Laurent ALEXANDRE, Cédric TOURNAY

17 janvier 2000
Suite  (3/4)

Par les marchés inversés

Exemples : ePublicEye.com - ePinions

Puisque le Web consacre un modèle de fixation dynamique et décentralisée des prix, certains opérateurs ont décidé d’aller au bout de la logique, en développant des plates-formes de commerce électroniques sur lesquelles ce sont les acheteurs qui fixent les prix qu’ils sont prêts à payer. En théorie, ce système concrétise le rêve des économistes et des industriels en amenant le client à révéler ses préférences, et surtout sa propension à payer. En pratique, les internautes ont tendance à formuler des propositions d’achat inférieures au montant qu’ils seraient réellement disponibles à payer dans un système classique. Cette formulation " moins disante " constitue un jeu par lequel les internautes essaient d’accroître le ‘surplus du consommateur’. Les marchés inversés constituent bien un dispositif " price killer " grâce auquel les internautes font pression sur les marges des producteurs et des distributeurs.

Dans le domaine touristique, le site Expedia de Microsoft propose un service de ventes inversées sur les billets d'avion, où les acheteurs potentiels indiquent le prix maximum qu’ils sont prêts à payer pour une offre donnée.

Priceline, le principal concurrent d’Expedia, propose déjà ce système de vente, intitulé "Name your price". Lorsque l’internaute formule une offre, elle est transmise par voie électronique au partenaires de la centrale de réservation. Ceux-ci peuvent accepter (ils concluent alors la vente avec l’internaute), ou décliner la proposition. Le Web permet ainsi l’organisation de millions de micro-négociations décentralisées sur un mode semi-automatique. Le réseau joue pleinement son rôle de marché d’informations pure et parfaite, où les prix et la nature des offres se négocient librement entre agents économiques, à des coûts très faibles. A l’extrême, on peut imaginer qu’un internaute procède à l’achat d’un vol Paris-Londres, en débutant par un enchère minimaliste (100 francs par exemple) puis en augmentant faiblement son prix jusqu’à ce qu’une compagnie accepte son offre. Il est alors assuré que le prix d’équilibre correspond bien à la meilleure offre possible, à un moment donné : le prix équivaut au coût marginal du billet ; il peut même être vendu en deçà du prix marginal si la compagnie souhaite ‘remplir un siège’ au dernier moment.

Le site ePublicEye va plus loin encore, puisque les internautes peuvent transmettre des propositions d’achat de façon anonyme, et sans s’engager. Les internautes peuvent en outre ajouter divers critères de qualité dans leur recherche (marque, modèle, type de livraison, etc.). Apparemment, l’anonymat n’est pas un frein à la réponse des commerçants du réseau, les cas de refus d'achat étant exceptionnels. Le procédé permet en tous cas aux concurrents d’une entreprise de découvrir ses prix planchers, en se faisant passer pour un internaute anonyme …

Enfin, les marchés inversés ont un impact puissant sur le commerce réel. Au-delà du tourisme, tous les secteurs d’activité sont concernés par ces systèmes, jusqu’à la distribution de détail (y compris médicaments OTC, parapharmacie et produits du domaine beauté/forme).

Sur Priceline, en effet, les consommateurs américains peuvent acheter en ligne des produits selon la logique de l’enchère inversée, puis passer dans un magasin partenaire pour récupérer leur commande. Il leur suffit alors de montrer le justificatif de leur achat électronique, une facture mentionnant le prix acquitté en ligne. La contagion de consommateur à consommateur est facile à imaginer, surtout quand le différentiel de prix est significatif entre un client de Priceline.com et un habitué du drugstore du coin de la rue. Dans l’exemple présenté ci-dessous, Priceline propose aux internautes d’acheter des antiacides à des prix défiant toute concurrence. Le site vous indique même les probabilités d’acceptation de votre offre en fonction des différents niveaux de prix que vous pouvez être tenté de fixer.

En outre, Priceline propose une offre spéciale d’antiacides à moitié prix (1/2 price special, garantie à 95 %), où l’internaute paie 50 % du montant du médicament tandis que Priceline verse l’autre moitié du prix, grâce aux coupons électroniques amassés par l’internaute fidèle. Pour toutes ces raisons, les systèmes de marchés inversés constituent une évolution fondamentale dans le monde du commerce.

Par les services de comparison shopping et les agents intelligents

Exemple : Promoselect, Bravonestor

Les services de comparison shopping, aussi appelés ‘consomédiaires’, se positionnent comme les avocats des consommateurs dans le monde du commerce électronique.

En France, Promoselect souhaite occuper se créneau en se présentant comme ‘le guide pour bien acheter en ligne’. Lancé en novembre 1998 et visité par plus de 3.000 internautes chaque jour (comptage de décembre 99), le site organise l’accès à plus de 300 sites marchands. Sorte de portail du commerce électronique, il met en avant les ‘bonnes affaires’ dénichées sur le Web et assiste les internautes via toutes sortes de services.

Ce type de sites se multiplie, profitant de l’appétence des consommateurs pour ces services pratiques et des progrès des technologies de recherche (moteurs et agents intelligents). Les "shopbots" (robots logiciels capables de traiter d’énormes volumes de données sur le Web pour comparer les offres de multiples offreurs), arrivent enfin à maturité. Les vendeurs en ligne, eux, se prêtent au jeu et structurent leurs bases de données en conséquence, de peur d’être exclus du recueil d’informations organisé par les consomédiaires (opérateurs de comparison shopping). BravoNestor.com, version française du célèbre site américain mySimon.com, devrait jouer un rôle de premier plan sur ces marchés émergents. Son challenger, Buycentral.fr, est la filiale d’un autre acteur de référence du commerce électronique aux Etats-Unis (Buycentral.com). Tous formulent la même promesse : trouver en un temps record le meilleur prix pour un produit donné.

Progressivement, ces outils s’enrichissent pour proposer des modules de recherche complexe, mêlant de multiples critères de qualité, de disponibilité, de livraison, etc. Ils se rapprochent du concept d’agents intelligents par leur capacité à mémoriser les actions passées et les préférences de l’internaute.

La société Frictionless.com propose déjà des outils à très forte valeur ajoutée dans ce domaine, à partir de technologies développées au MIT. Ces dispositifs conduisent les vendeurs à homogénéiser leurs tarifs mais aussi à améliorer la qualité de leurs prestations. Dans cette économie ‘sans friction’, où l’internaute a accès instantanément à tous les biens et services imaginables dans des conditions de transparence parfaite, le moindre grain de sable (une chaîne logistique moins performante que celle d’un concurrent par exemple) peut endommager fortement l’activité des industriels.

Suite et fin (4/4)

17 janvier 2000