Parmi
les sites santé, on distingue une sous-famille constituée par les
radios jeunes. Deux d’entre elles, Skyrock et NRj, ont investi le
secteur de la santé sur la Toile.
“ Ton
corps change, ce n’est pas sale ”, la parodie d’Antoine de
Caunes de Lovin Fun, l’émission phare de la bande FM de 1992 à 1996
témoignait du phénomène de société de l’époque. Chaque soir de la
semaine, Christian Spitz, alias le Doc, pédiatre de son état, et
Difool, l’animateur de Fun Radio répondaient alors aux questions
des adolescents, des plus anodines aux plus pointues sur le sexe
et la santé de façon large. Le succès d’audience est tel que Skyrock
décide de contre-attaquer sur le terrain des 15-25 ans en faisant
appel à l’ex-actrice de films pornographiques, Tabata Cash, pour
lancer à son tour une émission qui parle sans détour de sexe.
Les
années 90 sont aussi celles du développement d’Internet en France.
En septembre 1996 seuls 160 000 français étaient abonnés à Internet,
représentant 600 000 heures de connexion contre plus de 6,5
millions pour le Minitel, et encore, hors consultation de l’annuaire.
Quatre ans plus tard le paysage a changé et ce sont 12 millions
de Français qui ont une connexion, totalisant 40 millions d’heures,
selon l’AFA (l’association des fournisseurs d’accès et de services
Internet). Aujourd’hui le Doc n’officie plus à l’antenne. Quant
au site wakama,
dédié aux parents, pour lequel il était consultant, ouvert en mai,
il a fermé ses portes. La société a en effet été mise en liquidation
judiciaire en novembre 2000 (les aficionados peuvent cependant toujours
le retrouver sur son site ledoc.com).
Mais le duel pour capter l’attention du public jeune continue et
s’est en partie déplacé sur la Toile. C’est là que s’affrontent
deux radios « jeunes » par sites interposés. A droite
Skyrock et son site Tasante.com, à gauche Tamaloo.fr de NRJ.
Deux
styles résolument différents
Pour
Tasanté, le tutoiement de rigueur, et on parle aux jeunes de 11
à 24 ans leur langage. « Nous avons choisi de nouss’adresser
spécifiquement à la nouvelle génération en adoptant leurs habitudes
de communication, avec un ton un peu trash ” reconnait
Pierre Lemonnier, chef de projet de tasanté. Les internautes de
“ l’ancienne génération ” pourront être surpris par l’approche
très directe. Titre d’un article : “ Se branler ? Mais
non ça rend pas fou. Point de vue médical ”. Comme au cours
des émissions de libre antenne les internautes sont appelés à témoigner,
en réagissant aux articles, en dialoguant sur le forum, ou en participant
aux discussions en direct régulièrement organisées avec un médecin
spécialiste du tabac, des questions sur la sexualité, et des différentes
dépendances. Le site fait donc beaucoup appel à l’interactivité.
En phase avec l’esprit Skyrock, une animation flash du personnage
Dukon
permet de suivre ses aventures. Une façon de faire passer le message
sans moraliser. Dans les trois petits épisodes sur le tabagisme
“ Il ne faut pas fumer ” devient donc “ Dukon sent
le tabac”, “ Dukon crache un poumon ”, et “ Dukon se prend
une carotte”. Actuellement Dukon roule sans casque. Quatre sujets
rubriques abordent le sexe et les sentiments, les drogues, le bien-être
et se soigner.
Tamaloo,
est beaucoup plus sage. Ouvert depuis le mois de mai, le site se
présente comme un site d'information et d'éducation à la santé,
pour un public plus large. « Nous n’avons pas de cible,
tout le monde se sent concerné par sa santé » déclare Mathieu
Goguel, son directeur général. Le site offre des dépêches qui traitent
aussi bien des thèmes santé du moment que des revenus des médecins,
le « Tamaloo », une base d'information sur les maladies,
les symptômes et le fonctionnement des organes, un centre de prévention,
des fiches pratiques et une météo-santé. Mais Tamaloo ne se vit
pas comme le site santé d’une radio avec un capital détenu majoritairement
par ses fondateurs. E-NRJ et BNP Private Equity sont à égalité avec
une participation à hauteur de 12,5% chacun. « NRJ a décelé
un projet intéressant et a choisi de le soutenir, mais il n’est
pas à son origine ».
Les
synergies entre les deux médias
Pourtant
les synergies existent bel et bien entre les radios et le web. Et
pour cause, le public est le même : les 15-25 ans représentent
36% des internautes. Le nouveau média est utilisé de façon complémentaire
par les stations radio qui ont toutes ouvertes leurs sites, Skyrock
revendiquant la meilleure fréquentation des radios avec plus d’un
million de connexions par mois. Sur Tamaloo, selon les estimations,
10 à 15% des visites seraient faites par des auditeurs de NRJ.
Consciente
de l’opportunité offerte de toucher une cible difficile à convaincre,
la CNAMTS participe à une expérience inédite en soutenant
pour la première fois une société privée. « Lorsque nous
avons rencontré Pierre Bellanger, le Pdg de Skyrock, il nous a déclaré
que ses auditeurs exprimaient une véritable attente pour les questions
de santé » précise Martine Guionet, de la CNAMTS. « Gilles
Johanet et les administrateurs ont donné leur accord pour faire
une expérimentation en participant au site de Skyrock.» L’étude
sur « les codes culturels des jeunes » réalisé par IPSOS
Inside Marketing en novembre 1999 démontrait certes un fort taux
d’agrément des spots publicitaires diffusés, mais sans impact sur
le comportement des jeunes vis-à-vis de la cigarette. Le parrainage
de Tasante par la CNAMTS est une façon de s’adresser à eux en faisant
oublier une image trop institutionnelle. Un cahier des charges des
sujets de prévention a donc été établi. Mais si le contenu éditorial
est validé, les propos utilisés sont libres. Une première évaluation
aura lieu en février, conditionnant la poursuite du partenariat
ou non. D’un point de vue financier l’engagement est néanmoins
beaucoup moins important que pour une campagne de presse. Il peut
donc s’agir d’une nouvelle forme de communication ciblée. La CNAMTS
réfléchit d’ores et déjà à d’autres partenariats avec des marques
auxquelles s’identifient les adolescents et véhiculant des valeurs
positives, comme les chaussures et vêtements de sport.
Les
synergies jouent également pour la médiatisation des sites. Sur
l’antenne de Skyrock les animateurs rappellent régulièrement dans
le fil des émissions l’adresse de Tasante. Tamaloo a en revanche
arrêté sa campagne radiophonique qui ne donnait pas satisfaction
sur le plan créatif. Mais une réflexion est en cours sur la façon
de faire davantage appel aux stations du groupe NRJ et de fidéliser
davantage le public. Chérie FM et son public féminin pourrait par
exemple être mis à contribution.
A
l’avenir des sites payants ?
« Vous
y croyez, vous, aux sites qui disent pouvoir tenir cinq ans
sans gagner un franc ? »
Les
sites santé foisonnent et l’année 2001 en verra plus d’un mettre
la clef sous la porte. Pierre Lemonnier de Tasante ne craint pas
l’encombrement du secteur et pense pouvoir être « les meilleurs
sur le public des 11-24 ans que l’on connaît le mieux ». Le
site table surles revenus publicitaires provenant de la
vente de bannières.Mathieu Goguel de Tamaloo insiste lui
sur le pari éditorial. Les contributions de la trentaine de rédacteurs
et médecins constituent un fond important qui sera toujours valorisable.
L’édification d’une marque Tamaloo est donc l’un des objectifs majeurs,
les revenus du site pouvant à terme provenir de la syndication de
contenu.
Quant
aux sommes très importantes dont se targuent certains sites grand
public elles laissent Mathieu Goguel dubitatif. « Vous
y croyez, vous, aux sites qui disent pouvoir tenir cinq ans sans
gagner un franc ? Personnellement je pense que personne ne
travaille gratuitement. Dans quelques temps les sites seront payants. »
Adossés ou non à un média, les sites santé devront bien en effet
à terme rentabiliser leurs investissements. On peut considérer que
jusqu’à présent les internautes ont pu se familiariser gratuitement
ou presque avec le web, mais très prochainement l’accès aux sites
deviendra payant.