Professeur
Louis Lareng
Directeur
de l’Institut Européen de Télémédecine
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« Nous
sommes à une nouvelle croisée des chemins en télémédecine ».
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15 mars 2001
suite et fin (3/3)
Selon vous, la télémédecine marque le pas aujourd’hui ?
Les
opérateurs doivent sentir qu’il existe un besoin de matériel pour
produire et faire de nouveaux investissements. Ce n’est pas le cas.
On parle de télémédecine plus que l’on n’en fait. Nous sommes à
une nouvelle croisée des chemins en télémédecine.
En 1966,
trois expériences ont eu lieu, à un mois d’intervalle, sans concertation :
aux Etats-Unis (dans l’Alaska), en URSS, et à Toulouse, dans mon
service. C’était le début de la télémédecine, la première révolution
qui a associé voix et données animées. Nous avons transmis un électrocardiogramme,
tension artérielle et respiration. Nous avons fait cela avec Marcel
Dassault qui prévoyait de se développer dans l’électronique médicale
à l’époque. Après cette expérience réussie, il a voyagé pour promouvoir
son système, au Canada, aux Etats-Unis. Personne n’a été preneur.
Entre la fin des années 1960 et le début des années 1990, la télémédecine
ne s’est développée que lentement. Le début des années 1990 a marqué
une seconde révolution, la télémédecine a été en mesure de conjuguer
voix, données et image animées et simultanées. Il s’agit de la « vraie
télémédecine », celle dont on parle aujourd’hui.
Nous sommes
à une nouvelle croisée des chemins, pour le développement et l’amélioration
des matériels mis en place dans les années 1990. Les améliorations
portent sur la miniaturisation, le débit (débit suffisant à un coût
modéré car le débit satellitaire est cher et pénalise les pays en
développement), ainsi que sur les sources électriques sur place
pour les pays en développement…
Pour que
la télémédecine continue de se développer, il faut d’une part qu’elle
trouve des moyens de financement pour son fonctionnement et d’autre
part que le prix des communications baissent, communications filaires
ou par satellite. Sans cela, les industriels arrêteront d’investir,
ils ne feront pas d’effort pour miniaturiser le matériel, produire
les dispositifs permettant d’aller au domicile du patient…
Vous travaillez sur un système d’urgence
universel, le GETS (Global Emergency and Telemedecine Service).
Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Ce
système d'urgence universel doit permettre l'accès aux soins pour
les personnes et les régions les plus isolées. Il s’agit d’un programme
européen, qui a aussi été accepté dans le cadre du G7. Le but est
d’établir un service d'urgence multilingue et multidisciplinaire
au niveau planétaire. La difficulté consiste à satisfaire en même
temps la langue (le demandeur et l’expert doivent parler la même
langue), les fuseaux horaires (il faut savoir qui peut être appelé
à quel moment), et la spécialité. Nous faisons des essais en Europe
aujourd’hui. Mais ce type dispositif a déjà fonctionné en grandeur
réelle dans les Balkans : l’armée américaine avait à sa disposition
112 hôpitaux US lors de son intervention dans les Balkans :
elle n’avait pas d’hôpitaux avancés, seulement des officiers de
santé qui administraient les premiers soins, et une hospitalisation
graduée (tel ou tel hôpital en fonction de la lésion) et coordonnée.
La principale difficulté du dispositif d’urgence universel réside
dans la difficulté de réunir toutes les spécialités qui gèrent l’urgence.
L’idéal serait d’avoir un généraliste de l’urgence qui serait un
aiguilleur qualifié.
Parlons maintenant d’Internet. N’assiste–t-on pas au développement
de la « cybermédecine », très différente de la télémédecine ?
La
télémédecine utilise les technologies Internet. En revanche, je
suis assez dubitatif concernant Internet comme réseau ouvert aux
soins. Il y a des problèmes de performance (débit), et de sécurité,
qui préoccupent fortement mes confrères même aux Etats-Unis. Nous,
Européens, nous rajoutons un obstacle. Notre culture privilégie
le contact médecin patient. Le patient est un partenaire, et non
un contestataire qui aurait un avis opposable à celui de son médecin.
Je crains les mouvements consuméristes, avec des patients mal informés
qui se dresseraient contre le corps médical. Il y a aussi le danger
des « life masters », des sectes prodiguant des conseils
médicaux. Tout le monde peut s’exprimer sur Internet. Ceci est très
différent du fonctionnement des sociétés savantes, qui fonctionnent
sur la concertation pour la Recherche de la Qualité.
Pour
l’instant, Internet a des indications limitées. Il a une puissance
de feu pour la formation continue, et initiale. Et il l’aura d’autant
plus qu’il sera interactif.
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