Dans cette course, lune
des conditions du succès réside dans la capacité des sites à sadapter
à leurs utilisateurs. Ils doivent apprendre à différencier les pages,
les contenus et les services proposés à chacun, en fonction de ses
goûts, de ses habitudes, de son profil socio-démographique. Reconnaissons
tout de suite que ce type de démarche pose des problèmes de confidentialité
et de respect de la vie privée des individus. Grâce au Web, les
Américains découvrent que le respect des informations individuelles
nest par ailleurs pas suffisamment assuré : les sociétés
de vente par correspondance, de télémarketing ou de tout autre type
de service nont pas attendu lavènement des réseaux multimédias
pour constituer des bases de données sur leurs clients. Face à ce
danger, les Etats réagissent et instituent des garanties juridiques
tandis que les associations renforcent leur vigilance face à ces
phénomènes. Les Etats-Unis, notamment, sont en train dinventer
une simili-CNIL tandis que les pays de lUnion Européenne doivent
appliquer dici octobre 1998 la directive
relative à la protection des données personnelles. Nous aurons loccasion
de revenir sur ces questions, fondamentales en matière médicale.
Les portails sont aujourdhui
animés par la volonté de mieux connaître leurs visiteurs afin de
savoir comment les fidéliser. Les promoteurs de ce type dapproche
estiment que le portail, demain, sera une " base "
(" home base ") pour linternaute. Le concept
de " base " est proche de celui de Hub
mais il sen distingue par une ouverture accrue. Cest
un lieu familier où lutilisateur viendra se reposer entre
chaque excursion sur le réseau. De ce point, il organisera ses raids
et ses relations avec le reste du monde électronique. Il disposera
dune revue de presse personnalisée (ouvrant sur des banques
dinformations), dun moteur de recherche dédié ou encore
de plates-formes de discussion (chat, forum) organisées selon sa
demande (gestion de ses pseudonymes, de lhistorique de ses
discussions, etc.). Dun point de vue fonctionnel et informatique,
ces services pourront être fondés sur lutilisation dagents
daccueil (cf. supra) ou de programmes informatiques (scripts
CGI, pages ASP, applets Java ou Active X) interagissant avec les
bases de données de personnalisation. Les pages de démarrage personnalisées
préfigurent lémergence de ce type de plate-forme. De My
Yahoo à CNN
Custom News en passant par My
Netscape, tous les leaders du Web testent aujourdhui cette
formule. En santé, aucun service de ce genre na encore émergé.
>Demain, votre quartier
général sur le Web devrait être beaucoup plus sophistiqué que dans
les esquisses actuelles. Vous personnaliserez le design de votre
base, développerez un bureau virtuel (avec agenda, modules de vidéoconférence,
agent de veille et autres documents types ou service de traduction
automatique) et disposerez dun magasin électronique organisé
selon vos besoins et vos goûts (un agent logiciel soccupera
de vous faire livrer du lait toutes les semaines ou de commander
le Prix Goncourt dès sa sortie).
Les gestionnaires de ces
sites peuvent dores et déjà exploiter cette logique de personnalisation
en développant des stratégies micromarketing. Dans les années qui
viennent, les revenus des éditeurs seront directement corrélés au
degré de connaissance et de fidélisation des utilisateurs de leurs
services. Les bandeaux publicitaires, par exemple, sont personnalisés
selon le profil des internautes ou selon leur requête à un moment
donné. Lorsque vous tapez " book "
sur AltaVista, une publicité pour Amazon (premier libraire électronique)
saffiche. Généralement, les internautes cliquent sur le bandeau
plutôt que de se perdre dans le milliard de pages proposées par
le moteur de recherche. Une ingénierie complexe sorganise
autour de ces techniques de micro-marketing. Aujourdhui, un
annonceur verse en moyenne à un portail entre 300 et 800 francs
les 1 000 pages vues avec son bandeau en incrustation. Les tarifs
varient selon le thème de la page ou de la requête effectuée par
linternaute. Demain, lorganisation économique du micromarketing
tiendra également compte de la qualification de linternaute
(ex : patient ou médecin), de la poursuite de son parcours
(a-t-il acheté un livre chez Amazon après avoir lu une critique
sur le site de Libé et cliqué sur un bandeau publicitaire disposé
en haut de la page ?) et de quelques autres variables. Si le
modèle ne peut pas être appréhendé complètement aujourdhui
(établira-t-on des différences entre un utilisateur et son agent
logiciel ?), il est aujourdhui certain que la publicité
sur le Web sera une industrie hyper-documentée et dune précision
inégalée, autant dans la relation media/utilisateur que dans les
rapports media/annonceurs. Vis-à-vis des internautes, les services
en ligne devront prouver quils respectent certaines règles
déontologiques. Vis-à-vis des annonceurs, ces services devront présenter
des rapports de campagne détaillés et objectifs. Déjà, les portails
font appel à des régies publicitaires pour gérer ces contrats ainsi
quà des tiers de confiance pour certifier leur audience.
Sur ce terrain, la guerre
entre services Web promet une nouvelle fois dêtre acharnée.
Personne nentretient dillusions sur lattitude
quadopteront les utilisateurs face au développement des services
personnalisés. Les internautes nont ni intérêt ni envie davoir
200 adresses personnalisées et autant de modules associés pour chaque
pas quils sont amenés à faire sur le réseau. Si le concept
simpose, il est probable que chaque utilisateur sélectionnera
un site et un seul comme base sur le Web. Les " Hello !
consommateurs ", comment les désignent la presse
informatique aux Etats-Unis, ne sattrapent pas avec quelques
astuces pour gogos. Les éditeurs de sites devront développer des
relations de confiance solides avec les utilisateurs, leur apporter
des services personnalisés de qualité tout en respectant leur vie
privée. A ce jeu, les portails qui remportent aujourdhui les
combats marketing ne sont pas assurés de continuer à tenir demain
le haut du pavé numérique.
Quelle que soit lévolution
des modèles, une logique de moyens envahit le Web. Lidée selon
laquelle tout le monde est égal sur lInternet nest plus
vraie : David ne peut plus faire mieux que Goliath. Les " media
companies " sont en cours de constitution sur le Web.
Déjà cofondateur du service en ligne MSNBC
avec Microsoft, la chaîne NBC
vient de prendre une part
significative du capital de SNAP,
le portail développé par Cnet. Parallèlement, Disney
entrait dans le capital
dInfoseek,
autre annuaire célèbre sur le Web. Déjà propriétaire dABC,
Disney envisage de constituer un vaste pôle médiatique présent dans
les secteurs télévisuel, cinématographique et multimédia. Après
léchec de son service propriétaire MSN,
Microsoft est pour sa part décidé à organiser un réseau de services
en ligne qui le rendent incontournable sur le Web et en fassent
la première destination des internautes. Il compte pour cela exploiter
la marque Start
popularisée par Windows et simposer comme la
référence en matière dagence de voyages électronique (Expedia),
de journal électronique (Slate),
de service de messagerie gratuite (Hotmail),
de service
financier, de guide
géographique, dencyclopédie (Encarta),
de jeu (Gaming zone)
et de tout autre type de service susceptible dintéresser les
passants. Contrairement aux portails classiques, Microsoft a choisi
de ne pas concentrer lensemble de ses services sur la même
page. Chaque site a sa propre identité mais une fenêtre discrète
permet en toute situation de passer dun site Microsoft à un
autre. Microsoft réussira peut-être son OPA sur le Web par ce système
de liens et dauto-référencement après avoir échoué dans sa
tentative de contrôler les tuyaux. Dans une stratégie proche de
celle du premier éditeur de logiciel mondial mais à partir
dautres atouts Disney se rapproche en outre des câblo-opérateurs
pour contrôler les infrastructures qui lui permettront de proposer
aux utilisateurs des services interactifs à haut débit. Naturellement,
des géants comme Time Warner avec ses services Pathfinder,
CNN, Time,
Money,
People
et Fortune
- ou Viacom
discret propriétaire de MTV,
de la Paramount
et de quelques autres joyaux - postulent aussi au rang de numéro
1. Alors que les accords de partenariat, les fusions, les prises
de participation et autres rapprochements se multiplient, les logiques
financières et industrielles se brouillent. Disney, par exemple,
a pris une part significative dInfoseek pour que sa filiale
multimédia, Starwave,
se valorise sur les marchés boursiers, reconnaissant ainsi la difficulté
des grands groupes à créer de la valeur sur le Web en restant seuls.
Laccord donne 43 % dInfoseek à Disney contre une participation
dans Starwave plus 420 millions de francs. Cette opération valorise
Infoseek à plus dun milliard de francs alors que lentreprise,
même si elle accueille quotidiennement 14 millions dutilisateurs
sur son service, nest âgée que de quatre ans et na réalisé
que des exercices déficitaires. Ces jeux capitalistiques sont compliqués
par les relations interpersonnelles qui existent entre les entrepreneurs
informatiques aux Etats-Unis. Starwave, acquis en avril 1998 par
Disney, a par exemple été créée en 1993 par Paul Allen, co-fondateur
de Microsoft et investisseur technophile.
La guerre des portails
devient ainsi un jeu de chaises musicales où le groupe le plus habile
et le plus réactif (vis-à-vis du milieu industriel, et non plus
seulement par rapport aux internautes) pourra sasseoir sur
la dernière chaise pour savourer sa victoire.
Les moyens nécessaires
ne sont pas uniquement financiers. La bataille de laudience
sur le Web dépend maintenant de la capacité des acteurs à générer
un contenu riche, attractif et constamment actualisé. A ce jeu,
les majors disposent de puissants atouts. Disney, par exemple, peut
capitaliser sur son fond cinématographique, sur ses filiales télévisuelles
et presse ainsi que sur les sites spécialisés quil a déjà
développés, en partenariat avec dautres acteurs. Le géant
du divertissement dispose par exemple dun des sites Web consacrés
au sport les plus populaires : ESPN
Sportzone. Sans fonds documentaires, sans filiales générant
quotidiennement des contenus déjà validés et rentabilisés sur dautres
supports, les postulants au rôle de hub sur le Web semblent condamnés
à léchec. Agréger du contenu, cest bien, proposer du
contenu original, cest mieux. Certains acteurs sapprêtent
ainsi à prendre leur revanche par rapport aux start-up nées au début
des années 90 et qui prétendaient reformuler léquilibre des
forces en présence sur le marché de linformation. Ainsi le
prestigieux New
York Times a-t-il développé un site Web denvergure, volontairement
en retrait par rapport à la fièvre des portails. Son image, son
lectorat et sa capacité industrielle à produire du contenu de qualité
font de lui un acteur capable de compter sur le Web. Il vient notamment
de conclure un accord stratégique avec Barne
& Noble, permettant au libraire denvisager de récupérer
la distance perdue vis-à-vis de son challenger, Amazon. Il est vrai
que les cahiers littéraires du N.Y Times, quils soient en
ligne ou dans la version papier, permettent de drainer un grand
nombre de personnes vers des services dachat en ligne douvrages.
Le N.Y Times souhaite en outre jouer la carte de la proximité là
où les portails, à la recherche dune masse critique, ressemblent
à des monstres froids qui tentent de plaire à lutilisateur
en essayant de capter ses goûts mais sans être capable de lui parler
de son environnement. Pour cela, il a lancé le site New
York Today en partenariat avec la société Citysearch,
qui propose des cartes et des renseignements de tous types sur les
villes américaines.
Dans un registre proche,
les services financiers disposent datouts pour devenir des
services de premier plan sur le Web : ils bénéficient de la
confiance de leurs abonnés, avec lesquels ils entretiennent des
contacts constants, ils savent personnaliser des informations et
des services, possèdent la capacité financière et les relations
commerciales permettant de solvabiliser leur développement, notamment
grâce aux ressources publicitaires et au commerce électronique.
Les sites de Charles
Schwab ou de Fidelity,
par exemple, jouissent sur le réseau dune popularité rare.
Le groupe E*Trade
commence à étendre la nature des services quil propose, incitant
par exemple les visiteurs à participer à des jeux
dont lobjet consiste à investir de largent virtuel.
Nattendez pas de miracle, les gains aussi sont virtuels. Le
groupe annonce même larrivée prochaine dun " site
brûlant, la nouvelle génération des sites financiers ".
Il est vrai que, selon une étude du Cabinet CyberDialogue,
60 % des internautes américains sont considérés comme des "digital
financiers", cest-à-dire des internautes organisant en
ligne une grande partie de leurs activités bancaires et boursières.
A ce jeu, des outsiders
inattendus se présentent. Le dernier en date a provoqué les sarcasmes
du microcosme de la silicon-valley, tant il est vrai quil
correspond peu aux standards de lentrepreneur hi-tech américain.
Avie Glazer, Président de Zapata
Corporation, est à la tête dun groupe texan créé par Georges
Bush en 1953 et aujourdhui présent dans lagroalimentaire
(le poisson pour être précis). Avie Glazer est décidé à transformer
son groupe en " Media company " sur 5 ans et
ambitionne de figurer dans le top 10 des portails dici 2005.
Pour ce faire, il dispose dune réserve de 125 millions de
dollars grâce à laquelle il rachète
tous les sites prometteurs aujourdhui confrontés aux limites
capitalistiques de leurs ambitions. Il a déjà acquis quelques perles
comme Starting point,
Mass Music,
Travel Page,
Comfind, Latino
Link ou Advancing
Women. Lexercice montre assez bien le passage de relais
entre technophiles ingénieux et gestionnaires rigoureux. Si vous
avez une opportunité à lui proposer, nhésitez pas à contacter
directement Avie Glazer ;
le cycle des affaires sur le Web, devenu infernal, se règle maintenant
par e-mail.
Plus largement, certains
observateurs vont jusquà penser que les portails de demain
seront les sites dentreprises. Loin de la très médiatique
guerre des portails, des groupes comme Compaq,
Boeing ou National
Semiconductor sévertuent à organiser des services complexes
pour leurs clients et partenaires. Ils disposent de moyens conséquents
pour déployer des stratégies Web ambitieuses et peuvent rentabiliser
leurs engagements sur leur activité (accroissement de parts de marché
par exemple) plutôt que par des ressources publicitaires. Les grandes
entreprises américaines ne se contentent plus de donner quelques
informations de base sur leur compte ; elles agrègent du contenu
relatif à leur secteur dactivité, à leurs produits, à leur
vision et valeurs. Certains sites dentreprises comme
celui de Boeing - sont ainsi consultés 4 ou 5 fois par jour par
les membres de ses entreprises partenaires. Naturellement, les entreprises
qui déploient des stratégies Web ambitieuses ne le font pas seulement
dans une perspective " business to business ".
Elles profitent du media pour renforcer leurs relations avec le
grand public, notamment en développant des services de commerce
électronique, comme Compaq.
Lavenir montrera peut-être que toute entreprise doit aussi
être une entreprise médiatique, quelle que soit son secteur dactivité.
Les start-up du Web lont compris et licencient leurs services
aux entreprises désireuses de développer leurs réseaux dinformation,
quil sagisse de leurs sites Web, de leur Intranet ou
des Extranet quelles partagent avec leurs partenaires.
En marge des grandes manuvres,
les internautes continuent dimaginer de nouvelles façons de
communiquer. Face aux mastodontes en cours de constitution, les
Webmestres qui animent des sites non professionnels ont compris
quils devaient sentraider pour rester visibles sur le
réseau. Ce mouvement sexprime actuellement par la constitution
de Webrings, ou " anneaux de sites ". Les Webrings
sont une chaîne de sites qui portent sur un sujet commun. Ils constituent
une formule originale, à situer quelque part entre le portail et
le site communautaire. Les Webrings se sont développés grâce à la
consolidation des liens que les Webmestres avaient pris lhabitude
de nouer avec les sites proches du leur dun point de vue thématique,
culturel ou affectif.
Ces anneaux commencent
à compter sur lInternet. La consultation des services quils
regroupent croît de 10 % par mois. Les 40 000 anneaux constitués
représentent 500 000 abonnés pour 700 000 pages vues quotidiennement.
Chaque Webring désigne un coordonnateur qui assure lévolution
harmonieuse de lanneau et des sites qui le composent. Lanimateur
dun Webring dédié à la médecine durgence sassurera,
par exemple, que chaque site ne développe pas un chapitre pour présenter
les gestes du secourisme. Ce module sera confié à un des services,
qui pourra ainsi créer un module complet, efficace et fortement
consulté. Les autres sites seront invités à se concentrer sur dautres
modules (agenda des formations en secourisme, annuaire des services
durgence, chiffres-clefs de la médecine durgence, etc.).
Dans ce schéma, les gestionnaires de chacun des sites qui composent
lanneau sentraident pour aboutir à un service qui puisse
concurrencer les sites professionnels au niveau de la qualité du
contenu, de la mise à jour, de linteractivité et de la qualité
de service.
Dans les anneaux, les
logiques de navigation sont multiples et plutôt originales. Naturellement,
lanneau comporte une porte dentrée, cest-à-dire
un site qui présente le Webring et les ressources qui y sont proposées.
Ensuite, lutilisateur peut passer dun site à un autre
selon une logique linéaire, partir au hasard dans lanneau,
effectuer des recherches par mots-clefs ou disposer dune vue
densemble. Cette organisation des contenus porte ombrage aux
moteurs de recherche, confrontés à une concurrence originale. Si
vous recherchez des informations sur Star Trek, préférez Webring
à AltaVista.
Lensemble de ces
anneaux sont fédérés au sein dun service unique, appelé Webring.
Le dynamisme des communautés quil abrite permet aux initiateurs
de ce projet denvisager un destin à la Yahoo. Le Web alternatif
nest pas mort ; il continue dalimenter en idées
et en matières premières les industriels à la recherche de formules
magiques pour réussir sur lInternet, comme le montre limportance
des articles
consacrés à ce phénomène. Des outsiders ont dailleurs commencé
à exploiter le modèle des anneaux, dans une optique plus commerciale :
Ringsurf,
Looplink,
The rail ou
Web
Tower.
Les Media companies
ont ainsi pour centres de R&D les chambres dinformaticiens
adolescents ayant grandi avec le Web. Pour preuve, le créateur de
Webring, Sage Weil, vient de vendre le site à Starseed,
start-up spécialisée dans le développement de services Web communautaires.
Lhistoire nest pas aussi triste quil y paraît :
Sage Weil, qui aura 20 ans cette année, aurait difficilement pu
lutter seul contre les Media companies, surtout quil
doit passer prochainement son baccalauréat en sciences informatiques,
au Harvey Mudd College.
Responsable de Webring au sein de Starseed, il continue dailleurs
de développer son idée.
Le futur du Web change
tous les jours. Le métier des portails est avant tout la réactivité.
Les modèles de sites comptent peu. Les modèles dentreprise
sont fondamentaux. Netscape, depuis 1992, aura successivement été
une entreprise de développement logiciel monoproduit (Navigator),
un éditeur de solutions dentreprises (gamme Suitspot), un
portail (Netcenter), un gestionnaire global de services en ligne.
Demain, que sera Netscape ? La pression des actionnaires rend
difficiles les pronostics. Le récent revirement stratégique est
largement dû aux pertes de parts de marché face au géant Microsoft.
Plutôt que de croiser le fer sur un terrain où ils se savaient faibles,
les responsables du groupe ont préféré modifier leur démarche pour
rester à la pointe des innovations du Web, là où laction se
valorise le mieux. Retraite habile ou fuite en avant ? Quoi
quil en soit, Netscape continue de se développer et de capitaliser
sur sa marque, non sans avoir pris le soin de mettre en difficulté
Microsoft. Netscape Navigator est de nouveau gratuit (Netscape reste
donc le leader dun marché de bientôt 300 millions de consommateurs
sans que cela ne lui rapporte un franc) et le code source du logiciel
a été mis dans le domaine public pour que la communauté internationale
des programmeurs et des internautes puissent développer sur un mode
associatif le système de navigation sur le Web, construisant ainsi
une alternative solide à Microsoft Internet Explorer. Moyennant
cette intuition, la communauté internationale est à peu près assurée
de ne pas subir sur lInternet le monopole quelle connaît
avec Windows en matière bureautique. Nous aurons loccasion
danalyser plus en détail ces stratégies logicielles dans un
univers où les modes de production alternatifs fonctionnent efficacement,
comme lont montré les succès du système dexploitation
Linux ou du logiciel serveur Apache, tous deux gratuits, performants
et plutôt moins bogués que leurs concurrents commerciaux.
Peu importent les étiquettes
accolées aux services en ligne, donc. Tout lenjeu, pour les
acteurs de lInternet, consiste à savoir sinsérer dans
le mouvement en cours tout en prévoyant le suivant. LHistoire
remettra demain de lordre dans ce grand chaos créateur. Que
reste-t-il quand tous les modèles sont relativisés ? Le professionnalisme,
bien sûr, et beaucoup en font preuve aujourdhui. Mais, quand
les règles de production et de gestion de sites Web se seront stabilisées,
limagination redeviendra maîtresse. Les cartes, alors,
pourraient être rebattues. En ces temps de cocorico, remarquons
que la " French touch " est particulièrement
appréciée dans le monde numérique : deux entreprises françaises
(Infogrammes, Ubi
soft) figurent parmi les leaders des jeux interactifs, les Français
dominent le paysage des musiques électroniques, les studios hollywoodiens
recourent fréquemment au service des graphistes et programmeurs
hexagonaux pour monter des effets spéciaux de plus en plus complexes,
Canal+ simpose
comme lun des principaux groupes multimédia en Europe et le
géant Digital compte sur les chercheurs
de lEcole des mines pour faire progresser sa technologie AltaVista.
Avec un peu de professionnalisme et dambition, donc, les Français
pourraient monter les plus beaux services Web du monde, quel que
soit le nom quon leur donne.
Les groupes qui simposent
dans le paysage Web ne seront plus des portails ; la configuration
des services aura évolué mais leur marque se sera imposée, leur
savoir-faire enrichi et leurs moyens accrus. Comme lindique
une récente enquête du Gartner
Group, les 5 portails qui seront sortis vainqueurs de la confrontation
actuelle occuperont en 2001 dans le paysage médiatique et dans limaginaire
collectif la même place que les grandes chaînes de télévision aujourdhui.
Dans cette étude, le Gartner Group estime que les entreprises leaders
sur le Web seront celles qui comprennent le mieux lenvironnement
des internautes. Cela implique, notamment, dappréhender correctement
le rapprochement du PC et du poste de télévision, du Web et des
chaînes numériques.
On peut dailleurs
remarquer que certains groupes télévisuels initient des stratégies
de portail en matière de télévision numérique. En effet, il est
aujourdhui difficile pour les téléspectateurs de sy
retrouver dans la jungle des bouquets. La situation est appelée
à se corser avec le développement des services interactifs, tels
quils se dessinent par exemple dans les projets de C:,
la chaîne cyber du groupe Canal+. Impossible, par exemple, de rechercher
à partir de mots-clefs le programme qui vous plairait le plus à
un moment donné. La consultation des programmes télé devient un
supplice à côté duquel les recherches de Champollion ressemblent
à la lecture de Pif gadget. Partant du constat que la télévision
numérique restait à la fois extrêmement pauvre en fonctionnalités,
en interactivité, en ergonomie et en qualité de navigation, la société
United Video Satellite
Group filiale du cablô-opérateur Tele-communications
- a dons décidé de créer un portail télé. Elle a récemment passé
un accord avec le groupe News.Corp,
dirigé par Rupert
Murdoch, afin de pouvoir exploiter leur guide TV. Cette base
de données sera utilisée comme le cur de son portail pour
créer des interfaces de recherche et de consultation qui enverront
les listes de programmes actuelles dans les mêmes poubelles que
le DOS. Pour mesurer la portée des enjeux, il convient de préciser
que des concurrents de United Video ont déjà porté plainte auprès
des autorités antitrusts pour abus de position dominante alors
même que United Video na encore délivré aucun produit. Il
est vrai que cette start-up prometteuse pourrait tomber dans lescarcelle
dATT si lOPA lancée par ce dernier sur TCI aboutit (coût
de lopération : 195 milliards de francs). Dans ce cas,
ATT disposerait dun contrôle sans équivalent des accès à lInternet,
aux réseaux câblés et aux bouquets numériques de télévision. Propriétaire
du premier portail télévisuel, il maîtriserait également un ensemble
de sites et de portails stratégiques comme SNAP
(dont NBC est également actionnaire), Mining
Co, Newspage
et quelques autres. Dans le même temps, ATT maîtrise laccès
physique au réseau, notamment au travers de sa filiale Worldnet
ou de ses participations dans Compuserve et AOL.
Quelque soit la façon
dont évoluent ces jeux industriels, les modèles daccès à linformation
développés sur lInternet devraient donc " contaminer "
progressivement les autres médias, de toutes façons appelés à évoluer
sous la pression de la numérisation croissante des activités humaines
et des infrastructures qui les soutiennent.
Pour conclure ce dossier,
nous devons en définitive reconnaître notre incapacité à pouvoir
recommander un modèle de site Web. Ce nest dailleurs
pas souhaitable. Comment adapter au contexte européen les leçons
du marché américain ? Comment sorganiseront en France
les services médicaux alors quéditeurs et utilisateurs disposent
de deux réseaux (le RSS et lInternet) pour organiser leur
démarche ? Qui gérera les portails sur le RSS et de quelle
façon ? Comment les industriels et les éditeurs français pourront-ils
résister aux acteurs américains alors que le fossé entre les investissements,
les technologies, les marques et les équipes des deux continents
se creusent jour après jour ?
" Ce nest
quau début du crépuscule que la chouette de Minerve prend
son vol ". En ces termes, Hegel affirmait que lexplicitation
dun phénomène nest possible quaprès coup. Face
à un paysage aussi turbulent et incertain que le Web, lexplication
de ce que sera le monde numérique demeure malaisée.
"
Pour dire un mot de la prétention denseigner comment
doit être le monde, nous remarquons quen tous cas,
la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée
du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a
accompli et terminé son processus de formation "
Principes
de la philosophie du droit, Préface
La place est aujourdhui
aux bâtisseurs, non aux philosophes et encore moins aux devins.
5 ans après larrivée du Web, il convient que les acteurs européens
y compris le monde de la santé dépassent la logique
dapprentissage pour que les analyses à venir ne concernent
pas seulement les succès des autres.