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Les portails passeront-ils l’été ?
Modèles de sites et canons du Web


Cédric TOURNAY

4 août 1998
Suite et fin (4/4)


Et après ?

Dans cette course, l’une des conditions du succès réside dans la capacité des sites à s’adapter à leurs utilisateurs. Ils doivent apprendre à différencier les pages, les contenus et les services proposés à chacun, en fonction de ses goûts, de ses habitudes, de son profil socio-démographique. Reconnaissons tout de suite que ce type de démarche pose des problèmes de confidentialité et de respect de la vie privée des individus. Grâce au Web, les Américains découvrent que le respect des informations individuelles n’est par ailleurs pas suffisamment assuré : les sociétés de vente par correspondance, de télémarketing ou de tout autre type de service n’ont pas attendu l’avènement des réseaux multimédias pour constituer des bases de données sur leurs clients. Face à ce danger, les Etats réagissent et instituent des garanties juridiques tandis que les associations renforcent leur vigilance face à ces phénomènes. Les Etats-Unis, notamment, sont en train d’inventer une simili-CNIL tandis que les pays de l’Union Européenne doivent appliquer d’ici octobre 1998 la directive relative à la protection des données personnelles. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions, fondamentales en matière médicale.

Les portails sont aujourd’hui animés par la volonté de mieux connaître leurs visiteurs afin de savoir comment les fidéliser. Les promoteurs de ce type d’approche estiment que le portail, demain, sera une " base " (" home base ") pour l’internaute. Le concept de " base " est proche de celui de Hub mais il s’en distingue par une ouverture accrue. C’est un lieu familier où l’utilisateur viendra se reposer entre chaque excursion sur le réseau. De ce point, il organisera ses raids et ses relations avec le reste du monde électronique. Il disposera d’une revue de presse personnalisée (ouvrant sur des banques d’informations), d’un moteur de recherche dédié ou encore de plates-formes de discussion (chat, forum) organisées selon sa demande (gestion de ses pseudonymes, de l’historique de ses discussions, etc.). D’un point de vue fonctionnel et informatique, ces services pourront être fondés sur l’utilisation d’agents d’accueil (cf. supra) ou de programmes informatiques (scripts CGI, pages ASP, applets Java ou Active X) interagissant avec les bases de données de personnalisation. Les pages de démarrage personnalisées préfigurent l’émergence de ce type de plate-forme. De My Yahoo à CNN Custom News en passant par My Netscape, tous les leaders du Web testent aujourd’hui cette formule. En santé, aucun service de ce genre n’a encore émergé.

>Demain, votre quartier général sur le Web devrait être beaucoup plus sophistiqué que dans les esquisses actuelles. Vous personnaliserez le design de votre base, développerez un bureau virtuel (avec agenda, modules de vidéoconférence, agent de veille et autres documents types ou service de traduction automatique) et disposerez d’un magasin électronique organisé selon vos besoins et vos goûts (un agent logiciel s’occupera de vous faire livrer du lait toutes les semaines ou de commander le Prix Goncourt dès sa sortie).

Les gestionnaires de ces sites peuvent d’ores et déjà exploiter cette logique de personnalisation en développant des stratégies micromarketing. Dans les années qui viennent, les revenus des éditeurs seront directement corrélés au degré de connaissance et de fidélisation des utilisateurs de leurs services. Les bandeaux publicitaires, par exemple, sont personnalisés selon le profil des internautes ou selon leur requête à un moment donné. Lorsque vous tapez " book " sur AltaVista, une publicité pour Amazon (premier libraire électronique) s’affiche. Généralement, les internautes cliquent sur le bandeau plutôt que de se perdre dans le milliard de pages proposées par le moteur de recherche. Une ingénierie complexe s’organise autour de ces techniques de micro-marketing. Aujourd’hui, un annonceur verse en moyenne à un portail entre 300 et 800 francs les 1 000 pages vues avec son bandeau en incrustation. Les tarifs varient selon le thème de la page ou de la requête effectuée par l’internaute. Demain, l’organisation économique du micromarketing tiendra également compte de la qualification de l’internaute (ex : patient ou médecin), de la poursuite de son parcours (a-t-il acheté un livre chez Amazon après avoir lu une critique sur le site de Libé et cliqué sur un bandeau publicitaire disposé en haut de la page ?) et de quelques autres variables. Si le modèle ne peut pas être appréhendé complètement aujourd’hui (établira-t-on des différences entre un utilisateur et son agent logiciel ?), il est aujourd’hui certain que la publicité sur le Web sera une industrie hyper-documentée et d’une précision inégalée, autant dans la relation media/utilisateur que dans les rapports media/annonceurs. Vis-à-vis des internautes, les services en ligne devront prouver qu’ils respectent certaines règles déontologiques. Vis-à-vis des annonceurs, ces services devront présenter des rapports de campagne détaillés et objectifs. Déjà, les portails font appel à des régies publicitaires pour gérer ces contrats ainsi qu’à des tiers de confiance pour certifier leur audience.

Sur ce terrain, la guerre entre services Web promet une nouvelle fois d’être acharnée. Personne n’entretient d’illusions sur l’attitude qu’adopteront les utilisateurs face au développement des services personnalisés. Les internautes n’ont ni intérêt ni envie d’avoir 200 adresses personnalisées et autant de modules associés pour chaque pas qu’ils sont amenés à faire sur le réseau. Si le concept s’impose, il est probable que chaque utilisateur sélectionnera un site et un seul comme base sur le Web. Les " Hello ! – consommateurs ", comment les désignent la presse informatique aux Etats-Unis, ne s’attrapent pas avec quelques astuces pour gogos. Les éditeurs de sites devront développer des relations de confiance solides avec les utilisateurs, leur apporter des services personnalisés de qualité tout en respectant leur vie privée. A ce jeu, les portails qui remportent aujourd’hui les combats marketing ne sont pas assurés de continuer à tenir demain le haut du pavé numérique.

Quelle que soit l’évolution des modèles, une logique de moyens envahit le Web. L’idée selon laquelle tout le monde est égal sur l’Internet n’est plus vraie : David ne peut plus faire mieux que Goliath. Les " media companies " sont en cours de constitution sur le Web. Déjà cofondateur du service en ligne MSNBC avec Microsoft, la chaîne NBC vient de prendre une part significative du capital de SNAP, le portail développé par Cnet. Parallèlement, Disney entrait dans le capital d’Infoseek, autre annuaire célèbre sur le Web. Déjà propriétaire d’ABC, Disney envisage de constituer un vaste pôle médiatique présent dans les secteurs télévisuel, cinématographique et multimédia. Après l’échec de son service propriétaire MSN, Microsoft est pour sa part décidé à organiser un réseau de services en ligne qui le rendent incontournable sur le Web et en fassent la première destination des internautes. Il compte pour cela exploiter la marque Start – popularisée par Windows – et s’imposer comme la référence en matière d’agence de voyages électronique (Expedia), de journal électronique (Slate), de service de messagerie gratuite (Hotmail), de service financier, de guide géographique, d’encyclopédie (Encarta), de jeu (Gaming zone) et de tout autre type de service susceptible d’intéresser les passants. Contrairement aux portails classiques, Microsoft a choisi de ne pas concentrer l’ensemble de ses services sur la même page. Chaque site a sa propre identité mais une fenêtre discrète permet en toute situation de passer d’un site Microsoft à un autre. Microsoft réussira peut-être son OPA sur le Web par ce système de liens et d’auto-référencement après avoir échoué dans sa tentative de contrôler les tuyaux. Dans une stratégie proche de celle du premier éditeur de logiciel mondial – mais à partir d’autres atouts – Disney se rapproche en outre des câblo-opérateurs pour contrôler les infrastructures qui lui permettront de proposer aux utilisateurs des services interactifs à haut débit. Naturellement, des géants comme Time Warner – avec ses services Pathfinder, CNN, Time, Money, People et Fortune - ou Viacom – discret propriétaire de MTV, de la Paramount et de quelques autres joyaux - postulent aussi au rang de numéro 1. Alors que les accords de partenariat, les fusions, les prises de participation et autres rapprochements se multiplient, les logiques financières et industrielles se brouillent. Disney, par exemple, a pris une part significative d’Infoseek pour que sa filiale multimédia, Starwave, se valorise sur les marchés boursiers, reconnaissant ainsi la difficulté des grands groupes à créer de la valeur sur le Web en restant seuls. L’accord donne 43 % d’Infoseek à Disney contre une participation dans Starwave plus 420 millions de francs. Cette opération valorise Infoseek à plus d’un milliard de francs alors que l’entreprise, même si elle accueille quotidiennement 14 millions d’utilisateurs sur son service, n’est âgée que de quatre ans et n’a réalisé que des exercices déficitaires. Ces jeux capitalistiques sont compliqués par les relations interpersonnelles qui existent entre les entrepreneurs informatiques aux Etats-Unis. Starwave, acquis en avril 1998 par Disney, a par exemple été créée en 1993 par Paul Allen, co-fondateur de Microsoft et investisseur technophile.

La guerre des portails devient ainsi un jeu de chaises musicales où le groupe le plus habile et le plus réactif (vis-à-vis du milieu industriel, et non plus seulement par rapport aux internautes) pourra s’asseoir sur la dernière chaise pour savourer sa victoire.

Les moyens nécessaires ne sont pas uniquement financiers. La bataille de l’audience sur le Web dépend maintenant de la capacité des acteurs à générer un contenu riche, attractif et constamment actualisé. A ce jeu, les majors disposent de puissants atouts. Disney, par exemple, peut capitaliser sur son fond cinématographique, sur ses filiales télévisuelles et presse ainsi que sur les sites spécialisés qu’il a déjà développés, en partenariat avec d’autres acteurs. Le géant du divertissement dispose par exemple d’un des sites Web consacrés au sport les plus populaires : ESPN Sportzone. Sans fonds documentaires, sans filiales générant quotidiennement des contenus déjà validés et rentabilisés sur d’autres supports, les postulants au rôle de hub sur le Web semblent condamnés à l’échec. Agréger du contenu, c’est bien, proposer du contenu original, c’est mieux. Certains acteurs s’apprêtent ainsi à prendre leur revanche par rapport aux start-up nées au début des années 90 et qui prétendaient reformuler l’équilibre des forces en présence sur le marché de l’information. Ainsi le prestigieux New York Times a-t-il développé un site Web d’envergure, volontairement en retrait par rapport à la fièvre des portails. Son image, son lectorat et sa capacité industrielle à produire du contenu de qualité font de lui un acteur capable de compter sur le Web. Il vient notamment de conclure un accord stratégique avec Barne & Noble, permettant au libraire d’envisager de récupérer la distance perdue vis-à-vis de son challenger, Amazon. Il est vrai que les cahiers littéraires du N.Y Times, qu’ils soient en ligne ou dans la version papier, permettent de drainer un grand nombre de personnes vers des services d’achat en ligne d’ouvrages. Le N.Y Times souhaite en outre jouer la carte de la proximité là où les portails, à la recherche d’une masse critique, ressemblent à des monstres froids qui tentent de plaire à l’utilisateur en essayant de capter ses goûts mais sans être capable de lui parler de son environnement. Pour cela, il a lancé le site New York Today en partenariat avec la société Citysearch, qui propose des cartes et des renseignements de tous types sur les villes américaines.

Dans un registre proche, les services financiers disposent d’atouts pour devenir des services de premier plan sur le Web : ils bénéficient de la confiance de leurs abonnés, avec lesquels ils entretiennent des contacts constants, ils savent personnaliser des informations et des services, possèdent la capacité financière et les relations commerciales permettant de solvabiliser leur développement, notamment grâce aux ressources publicitaires et au commerce électronique. Les sites de Charles Schwab ou de Fidelity, par exemple, jouissent sur le réseau d’une popularité rare. Le groupe E*Trade commence à étendre la nature des services qu’il propose, incitant par exemple les visiteurs à participer à des jeux dont l’objet consiste à investir de l’argent virtuel. N’attendez pas de miracle, les gains aussi sont virtuels. Le groupe annonce même l’arrivée prochaine d’un " site brûlant, la nouvelle génération des sites financiers ". Il est vrai que, selon une étude du Cabinet CyberDialogue, 60 % des internautes américains sont considérés comme des "digital financiers", c’est-à-dire des internautes organisant en ligne une grande partie de leurs activités bancaires et boursières.

A ce jeu, des outsiders inattendus se présentent. Le dernier en date a provoqué les sarcasmes du microcosme de la silicon-valley, tant il est vrai qu’il correspond peu aux standards de l’entrepreneur hi-tech américain. Avie Glazer, Président de Zapata Corporation, est à la tête d’un groupe texan créé par Georges Bush en 1953 et aujourd’hui présent dans l’agroalimentaire (le poisson pour être précis). Avie Glazer est décidé à transformer son groupe en " Media company " sur 5 ans et ambitionne de figurer dans le top 10 des portails d’ici 2005. Pour ce faire, il dispose d’une réserve de 125 millions de dollars grâce à laquelle il rachète tous les sites prometteurs aujourd’hui confrontés aux limites capitalistiques de leurs ambitions. Il a déjà acquis quelques perles comme Starting point, Mass Music, Travel Page, Comfind, Latino Link ou Advancing Women. L’exercice montre assez bien le passage de relais entre technophiles ingénieux et gestionnaires rigoureux. Si vous avez une opportunité à lui proposer, n’hésitez pas à contacter directement Avie Glazer ; le cycle des affaires sur le Web, devenu infernal, se règle maintenant par e-mail.

Plus largement, certains observateurs vont jusqu’à penser que les portails de demain seront les sites d’entreprises. Loin de la très médiatique guerre des portails, des groupes comme Compaq, Boeing ou National Semiconductor s’évertuent à organiser des services complexes pour leurs clients et partenaires. Ils disposent de moyens conséquents pour déployer des stratégies Web ambitieuses et peuvent rentabiliser leurs engagements sur leur activité (accroissement de parts de marché par exemple) plutôt que par des ressources publicitaires. Les grandes entreprises américaines ne se contentent plus de donner quelques informations de base sur leur compte ; elles agrègent du contenu relatif à leur secteur d’activité, à leurs produits, à leur vision et valeurs. Certains sites d’entreprises – comme celui de Boeing - sont ainsi consultés 4 ou 5 fois par jour par les membres de ses entreprises partenaires. Naturellement, les entreprises qui déploient des stratégies Web ambitieuses ne le font pas seulement dans une perspective " business to business ". Elles profitent du media pour renforcer leurs relations avec le grand public, notamment en développant des services de commerce électronique, comme Compaq. L’avenir montrera peut-être que toute entreprise doit aussi être une entreprise médiatique, quelle que soit son secteur d’activité. Les start-up du Web l’ont compris et licencient leurs services aux entreprises désireuses de développer leurs réseaux d’information, qu’il s’agisse de leurs sites Web, de leur Intranet ou des Extranet qu’elles partagent avec leurs partenaires.

Les Webrings, portails du pauvre

En marge des grandes manœuvres, les internautes continuent d’imaginer de nouvelles façons de communiquer. Face aux mastodontes en cours de constitution, les Webmestres qui animent des sites non professionnels ont compris qu’ils devaient s’entraider pour rester visibles sur le réseau. Ce mouvement s’exprime actuellement par la constitution de Webrings, ou " anneaux de sites ". Les Webrings sont une chaîne de sites qui portent sur un sujet commun. Ils constituent une formule originale, à situer quelque part entre le portail et le site communautaire. Les Webrings se sont développés grâce à la consolidation des liens que les Webmestres avaient pris l’habitude de nouer avec les sites proches du leur d’un point de vue thématique, culturel ou affectif.

On trouve ainsi des anneaux apportant un soutien psychologique aux diabétiques, dédiés à l’alcoolisme (la communication sur le Web semble une thérapie satisfaisante), au reggae (240 sites Web), aux chiens eskimo, aux poupées, au calculateur TI 86, à la culture arménienne ou encore à la philosophie libérale.

Ces anneaux commencent à compter sur l’Internet. La consultation des services qu’ils regroupent croît de 10 % par mois. Les 40 000 anneaux constitués représentent 500 000 abonnés pour 700 000 pages vues quotidiennement. Chaque Webring désigne un coordonnateur qui assure l’évolution harmonieuse de l’anneau et des sites qui le composent. L’animateur d’un Webring dédié à la médecine d’urgence s’assurera, par exemple, que chaque site ne développe pas un chapitre pour présenter les gestes du secourisme. Ce module sera confié à un des services, qui pourra ainsi créer un module complet, efficace et fortement consulté. Les autres sites seront invités à se concentrer sur d’autres modules (agenda des formations en secourisme, annuaire des services d’urgence, chiffres-clefs de la médecine d’urgence, etc.). Dans ce schéma, les gestionnaires de chacun des sites qui composent l’anneau s’entraident pour aboutir à un service qui puisse concurrencer les sites professionnels au niveau de la qualité du contenu, de la mise à jour, de l’interactivité et de la qualité de service.

Dans les anneaux, les logiques de navigation sont multiples et plutôt originales. Naturellement, l’anneau comporte une porte d’entrée, c’est-à-dire un site qui présente le Webring et les ressources qui y sont proposées. Ensuite, l’utilisateur peut passer d’un site à un autre selon une logique linéaire, partir au hasard dans l’anneau, effectuer des recherches par mots-clefs ou disposer d’une vue d’ensemble. Cette organisation des contenus porte ombrage aux moteurs de recherche, confrontés à une concurrence originale. Si vous recherchez des informations sur Star Trek, préférez Webring à AltaVista.

L’ensemble de ces anneaux sont fédérés au sein d’un service unique, appelé Webring. Le dynamisme des communautés qu’il abrite permet aux initiateurs de ce projet d’envisager un destin à la Yahoo. Le Web alternatif n’est pas mort ; il continue d’alimenter en idées et en matières premières les industriels à la recherche de formules magiques pour réussir sur l’Internet, comme le montre l’importance des articles consacrés à ce phénomène. Des outsiders ont d’ailleurs commencé à exploiter le modèle des anneaux, dans une optique plus commerciale : Ringsurf, Looplink, The rail ou Web Tower.

Les Media companies ont ainsi pour centres de R&D les chambres d’informaticiens adolescents ayant grandi avec le Web. Pour preuve, le créateur de Webring, Sage Weil, vient de vendre le site à Starseed, start-up spécialisée dans le développement de services Web communautaires. L’histoire n’est pas aussi triste qu’il y paraît : Sage Weil, qui aura 20 ans cette année, aurait difficilement pu lutter seul contre les Media companies, surtout qu’il doit passer prochainement son baccalauréat en sciences informatiques, au Harvey Mudd College. Responsable de Webring au sein de Starseed, il continue d’ailleurs de développer son idée.

Des mots, des modes, des modèles

Le futur du Web change tous les jours. Le métier des portails est avant tout la réactivité. Les modèles de sites comptent peu. Les modèles d’entreprise sont fondamentaux. Netscape, depuis 1992, aura successivement été une entreprise de développement logiciel monoproduit (Navigator), un éditeur de solutions d’entreprises (gamme Suitspot), un portail (Netcenter), un gestionnaire global de services en ligne. Demain, que sera Netscape ? La pression des actionnaires rend difficiles les pronostics. Le récent revirement stratégique est largement dû aux pertes de parts de marché face au géant Microsoft. Plutôt que de croiser le fer sur un terrain où ils se savaient faibles, les responsables du groupe ont préféré modifier leur démarche pour rester à la pointe des innovations du Web, là où l’action se valorise le mieux. Retraite habile ou fuite en avant ? Quoi qu’il en soit, Netscape continue de se développer et de capitaliser sur sa marque, non sans avoir pris le soin de mettre en difficulté Microsoft. Netscape Navigator est de nouveau gratuit (Netscape reste donc le leader d’un marché de bientôt 300 millions de consommateurs sans que cela ne lui rapporte un franc) et le code source du logiciel a été mis dans le domaine public pour que la communauté internationale des programmeurs et des internautes puissent développer sur un mode associatif le système de navigation sur le Web, construisant ainsi une alternative solide à Microsoft Internet Explorer. Moyennant cette intuition, la communauté internationale est à peu près assurée de ne pas subir sur l’Internet le monopole qu’elle connaît avec Windows en matière bureautique. Nous aurons l’occasion d’analyser plus en détail ces stratégies logicielles dans un univers où les modes de production alternatifs fonctionnent efficacement, comme l’ont montré les succès du système d’exploitation Linux ou du logiciel serveur Apache, tous deux gratuits, performants et plutôt moins bogués que leurs concurrents commerciaux.

Peu importent les étiquettes accolées aux services en ligne, donc. Tout l’enjeu, pour les acteurs de l’Internet, consiste à savoir s’insérer dans le mouvement en cours tout en prévoyant le suivant. L’Histoire remettra demain de l’ordre dans ce grand chaos créateur. Que reste-t-il quand tous les modèles sont relativisés ? Le professionnalisme, bien sûr, et beaucoup en font preuve aujourd’hui. Mais, quand les règles de production et de gestion de sites Web se seront stabilisées, l’imagination redeviendra maîtresse. Les cartes, alors, pourraient être rebattues. En ces temps de cocorico, remarquons que la " French touch " est particulièrement appréciée dans le monde numérique : deux entreprises françaises (Infogrammes, Ubi soft) figurent parmi les leaders des jeux interactifs, les Français dominent le paysage des musiques électroniques, les studios hollywoodiens recourent fréquemment au service des graphistes et programmeurs hexagonaux pour monter des effets spéciaux de plus en plus complexes, Canal+ s’impose comme l’un des principaux groupes multimédia en Europe et le géant Digital compte sur les chercheurs de l’Ecole des mines pour faire progresser sa technologie AltaVista. Avec un peu de professionnalisme et d’ambition, donc, les Français pourraient monter les plus beaux services Web du monde, quel que soit le nom qu’on leur donne.

Les groupes qui s’imposent dans le paysage Web ne seront plus des portails ; la configuration des services aura évolué mais leur marque se sera imposée, leur savoir-faire enrichi et leurs moyens accrus. Comme l’indique une récente enquête du Gartner Group, les 5 portails qui seront sortis vainqueurs de la confrontation actuelle occuperont en 2001 dans le paysage médiatique et dans l’imaginaire collectif la même place que les grandes chaînes de télévision aujourd’hui. Dans cette étude, le Gartner Group estime que les entreprises leaders sur le Web seront celles qui comprennent le mieux l’environnement des internautes. Cela implique, notamment, d’appréhender correctement le rapprochement du PC et du poste de télévision, du Web et des chaînes numériques.

On peut d’ailleurs remarquer que certains groupes télévisuels initient des stratégies de portail en matière de télévision numérique. En effet, il est aujourd’hui difficile pour les téléspectateurs de s’y retrouver dans la jungle des bouquets. La situation est appelée à se corser avec le développement des services interactifs, tels qu’ils se dessinent par exemple dans les projets de C:, la chaîne cyber du groupe Canal+. Impossible, par exemple, de rechercher à partir de mots-clefs le programme qui vous plairait le plus à un moment donné. La consultation des programmes télé devient un supplice à côté duquel les recherches de Champollion ressemblent à la lecture de Pif gadget. Partant du constat que la télévision numérique restait à la fois extrêmement pauvre en fonctionnalités, en interactivité, en ergonomie et en qualité de navigation, la société United Video Satellite Group – filiale du cablô-opérateur Tele-communications - a dons décidé de créer un portail télé. Elle a récemment passé un accord avec le groupe News.Corp, dirigé par Rupert Murdoch, afin de pouvoir exploiter leur guide TV. Cette base de données sera utilisée comme le cœur de son portail pour créer des interfaces de recherche et de consultation qui enverront les listes de programmes actuelles dans les mêmes poubelles que le DOS. Pour mesurer la portée des enjeux, il convient de préciser que des concurrents de United Video ont déjà porté plainte auprès des autorités antitrusts pour abus de position dominante… alors même que United Video n’a encore délivré aucun produit. Il est vrai que cette start-up prometteuse pourrait tomber dans l’escarcelle d’ATT si l’OPA lancée par ce dernier sur TCI aboutit (coût de l’opération : 195 milliards de francs). Dans ce cas, ATT disposerait d’un contrôle sans équivalent des accès à l’Internet, aux réseaux câblés et aux bouquets numériques de télévision. Propriétaire du premier portail télévisuel, il maîtriserait également un ensemble de sites et de portails stratégiques comme SNAP (dont NBC est également actionnaire), Mining Co, Newspage et quelques autres. Dans le même temps, ATT maîtrise l’accès physique au réseau, notamment au travers de sa filiale Worldnet ou de ses participations dans Compuserve et AOL.

Quelque soit la façon dont évoluent ces jeux industriels, les modèles d’accès à l’information développés sur l’Internet devraient donc " contaminer " progressivement les autres médias, de toutes façons appelés à évoluer sous la pression de la numérisation croissante des activités humaines et des infrastructures qui les soutiennent.

Pour conclure ce dossier, nous devons en définitive reconnaître notre incapacité à pouvoir recommander un modèle de site Web. Ce n’est d’ailleurs pas souhaitable. Comment adapter au contexte européen les leçons du marché américain ? Comment s’organiseront en France les services médicaux alors qu’éditeurs et utilisateurs disposent de deux réseaux (le RSS et l’Internet) pour organiser leur démarche ? Qui gérera les portails sur le RSS et de quelle façon ? Comment les industriels et les éditeurs français pourront-ils résister aux acteurs américains alors que le fossé entre les investissements, les technologies, les marques et les équipes des deux continents se creusent jour après jour ?

" Ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son vol ". En ces termes, Hegel affirmait que l’explicitation d’un phénomène n’est possible qu’après coup. Face à un paysage aussi turbulent et incertain que le Web, l’explication de ce que sera le monde numérique demeure malaisée.

"  Pour dire un mot de la prétention d’enseigner comment doit être le monde, nous remarquons qu’en tous cas, la philosophie vient toujours trop tard. En tant que pensée du monde, elle apparaît seulement lorsque la réalité a accompli et terminé son processus de formation "

Principes de la philosophie du droit, Préface

La place est aujourd’hui aux bâtisseurs, non aux philosophes et encore moins aux devins. 5 ans après l’arrivée du Web, il convient que les acteurs européens – y compris le monde de la santé – dépassent la logique d’apprentissage pour que les analyses à venir ne concernent pas seulement les succès des autres.


* : hubba-hubba : bravo ; hubbub : vacarme, désordre


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4 août 1998

 

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