Le
Web fête son entrée
dans l'âge de raison
Cédric
TOURNAY, Gaëlle
LAYANI
Laurent
ALEXANDRE
27 août
2000
Internet est entré
dans l'âge adulte. Il a définitivement perdu son principal attrait :
la nouveauté. Le Web s'est banalisé en devenant un circuit de distribution
comme un autre. En tant que tel, il obéit aux mêmes lois marketing
et commerciales, ce que nombre de sites marchands sont en train
d'apprendre à leurs dépens.
Et si tout simplement les start-up n'avaient pas su créer de la
valeur ?
La faillite de certaines
start-up ne s'explique pas uniquement par des coûts de fonctionnement
et de marketing trop importants. Elles n'ont pas su créer de la
valeur, c'est-à-dire proposer un service utile pour lequel les internautes
sont prêts à payer. Pourquoi commander sur Internet un produit et
attendre qu'il me soit livré le lendemain, si je peux acheter le
même au même prix à deux pas de chez moi ? Nous sommes passés
d'une logique d'offre à une logique de demande. Il faut désormais
répondre à un besoin et non proposer un concept original qui n'est
étayé par aucune étude de marché. Le client est de nouveau roi.
Le slogan "If you build it, they will come" ("si
vous le montez, ils viendront") est maintenant totalement dépassé.
Boo.com en a fait l'amère
expérience. En refusant de vendre ses produits sur ce site, Nike
a en partie signé l'arrêt de mort de Boo. Comment, en effet, prétendre
vendre des vêtements pour adolescents et jeunes adultes urbains
sans proposer des produits Nike ? La Net économie découvre
qu'elle ne peut pas ignorer l'économie traditionnelle.
Autre exemple de l'incapacité
à générer de la valeur, certains sites de crédit en ligne. D'après
Libération, les taux pratiqués ne sont pas particulièrement plus
intéressants que ceux proposés "off-line". Or, pourquoi
devrait-on utiliser un service moins avantageux (et peut-être plus
aventureux) sous prétexte qu'il est en ligne ?
A ce jeu, les start-up
ne font pas le poids face aux sociétés traditionnelles qui s'installent
sur Internet. Celles-ci ont depuis longtemps intégré cette logique
de demande. De plus, leur marque est déjà connue du public et elles
possèdent l'infrastructure, la logistique et les ressources humaines
nécessaires pour faire tourner une activité en ligne.
On l'a un peu oublié
ces derniers temps, mais une société ne se bâtit pas en six mois.
D'après certains théoriciens du management, il faut au moins dix-huit
mois pour mettre en place une équipe soudée et efficace. On a cru
à tort que les "nouveaux managers" allaient réorganiser
des secteurs d'activité entiers sous l'effet des nouvelles technologies.
Des erreurs de jeunesse fatales
De surcroît, les sites
marchands ont pâti de plusieurs idées fausses sur le commerce électronique
dénoncées dès octobre 1999. En effet, les start-up aux comportements
moutonniers ont souvent multiplié les erreurs en croyant, à tort,
que la révolution Internet permettait tout.
Les sites marchands
ressemblent trop souvent à un capharnaüm. Lorsque l'offre de produits
devient cacophonie, le cyberacheteur s'en détourne. En effet, celui-ci
a besoin d'être guidé et veut surtout trouver rapidement ce qu'il
cherche. Malheureusement, le désir de promouvoir à tout prix ses
produits prime souvent sur la volonté de faciliter la navigation
sur le site. Les "cyber malls" (centres commerciaux en
ligne) tels que Value America ou Amazon sont typiquement confrontés
à ce genre de problème.
On n'attire pas non
plus le chaland à coup de javascript ou d'animations Flash délirantes.
Un site doit être ergonomique et accessible rapidement. Le visiteur
ne doit pas être obligé de télécharger une douzaine de plugs-in
pour accéder au produit de ses rêves. Boo.com, dont la faillite
a été abondamment commentée par la presse, représente à ce titre
l'archétype de ce qu'il ne faut surtout pas faire. Non seulement
le site présentait des défaillances techniques graves (il était
parfois impossible d'enregistrer sa commande !), mais il était terriblement
long à charger même avec une connexion à haut débit, et une multitude
de "gadgets" ralentissait encore la visite du site. Les
concepteurs et designers du site avaient visiblement oublié que
la majorité des internautes ont une connexion classique par modem.
E-bay a également essuyé
des critiques acerbes à propos de eBay Motors, son site de ventes
aux enchères de véhicules d'occasion dont les lacunes techniques
et la piètre ergonomie ont déjà fait fuir de nombreux clients.
Miss Boo, l'une
des rares rescapées de la faillite, accueille désormais les visiteurs
sur le site Boo/Fashionmall
N'est pas Amazon qui
veut. On ne vend pas des livres comme on vend de l'électronique
grand public. Les acheteurs apprécient que leur interlocuteur connaisse
parfaitement ses produits. C'est souvent à leurs yeux un gage de
qualité et le signe qu'ils peuvent lui faire confiance. Or, un acheteur
confiant est souvent un acheteur fidèle.
Crutchfield,
spécialisé dans l'électronique grand public, qui a su résister aux
bulldozer Amazon et à ses prix sacrifiés, en misant sur les services
clients et sur son expertise. Un numéro d'assistance téléphonique
gratuit est continuellement visible sur le site. Au bout du fil,
des employés qui, après une formation de six semaines, connaissent
tout des produits et du marché. Le service clientèle constitue le
point fort de Crutchfield.
Posez vos questions
sur Crutchfield.com
Le plus difficile n'est
pas de vendre, mais de faire revenir les clients sur le site, de
les fidéliser. Il ne s'agit pas de proposer simplement des produits
à la vente en vrac. Il faut inciter les visiteurs à acheter en les
conseillant (subtilement mais fermement) sur ce qu'il serait bon
qu'ils achètent, bref de reproduire en ligne les stratégies de la
vieille économie tout en mettant l'accent sur l'assistance téléphonique
et le service après-vente.
Enfin, l'automatisation
à outrance effraie les acheteurs potentiels. Plus l'achat est urgent,
plus les consommateurs tendent à s'adresser à des personnes physiques.
Même bien conçu, un site ne peut pas prévoir toutes les questions
que se posent les visiteurs. Un site de commerce électronique ne
peut pas faire l'économie d'une assistance téléphonique, même s'il
possède une bonne rubrique d'aide. Le but du jeu : empêcher
le visiteur, découragé, de quitter le site sans rien avoir acheté.
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août 2000
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