Jean
de KERVASDOUE
La santé intouchable
LE
SYSTÈME DE SANTÉ
(
Chapitre 2 )
La politique
de santé n'a jamais été en France un thème de campagne électorale,
on pourrait même dire qu'à quelques exceptions notables, ce thème
n'a jamais vraiment donné lieu à des débats politiques.
Au risque
d'être cruel on pourrait rappeler que dans les 110 propositions
du candidat Mitterrand en 1981, il était évoqué la suppression de
l'ordre des médecins, celle du secteur privé à l'hôpital public
et la création des centres de santé. L'ordre des médecins et le
secteur privé existent toujours. Beaucoup de centres de santé ont
disparu après quelques brèves expériences interrompues sans qu'ils
aient eu le temps de démontrer leur éventuelle contribution à l'organisation
des soins. Il faudrait d'ailleurs souligner que ces trois thèmes
résultaient plus d'une analyse symbolique que structurelle des problèmes
de santé.
Parler
de santé, c'est parler de la vie et donc de la mort, c'est évoquer
des questions difficiles que soulève aujourd'hui la science médicale
notamment parce qu'elle accroit le champ du possible de l'intervention
humaine : les procréations médicalement assistées, le Génie génétique,
les transplantations d'organes et de tissus, l'accompagnement des
mourants. C'est analyser les conséquences de l'utilisation des médicaments,
des substances biologiques, des appareils de plus en plus nombreux
de plus en plus complexes, de plus en plus cher, de plus en plus
efficaces et parfois de plus en plus dangereux ; c'est prendre en
compte des habitudes alimentaires, des comportements sexuels, des
attitudes face aux risques individuels : pratique du sport, conduite
de véhicules à moteur,.... C'est traiter la question de la consommation
de toxiques (alcool, tabac et autres drogues licites ou non)...
c'est réfléchir aux inégalités d'espérance de vie, de consommation
de soins ; c'est analyser un secteur d'importance économique considérable
en terme financier (10% du PIB), en terme d'emplois (plus de 1,2
millions de personnes) réparties sur l'ensemble du territoire et
jouant un rôle sensible sur l'aménagement de l'espace comme le récent
débat sur l'éventuelle fermeture de lits hospitaliers l'a montré
et enfin réfléchir, en terme stratégique notamment pour l'industrie
pharmaceutique.
Notre système
de santé est donc un révélateur des contradictions de nos sociétés
contemporaines où chaque question doit être simultanément examinée
sous l'angle scientifique et technique, éthique et économique. Est-ce
parce que ces questions sont individuellement et collectivement
centrales qu'elles sont refoulées ? Est-ce parce que notre société
a évolué et caché la mort devenue apparemment une "option",
un accident et non une fatalité que nos hommes politiques sont aussi
silencieux ? Ce sont des hypothèses, nous en ferons d'autres pas
nécessairement contradictoires d'ailleurs.
Certes,
il y eut des exceptions notables.
Certains
sujets ont donné lieu à débat au cours de ces vingt dernières années
: la légalisation de l'avortement, la lutte contre les accidents
de la route, l'épidémie du Sida, les transplantations d'organes,
la procréation médicalement assistée, la lutte contre la tabagisme
et l'alcoolisme, l'utilisation de méthadone, la sécurité transfusionnelle,
etc....
Mais le
débat a été réduit parce que l'équation médecine = santé est la
seule considérée par la classe politique et les faiseurs d'opinions.
Le terme de "médecine" est d'ailleurs pris le plus souvent
dans son sens le plus restrictif puisqu'à quelques exceptions notables,
l'Assurance Maladie ne rembourse pas les dépenses de prévention
et que la charge des handicapés et des personnes âgées est laissée
aux familles et aux Départements qui ont la responsabilité du secteur
dit "social".
Or, il
est faux de prétendre que la médecine curative a, seule, un impact
sur les indicateurs de santé. Il est en effet estimé à 15% environ.
85% de l'amélioration de l'espérance de vie est donc expliquée par
d'autres facteurs (héritage génétique, mode de vie, organisation
sociale). On pourrait prétendre que c'est peu. C'est en fait considérable,
l'institut de Médecine de l'Académie des Sciences des Etats-Unis
remarquait qu'il était quasiment nul jusqu'en 1930, passer de 0
à 15% en 60 ans est donc une véritable prouesse. Nous connaissons
tous des gens qui vivent ou simplement vivent mieux grâce à ces
découvertes médicales, mais cette extraordinaire réussite ne doit
pas occulter les autres facteurs responsables de l'augmentation
moyenne de la durée et de la qualité de vie et le fait que la médecine
a un autre rôle que de soigner : celui d'accompagner, de prendre
en charge ceux dont la vie se termine
Pendant
les trente dernières années, le débat a été essentiellement financier
: comment combler le fameux "trou" de la sécurité sociale
? Faut-il augmenter les cotisations des employeurs ou des salariés
? Quel part doit prendre la CSG ? Jusqu'où peut-on augmenter le
ticket modérateur ? Faut-il dé-rembourser certains produits ? Qu'attendre
de la croissance ? Le régime général doit-il financer seul les chômeurs
et les évolutions structurelles des autres régimes ?...
Les dernières
années cependant marquent une inflexion sensible dans la politique
de santé avec notamment la création d'enveloppes limitatives par
branche : cliniques privées, biologistes, infirmières et l'apparition
des références médicales opposables (RMO) dont on est surpris de
l'efficacité sans pouvoir encore l'interpréter.
QUE
PENSER DU SYSTEME DE SANTÉ FRANCAIS ?
Il
est cher : avec près de 10% de la Production Intérieure
Brute consacrée à la santé, nous sommes au premier rang européen
et au troisième rang mondial après les USA et le Canada.
Il
est moins social que celui d'autres pays européens : les
systèmes obligatoires ne remboursent que 72% des dépenses de santé
alors que ce chiffre est en moyenne de 85% en Europe, même si plus
de 99% de la population est couverte et les dépenses hospitalières
bien remboursées.
La santé
des français est bonne :
l'espérance de vie continue à augmenter,
l'espérance de vie sans incapacité à cru de 3 ans de 1981 à 1991,
les françaises avec 81,5 années d'espérance de vie à la naissance
se situent au deuxième rang mondial,
la mortalité par maladies cardio-vasculaires est la plus faible
au monde.
Mais avec
quelques réserves préoccupantes :
il y a une forte sur-mortalité masculine qui place les français
au 13ème rang. 52% de cette sur-mortalité est considérée comme évitable.
la mortalité péri-natale est moyenne,
nous sommes au troisième rang mondial pour l'épidémie du Sida....
Il
est très inflationniste
Nous avons
la plus forte croissance des dépenses de santé au Monde. Cette croissance
n'est cependant pas une fatalité. Certains pays comme l'Allemagne
ont réussi là où nous avons toujours échoué.
Nous
ne rationnons pas les soins
Il existe
moins de dix pays au monde dans cette situation.
Nous
avons en tant que consommateurs, une très grande liberté dans nos
choix de prescripteurs d'hôpitaux ou de cliniques
Il
subsiste de très grandes inégalités
des inégalités d'espérance de vie
Ces inégalités sont nombreuses. Les différences d'espérance de vie
à la naissance sont de plus de trois ans entre le Midi-Pyrénées
et la Picardie. Elles sont cependant beaucoup moins fortes qu'entre
classes sociales où, à 35 ans, la différence d'espérance de vie
entre un manoeuvre d'une part et un cadre supérieur d'autre part
est de 9 ans !.... et cette différence non seulement ne diminue
pas depuis 30 ans, mais augmente.
des inégalités de dépenses par habitant et par région
En ajustant selon l'âge et la mortalité différentielle, le ratio
dépenses effectives/dépenses potentielles de l'Assurance-Maladie
varie de 82,6 dans le Nord-Pas-de-Calais à 119,8 en Corse, 115,6
en Ile-de-France, 115,4 en Midi-Pyrénées. S'il était possible de
calculer les coûts de santé et non plus seulement ceux de l'Assurance-Maladie,
les variations seraient encore plus fortes.
des inégalités de pratiques considérables quelque soit le critère
retenu.
C'est ainsi que JP AULLEN a montré qu'entre deux départements de
la même région, le taux d'implantation de pace-maker varie de 35,73
pour 100 000 habitants en Vendée à 83,13 pour 100 000 habitants
dans la Sarthe.
Ces variations
inexpliquées sont plus la règle que l'exception et il n'est pas
rare de constater des variations de pratique entre région dépassant
un facteur de 10 c'est ainsi que le taux de malades pris en charge
en dialyse péritonéale est de 4 par million d'habitants dans certaines
régions, et de 43 dans une autre !
D'autres
pays ayant une offre de soins comparable à la nôtre ont des indicateurs
de santé proches, voire meilleurs à un coût moindre (7,5% du PIB
en moyenne pour les pays européens). On peut donc estimer que pour
l'instant, il n'est pas nécessaire d'accroître la part relative
des dépenses de santé ce qui ne veut pas dire qu'il faudra la laisser
éternellement au niveau actuel.
Pourquoi
en sommes-nous arrivés là ?
1.
Le prix du laisser-faire : le système de santé français
a privilégié la liberté au dépend de l'égalité, de la fraternité
et de l'efficacité. Ces libertés sont nombreuses et quasiment uniques
au monde.
Liberté
du malade de choisir son médecin : il peut être généraliste ou spécialiste,
il peut être en ville ou à l'hôpital, du secteur 1 ou du secteur
2 (sans d'ailleurs qu'il sache toujours ce que cela veut dire et
quels seront les honoraires demandés ainsi que la part remboursée).
Liberté
du malade de choisir son hôpital : il peut être public ou privé,
et dans le secteur privé, il peut avoir le choix entre le secteur
lucratif et non lucratif.
A l'hôpital
public, il pourra par le biais du "secteur privé" et moyennant
rémunération, choisir le médecin qui le prendra en charge. Cette
liberté des malades est aussi celle des médecins qui peuvent choisir
leur lieu et mode d'exercice même si depuis trois ans, l'accès au
secteur 2 est fortement contingenté, sinon quasiment fermé.
Les médecins
français choisissent d'ailleurs le plus souvent des modes d'exercices
multiples.
La liberté
des honoraires n'existe cependant que pour les médecins du secteur
2 (27%) et les consultations du secteur privé à l'hôpital public.
La liberté
de mode d'exercice est considérable. Rien n'interdit à un médecin
d'exercer l'homéopathie, l'acupuncture ou d'autres types de médecine
qualifiée selon l'interlocuteur de "douce", de "parallèle"
ou de "particulière".
Comme le
faisait courageusement remarquer Gilles JOHANET, à l'époque Directeur
de la CNAMTS, "si la profession médicale consacrait autant
d'énergie à poursuivre le charlatanisme dans ses rangs, qu'à l'extérieur
de la profession, la situation serait sensiblement différente"
!...
Il est
vrai que le fondement scientifique de certaines pratiques médicales
ayant en France toutes les reconnaissances "officielles"
qui s'imposent est dans certains cas léger (thermalisme) et dans
d'autres inexistant.
Il n'y
a pas non plus de limites à la prescription jusqu'à l'apparition
des toutes récentes "références médicales". Un médecin
a le droit de tout prescrire même lorsque l'on se demande comment
il peut tout connaître du fait de la croissance exponentielle des
connaissances médicales. Certaines ordonnances dépassent la dizaine
de prescriptions médicamenteuses.
Les spécialistes
comme par exemple les radiologues ont le droit de s'auto-prescrire
sans contrôle ce qui est justifié mais surtout sans avoir à apporter
de justification de leurs "auto-prescriptions" ce qui
n'est pas le cas dans d'autres pays. Les procédures mises en oeuvre
aux Etats-Unis depuis des décennies comme l'accréditation des hôpitaux,
les habilitations à être "service universitaire", correspondant
des facultés de médecine, les comités des tissus contrôlant systématiquement
les pièces opératoires, le contrôle des compagnies d'assurances
sur certaines pratiques professionnelles, rien de cela n'existe
en France.
Les médecins
ont une liberté considérable, il faut reconnaître que les consommateurs
de santé aussi, tout au moins lorsqu'ils ont le pouvoir de l'exercer,
c'est-à-dire qu'ils vivent en zone urbaine (disponibilité physique)
et ont une bonne assurance complémentaire (disponibilité financière).
Car si la fraternité s'exerce par le biais des cotisations sociales,
la baisse de remboursement progressif des dépenses de santé pénalise
les catégories les plus défavorisées. C'est ainsi que le nombre
de visites chez le dentiste est passé de 1,4 habitant et par an
en 1980 à 1,2 en 1990.
2.
Une densité médicale forte
La multiplication
par trois du nombre de médecins en exercice depuis la fin des années
60 : 278 médecins/10 000 habitants n'a fait qu'exacerber la concurrence
à l'intérieur de la profession. La croissance non contrôlée du nombre
de spécialistes qui représente aujourd'hui à peine moins de la moitié
du nombre de médecins de ville, rend d'ailleurs quasiment impossible
toute solution permettant à ces généralistes de jouer un rôle analogue
à ceux qu'ils jouent dans d'autres pays à savoir celui de conseil,
de "gatekeeper", de leurs patients dans le système de
santé : rien ne l'interdit certes mais rien ne l'organise.
Il faut
en outre signaler que si le numerus clausus est aujourd'hui à un
niveau au dessous duquel il serait déraisonnable de descendre, il
n'y a pas d'objectifs par spécialité contribuant à d'importants
déséquilibres dans un avenir proche . Cette non-régulation est une
des "victoires" des internes et chefs de cliniques après
leur grève de 1983.
3.
Une différence excessive de revenus entre généralistes et spécialistes.
Elle est de l'ordre du tiers.
4.
Un paiement à l'acte des généralistes qui est une exception en Europe
où la règle est le paiement par capitation à un niveau d'ailleurs
supérieur au niveau français, mais n'induisant pas la sur-prescription
et des visites répétées seule manière d'augmenter en France leur
revenu.
5.
Un dispositif institutionnel inadapté
l'arbitrage entre cotisations sociales et dépenses de santé intéresse
trop peu d'acteurs (Le Premier Ministre, quelques Ministres, quelques
Hauts Fonctionnaires) ;
les relations entre l'Etat et l'Assurance maladie sont ambiguës
et en permanente renégociation ;
l'Assurance maladie n'a pas de légitimité reconnue pour contrôler
les dépenses hospitalières alors qu'elle exerce cette responsabilité
pour les cliniques privées ;
l'Etat lui même est multiple : Ministère des Affaires Sociales,
Ministère de l'Economie et des Finances, Ministère de l'Agriculture,
de la Recherche, de l'Enseignement Supérieur,....) .
Excessivement
centralisé, mais sans les moyens nécessaires à l'exercice de sa
mission, sans mécanismes réels de coordination, et de contrôles
sur les agences et comités multiples.
l'Etat est malgré tout omniprésent, y compris dans la gestion interne
des hôpitaux, dont il approuve les budgets sans contrôle de performance
dont il nomme les Directeurs et les médecins sans réels mécanismes
d'évaluation ;
les syndicats médicaux sont trop nombreux sans ressources substantielles
et n'ont pas toujours accès aux sources d'informations dont dispose
l'Etat, créant de ce fait, un climat où la revendication prend le
pas sur le partage et l'éventuelle délégation de responsabilité
;
la position des assureurs complémentaires (Mutuelles, Companies
d'assurances) n'est définie que par défaut.
6.
Une logique budgétaire qui l'emporte sur une gestion économique
et médicale
Ceci est
particulièrement vrai de la manière dont a été appliquée la dotation
globale hospitalière en se basant quasi exclusivement sur une augmentation
annuelle à partir de dotations historiques.
A l'évidence,
ceci n'incite ni à la recherche de performance, ni à une exigeante
quête de la qualité. Le système donne une rente aux uns et pénalise
les autres sans que l'on sache toujours qui classer dans ces catégories.
Mais cela
est et sera également vrai de tout système d'enveloppes en biologie,
pour les cliniques privées et le reste...
7.
Une information statistique et épidémiologique d'une très grande
faiblesse qui paralyse toute velléité réformatrice.
Faute d'analyse
pertinente et de chiffres validés sur les variations de pratiques
médicales sur la connaissance des consommations et des consommateurs,
les hommes politiques en sont réduits à prendre des mesures comptables
et financières sans la nécessaire légitimité médicale, sans connaître
l'effet de ces mesures, sans même parfois pouvoir en préciser les
bénéficiaires. L'appareil de connaissance n'a pas pris la mesure
de la complexité du système de santé.
8.
Un système de gestion inadaptée à l'ampleur et à l'inertie des problèmes
à résoudre.
Le Ministre
de la santé, est en fait le "patron" de l'entreprise médicale
et le responsable de la politique de santé. Outre le fait que ses
responsabilités gouvernementales et médiatiques sont très prenantes,
que les sujets à traiter sont quasiment infinis, que donc le temps
qu'il consacré à la gestion est faible, il reste moins de vingt
mois en moyenne à ce poste. Or, il faut trois à quatre ans pour
former une infirmière, sept à onze ans pour un médecin, cinq ans
au minimum pour construire un hôpital (c'est plus souvent dix, voire
vingt ans....).
De son
point de vue le calendrier politique l'emporte sur l'exigence de
la gestion, les acteurs le savent. Ils ont un talent remarquable
pour laisser passer l'orage quand un Ministre essaye d'entreprendre
des réformes ils sur-réagissent pour le paralyser au cas où il pourrait
passer à l'acte.
A ces raisons,
spécifiquement françaises, il faudrait évoquer des causes plus universelles
: découvertes nombreuses, vieillissement de la population (0,5%
de la croissance annuelle des dépenses de santé), demande croissante
en matière de santé, etc....
Ces remarques
conduisent donc à poser quelques questions et à esquisser des voies
possibles.
QUELLE
POLITIQUE DE SANTE ?
1.
Le problème n'est-il que financier ?
La définition
du thème politique joue bien entendu dans ce domaine comme dans
d'autres une partie essentielle et les solutions possibles découlent
de la limitation du champ.
Continuant
dans la tradition pour ne pas dire l'errance des vingt années passées,
le prochain gouvernement pourra limiter sa politique de santé à
essayer de résoudre le financement du déficit de la Sécurité Sociale.
Pour
cela, les armes sont connues :
- il peut
espérer, ce qui est peu probable, que la croissance et la création
d'emplois seules, rétabliront l'équilibre des comptes ;
- sinon,
il a le choix entre :
-
augmenter
les recettes : par le biais des cotisations et choisir
alors la part relative des employeurs et des salariés, - créer
une TVA sociale, - augmenter la CSG.
Le débat est connu. Je renvoie le lecteur aux journaux d'hier,
d'il y a trois ans, d'il y a vingt ans. Le discours des acteurs
partis politiques, syndicats, patronat est pré-enregistré ;
la place nous manque pour les paraphraser.
-
réduire
la part remboursable : par le ticket modérateur, -
le forfait hospitalier, - le dé-remboursement de certaines prestations.
Là aussi,
les conséquences sont connues : croissance des inégalités mais aussi,
et c'est plus rarement souligné, croissance des charges par le biais
du financement des assurances complémentaires. On oublie en effet
trop souvent que l'assurance complémentaire fait partie intégrante
du contrat de travail de beaucoup d'entreprises.
S'il choisit,
ce qui est probable, d'augmenter la CSG, il ne pourra pas éviter
une question institutionnelle, celle du rôle du parlement. Mais
avant d'y venir, il faut souligner que ces voies conduiront ni à
maîtriser l'inflation des dépenses de santé, ni à réduire les charges
des entreprises, ni à limiter les inégalités et les imperfections
actuelles. L'histoire de nos trente dernières années justifie cette
affirmation.
2.
Quelle structure institutionnelle ?
Peut-on
raisonnablement penser que la représentation nationale qu'elle soit
de la majorité ou de l'opposition acceptera encore longtemps de
voter l'impôt, sans participer à l'évaluation de son affectation
?
La réponse
est à l'évidence négative. Si d'ailleurs le gouvernement avait laissé
faire le Sénat, cela serait déjà passé dans les faits, mais campagne
électorale oblige !
Il est
donc probable que le système institutionnel verra rentrer un nouvel
acteur de poids et que l'on passera d'un système à deux acteurs
: Etat-sécurité sociale, à un système à trois : le parlement votant
le budget social et ne se contentant plus d'être poliment informé
des objectifs souhaitables que cherche à réaliser le gouvernement.
Celui-ci
sera donc contraint de clarifier ses relations avec l'Assurance-Maladie
et de mettre en place des mécanismes réels et non plus incantatoires
de gestion du système de santé.
La place
nous manque pour débattre de deux idées, celle de la création d'un
parlement social et celle de la fusion des régimes de sécurité sociale
par la création d'un régime unique. La première n'a pas encore de
relais politique notable malgré le poids du mouvement mutualiste,
quant à la seconde, elle peut se mettre progressivement en place
par des systèmes d'accord et de convention inter-régimes sans soulever
des guerres de religion. Il peut être envisagé des étapes intermédiaires
notamment en coordonnant localement la gestion du risque.
3.
La nécessaire déconcentration
Elle a
commencé pour la planification hospitalière qui se fait à l'échelon
régional. Elle devra cependant se poursuivre afin de :
réduire les inégalités inter-régionales,
arbitrer les importants problèmes de frontières entre l'Assurance-Maladie
chargée de financer la santé et les départements financeurs du secteur
social. Cette absence de coordination est aujourd'hui lourde de
conséquence pour les familles ballottées, selon les interprétations
de chacun, d'une institution à l'autre et il n'est pas concevable
de prendre en charge le risque "dépendance" sans que ce
problème soit réglé. Aujourd'hui, l'intérêt des Départements est
d'expliquer que les vieux sont malades et celui de la sécurité sociale
est de prétendre que les malades sont vieux !....
Limiter
les conséquences néfastes du découpage des champs de la médecine
en enveloppes partielles gérées nationalement sans coordination.
En effet, ce système pérennise les coupures nombreuses du système
de santé entre la ville et l'hôpital, les établissements publics
et privés, les généralistes et les spécialistes et empêche la coordination
entre professionnels de santé par la création de réseaux.
Les DRASS
suffiront-elles à assurer cette coordination ? Faut-il créer une
institution ad hoc, comme je le pense, tout en maintenant un financement
national ? Doit-on créer une enveloppe financière régionale ?
4.
Les hôpitaux
Depuis
plus de vingt ans, les Etablissements hospitaliers s'autonomisent
progressivement, néanmoins l'Etat est toujours impliqué dans la
gestion directe notamment en faisant nommer par le Ministre chaque
chef de service, chaque médecin, il définit la structure interne
et empêche toute adaptation locale. Contrairement à une opinion
répandue, il me paraît nécessaire de donner plus de pouvoirs aux
Conseils d'Administration, notamment celui de la nomination des
médecins à condition que soit exercé un véritable contrôle de la
qualité et des prix du service rendu. Cela passe par un calcul du
budget fondé sur la mesure de l'activité (PMSI), par la définition
de procédure d'accréditation. L'Etat est aujourd'hui en situation
de gestion de fait sans avoir les moyens de contrôle réel, l'institution
hospitalière est sans cap et sans boussole. Nous en payons un prix
élevé.
D'une logique
budgétaire il est urgent de passer à une logique économique et médicale.
Ceci peut rapidement se réaliser.
5.
La médecine de ville
Nous ne
pouvons pas en quelques lignes rendre grâce à la complexité des
questions qui se posent depuis, là aussi, plus de vingt ans. Rappelons-les
succinctement :
le différentiel de revenu entre généraliste et spécialiste est-il
justifié ?
l'accès direct des patients doit-il être limité aux généralistes
et à quelques spécialistes (ophtalmologistes-pédiatres-gynécologues,
etc....)
Le paiement à l'acte des généralistes doit-il être leur seule forme
de rémunération à la capitation pour ceux qui le désireraient comme
cela fut fait au Danemark en 1981 ?
Tous les médecins doivent-ils être conventionnés ?
Le secteur 2 à honoraire libre doit-il être maintenu en l'état ?
Comment renforcer les Syndicats médicaux et les Unions Professionnelles
?
Comment faire évoluer les références médicales opposables ?
Comment accompagner la transformation structurelle de certaines
spécialités, comme celle des biologistes ?
Quelle réforme de l'ordre des médecins faut-il souhaiter ?
Coment orienter les jeunes médecins vers une spécialité plutôt qu'une
autre ?
6.
Appréhender la complexité de la pratique de la médecine
Il est
d'usage de rappeler que l'on a fait plus de publications au cours
de ces dix dernières années que depuis le début de l'histoire de
l'humanité. Il est donc naturellement impossible de tout lire, de
tout connaître.
Au lieu
d'avoir une vue nostalgique et inadaptée du médecin de famille on
doit se demander comment l'aider à appréhender cette masse d'information,
comment l'aider à faire le point de l'état des connaissances ! La
formation continue est une réponse, pas la seule. Il faut approfondir
la possibilité de mettre à leur disposition des banques de données
et d'image. Il faut favoriser les conférences de consensus et tout
autre mécanisme permettant d'évaluer la conformité entre les pratiques
et les connaissances disponibles mais souvent difficilement accessibles.
Cela pose
également le problème de la gestion du risque : risque professionnel,
risque thérapeutique, risque organisationnel et donc des mécanismes
d'assurance et de contrôle de la qualité. Une loi cadre dans ce
domaine s'impose.
7.
Que doit rembourser la Sécurité Sociale ?
un certain nombre de pratiques médicales exercées aujourd'hui n'ont
pas de base scientifique validée (mésothérapie, homéopathie, acupuncture).
Faut-il les rembourser ?
la médecine permet de réaliser des prouesses qui n'ont pas toujours
de liens directs avec la santé:
contrôle
de la procréation,
chirurgie esthétique,
médecine du sport,
etc.
Quelles
sont celles qui doivent être remboursées, et dans quelles conditions
doivent-elles l'être ?
faut-il modifier le principe du ticket modérateur et, à l'instar
des Etats-Unis, plafonner les dépassements ?
quel rôle et place pour les assureurs complémentaires ?
8.
Les moyens du Ministère de la santé
La dichotomie
des sources de financement entre l'Etat responsable, chef d'orchestre
et la sécurité sociale payeur a fait que si globalement les moyens
sont suffisants, ils sont mal répartis.
Le Ministère
de la santé manque cruellement de moyens d'expertise, d'informations,
d'analyses et ne peut gérer tous les aspects des problèmes dont
il a la charge. L'affaire su sang contaminé l'a tristement montré.
Le rythme
de la gestion nécessairement à moyen ou long terme n'est pas celui
de la politique. Pour répondre à cette question, on peut suggérer
la création d'un poste de Secrétaire Général au Ministère de la
Santé, nommé pour cinq ans, dont les missions seraient clairement
définies. Un tel poste ne priverait pas le Ministre de ses compétences
mais lui permettrait d'être déchargé des tâches quotidiennes, et
de toute la mise en oeuvre et du contrôle, dont il ne peut s'occuper.
9.
L'industrie pharmaceutique et biomédicale
L'industrie pharmaceutique
C'est une
industrie mondiale. La France a la chance de disposer des entreprises
de renom. Il faut les conforter. Cela relève plus d'une politique
industrielle que de la politique de santé. L'expérience a montré
que toute confusion dans ce domaine était néfaste pour l'industrie
et ne résolvait en rien les questions de prescriptions, voire de
prix des dépenses pharmaceutiques à la charge de la sécurité sociale.
Nous avons en France des prix bas et des dépenses élevées. C'est
le résultat de cette politique.
L'industrie bio-médicale
Elle relève
d'autres mécanismes. Si nous avons des chercheurs, des créateurs
d'entreprises, nous manquons de capitaux et de vue à long terme.
L'échec de ces dix dernières années et flagrant. Les institutions
qui auraient pu jouer un rôle ne l'ont pas fait. Les faillites furent
nombreuses et les entreprises se développent au Japon ou en Amérique
du Nord. Comment favoriser le capital-risque ? Comment éviter que
des institutions financières para-publics se comportent comme le
pire des spéculateurs ?
10.
Faut-il plafonner la croissance des dépenses de santé ?
La réponse
à cette question dépend du terme retenu dans le temps et de la définition
du mot "santé".
A moyen
ou long terme rien ne permet de justifier que ces dépenses doivent
être limitées en valeur absolue ou en pourcentage du PIB.
A court
terme cependant elles doivent l'être car c'est la condition nécessaire
pour entreprendre des réformes crédibles mais aussi et surtout parce
que d'une part des raisons financières nous l'imposent et que d'autre
part d'autres pays semblent fournir des soins au moins d'aussi bonne
qualité avec des dépenses moindres. Il y aurait donc d'importants
gains potentiels de productivité.
Enfin,
cette question porte en elle la remise en cause de l'équation évoquée
plus haut médecine = santé : si l'on veut améliorer la santé de
nos concitoyens, faut-il continuer à investir dans le secteur médical
ou améliorer notre espace urbain, nos réseaux de solidarité, nos
conditions de vie et de travail ? Quelques recherches canadiennes
et britanniques semblent indiquer que ceci ne serait pas moins efficace.
11.
Le système de santé français et l'Europe
Les questions
de santé ne sont pas incluses dans le Traité de Rome. L'Union Européenne
et le Traité de Maestricht n'ont pratiquement rien changé à cette
situation sinon dans le domaine de la sécurité et de la santé publique
où sont prévues des actions communautaires.
Toutefois,
l'Union Européenne aura et a déjà des répercussions importantes
sur le système de santé français, ne serait-ce que par les nécessités
de la convergence en vue de la monnaie unique et des contraintes
qu'elles imposent aux déficits publics, donc aux politiques de protection
sociale.
On rappellera
par ailleurs la libre circulation des biens, des services et des
personnes parmi lesquels les médecins (depuis 1977) bien que le
solde migratoire soit faible.
Enfin on
rappellera, relevant à la fois des politiques de santé et des politiques
industrielles, les procédures d'autorisation de mise sur le marché
des médicaments, avec mise en place d'une agence Européenne à Londres
en 1994 dont relèvent déjà pour toute l'Union Européenne les autorisations
pour les médicaments issus du genie-génétique.
Pour les
matériels bio-médiaux, les directives successives pour les matériaux
implantables actifs, les autres matériels et les appareils de diagnostic
in-vitro. Ces directives s'imposent aux états de l'Union et en ce
sens vont conduire l'"homologation" Française à disparaître
en faveur d'une organisation différente (organismes notifiés et
inter-équivalence des procédures nationales) dès 1998.
Il serait
donc vain d'imaginer l'évolution du système de santé français indépendamment
de celle de l'Union Européenne.
12.
Conclusion
Ces thèmes
brièvement évoqués montrent à l'évidence que l'aspect financier,
au centre des débats, n'est que le symptôme de problèmes plus généraux.
Remettre de l'eau dans une bassine pleine de trous ne permet pas
de les colmater. La France ne peut pas laisser indéfiniment ces
questions sans réponses au risque d'en payer un prix élevé tant
pour la compétitivité de nos entreprises que pour la qualité du
service rendu. L'objectif n'est pas de limiter aveuglément les dépenses
de santé, mais de s'assurer que l'offre répond à une demande et
qu'elle est de qualité.
Outre cet
aspect économique, les questions philosophiques et éthiques sont
aussi centrales. Elles concernent la conception de la vie et de
la mort, la notion du corps et de l'esprit, (à supposer qu'il faille
faire cette distinction), mais aussi la philosophie politique dans
la mise en oeuvre opérationnelle de l'équité, de la notion de service
public, de la conception que l'on a de l'intégration sociale et
de la solidarité.
C'est un
beau sujet. Espérons que l'on en débatte et que l'on choisisse.
Les choix par défaut sont des choix, rarement les meilleurs.
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