté par les campagnes menées par les laboratoires
pharmaceutiques en direction des patients. Comme le montre létude,
le développement de lInternet médical aux Etats-Unis est fortement
favorisé par le manque de satisfaction quéprouvent les Américains
à légard de leurs systèmes de managed care.
La situation indique
que la consommation de biens de santé tend à augmenter dans les
pays de lOCDE selon un rythme supérieur à la croissance du
PIB. Quel que soit le modèle de système adopté (système libéral
et concurrentiel, système étatique), les patients sont demandeurs
dun suivi de plus en plus important de leur " capital
santé ". Sils ne trouvent pas dans le système traditionnel
lécoute et les services quils attendent, ils sont prêts
à recourir à des prestations équivalentes sur lInternet. Le
Web devient progressivement un espace complémentaire des infrastructures
sanitaires et un indicateur de leurs lacunes. Par son succès, cet
espace de suivi convivial et personnalisé des patients concentre
des enjeux plus importants quon ne limaginait il y a
encore 2 ans, offrant des biens de substitution à certains actes
médico-sociaux. Ce faisant, lInternet médical est devenu le
lieu où se lit lavenir des systèmes de soins occidentaux.