La cyberdépendance,
drogue high-tech
Pierre
COSTA, Gaëlle
LAYANI et Laurent
ALEXANDRE
20 octobre
2000
suite et fin (2/2)
C'est grave Docteur ?
Le
nombre dheures passées quotidiennement sur Internet ne donne
que peu dindications sur le degré de dépendance. Ce nest
pas la durée qui importe mais plutôt lusage qui est fait dInternet.
La durée est dautant moins un élément déterminant quelle
varie selon les individus pour des raisons autres que le seul intérêt
pour le média : raisons techniques, sociales, financières et
culturelles.
Si on sait quen 2000,
linternaute français surfe en moyenne neuf heures par semaine
à domicile, on ne connaît pas lévolution de cette donnée à
moyen terme. Il suffit que les offres illimitées des fournisseurs
daccès prennent de lessor pour que la durée en ligne
explose ; une telle évolution commerciale modifiera complètement
lusage : on ne sera plus limité par le temps, on ne se
déconnectera plus en fin de session, etc. (pour en savoir plus,
lire notre article article France
: les internautes se connectent à Internet 9 heures par mois depuis
leur domicile).
Sur
le Net, de nombreux tests permettent dévaluer sa cyberdépendance.
Il sagit généralement de questionnaires simplistes comprenant
une ou deux douzaines de questions auxquelles on répond par oui
ou non. Chaque question permettant didentifier un symptôme,
au-delà de x symptômes
(généralement 5), on fait partie des cyberdépendants. A titre de
curiosité, nous vous invitons à réaliser le test du site psynternaute.com.
On peut toutefois s'interroger sur le sérieux de tels tests notamment
parce que la formulation des questions met trop en évidence la réponse
que lon attend de la part du questionné.
La
cyberdépendance provoque également des symptômes physiques. Le corps
humain supporte mal limmobilisme prolongé à 60 cm dun
écran lumineux. A terme, le corps se déforme, le surfeur sempâte
et souffre de troubles oculaires. Dautant plus, quune
telle passion est difficilement compatible avec une hygiène de vie
saine, qui suppose une alimentation équilibrée et la pratique d'une
activité physique.
Sur
le plan psychique, la névrose menace lutilisateur abusif.
Celui-ci devient irritable quand il na plus accès à son canal
dinformations préféré. Son attention peut également être monopolisée
par lattente dun mail qui narrive pas à temps.
Plusieurs psychologues considèrent la cyberdépendance comme une
maladie mentale à part entière. Ils la codifient dans la logique
de la nouvelle culture médicale américaine qui consiste à tout aborder
sous langle de pathologie. Ainsi, du point de vue de la classification
du DSM-IV,
la cyberdépendance est rapprochée des « troubles du contrôle
des impulsions ». Ce parti pris est pourtant critiqué car la
mise en évidence de symptômes communs ne suffit pas à comparer de
la sorte deux « maladies mentales ». Certains de ces psychologues
sont également dans une logique de profit puisquils proposent
une aide en ligne payante aux cyberdépendants et vendent sur Internet
leurs ouvrages sur le sujet. Pour eux, la cyberdépendance est un
business porteur quils abordent souvent maladroitement.
A
qui profite la cyberdépendance ?
La cyberdépendance est au cur
d'un des nombreux paradoxes de la Net économie. Si les cyberdépendants
constituent un sujet dinquiétude (santé physique, mentale
et productivité), ils font aussi la prospérité de certains business
models. Les sites pornographiques, par exemple, sont l'une des
rares activités rentables sur le Net, notamment parce que les internautes
sont prêts à payer pour accéder à leur contenu. La propension à
payer, mot magique, est plus forte pour ce secteur que pour les
autres catégories de sites.
Le Web élargit lhorizon
des possibilités du compulsif en puissance. L'Internet "désintermédiarise".
Un exemple : les investissements boursiers ne nécessitent plus,
depuis qu'ils se déroulent en ligne, l'intervention d'intermédiaires.
On peut réaliser toutes ses dépenses en temps réel et sans quitter
son bureau. Il en résulte souvent une baisse des coûts (lire notre
article sur Le
web, ce tueur de prix), mais en supprimant les intermédiaires,
on supprime également des soupapes de sécurité. Le boursicoteur
en ligne risque beaucoup plus que le client d'une banque qui confie
à celle-ci le soin de gérer ses SICAV. En cas de pertes, il ne peut
s'en prendre qu'à lui-même. Des cas de faillites personnelles ont
déjà été signalés
Une étude raisonnée de la cyberdépendance
doit à lavenir nous aider à mieux comprendre les besoins et
les usages de tous les internautes. On peut ainsi anticiper sur
lavenir et prévoir de quoi sera fait le Web de demain en analysant
le comportement actuel des « internautes de lextrême ».
Beaucoup de problématiques devront être abordées, comme par exemple
le Web et la réalité de lachat impulsif. Pour ceux qui souffrent
vraiment de leur cyberdépendance, espérons quils sauront sy
retrouver dans les méandres de laide psychologie en ligne.
Il serait en effet dommageable pour tous que les psychiatres les
plus sincères ne sachent pas se faire entendre.
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