|
François
MALYE
Journaliste - Sciences et Avenir
|
(suite)
5-
Pour affiner l'analyse statistique, vous avez envoyé un questionnaire
détaillé à chaque hôpital. Quelles ont été les réactions à ce questionnaire
?
Un taux de retour extraordinaire
: 62%, ce que jamais un service de l'Etat n'a obtenu. Ce chiffre
est à comparer à celui de l'an dernier : 7%. Entretemps la FHF
(Fédération Hospitalière de France) a donné aux hôpitaux le conseil
de répondre, ce qui est tout à son honneur et montre qu'elle a compris
l'intérêt de cette enquête. Ces réponses nous permettent d'ailleurs
de disposer de chiffres que personne n'avait jusque là. Nous savons
par exemple le pourcentage de maternités qui peuvent offrir un service
de garde complet (obstétrique, chirurgie et anesthésie) 24 h sur
24 : il invite d'ailleurs à la réflexion puisqu'il est de l'ordre
de 20%.
6-
Comment expliquez-vous que l'APHP (Assistance Publique des Hôpitaux
de Paris) ait refusé de vous communiquer les résultats des CHU parisiens
?
Je suis frappé, dans
la réaction de ce qui est censé être le fleuron du système hospitalier
français, par une attitude qui devrait appartenir à un passé révolu.
La première règle de l'accréditation consiste à répondre franchement.
Quand vous ne répondez pas, au Canada, aux Etats Unis ou ailleurs,
c'est que vous n'êtes pas bon. En France, dans ce pays qui a tant
d'atouts, on reste arcbouté sur nos blocages. Il y a un réel problème
de modernité, de refus de mettre en question les situations acquises
et nous sommes forcés de constater que c'est à l'AP qu'il est le
plus fort. Sans doute du fait de sa très longue habitude d'être
un Etat dans l'Etat, mais ceci ne l'excuse évidemment pas. Cette
nomenklatura installée qui pèse 27 ou 28 milliards devra bien un
jour où l'autre être remise en cause. Ce qui est certain c'est que
nous ne les lâcherons pas. Je suis scandalisé qu'on oblige le petit
hôpital de Wissembourg, qui est l'avant dernier de notre classement
en matière de prothèses de hanche, à nous livrer ses données PMSI
et que les CHU parisiens croient pouvoir s'en dispenser.
Il est tout aussi inacceptable
de constater que depuis des mois la Sécurité sociale refuse de nous
confier les données concernant les cliniques privées malgré une
décision favorable de la Commission d'accès aux documents administratifs
(CADA). Fort heureusement le nouveau Directeur
de la CNAM, Gilles Johanet, nous a fait savoir que cette
exception allait cesser et que nous pourrions désormais disposer
de ces chiffres.
Mais le plus incroyable
est que ces données concernant les cliniques n'ont pas été transmises
aux DDASS et aux Agences Régionales de l'Hospitalisation. Ces institutions
sont tout de même chargées de la réforme de l'hôpital !
De telles attitudes
sont incompréhensibles pour des journalistes et tout simplement
pour des citoyens.
7-
Quelle a été la réaction du Ministère de la Santé ?
Bernard Kouchner, lors
d'une interview radiophonique, s'est réjoui de cette transparence
et s'est félicité de nous avoir transmis les données du PMSI. J'en
suis quelque peu surpris car il nous a tout de même fallu huit mois
et de nombreux recours pour en disposer.
8-
Et celle du nouveau directeur de la CNAMTS (Caisse nationale
d'assurance-maladie des travailleurs salariés) ?
Comme je le disais
à l'instant Gilles Johanet semble avoir décidé de rompre avec la
pratique du secret puisqu'il nous a promis les données concernant
les cliniques privées que nous n'avons pas pu obtenir à ce jour.
Je pense que sa connaissance de l'ensemble du système (il a déjà
dirigé la CNAM pendant plusieurs années) lui a permis de comprendre
que le premier acte d'une réforme est la discussion publique de
la situation existante. Un tel débat, montrant où sont les forces
et les faiblesses du système de soins, ce qu'il faut renforcer et
ce qu'il faut supprimer, ne peut que le servir dans la tâche qui
lui a été confiée.
Gilles Johanet est
bien placé pour savoir qu'il est le "dernier homme". C'est
évident. Ce système ne peut plus échapper à une refonte radicale,
quelles que soient les oppositions. Et si on ne la réalise pas,
c'est l'Europe qui nous y forcera, comme elle l'a déjà fait dans
beaucoup d'autres domaines. Quant à la fausse querelle sur la concurrence
ou la "privatisation" qui a ressurgi à l'occasion de la
présentation du projet AXA
notamment, elle m'amuse beaucoup : il y a longtemps que les mutuelles
gèrent les remboursements au premier franc pour des centaines de
milliers d'assurés sociaux et personne n'en a jamais conclu que
cela allait aboutir au démembrement de la Sécurité Sociale.
9-
Dans quelques jours vous allez publier non plus une enquête de votre
mensuel mais un guide beaucoup plus détaillé. En quoi consiste-t-il
?
Le guide est très complet
puisqu'il porte sur 23 interventions. Le fil conducteur c'est bien
sûr la chirurgie. Nous sommes partis du principe que c'était là
que le PMSI était le mieux renseigné, que de plus un bon hôpital
doit disposer de bons services de chirurgie (une maternité, un service
de médecine ne peuvent être performants, quelle que soit la qualité
de leurs équipes, s'ils ne sont pas adossés à un bon service de
chirurgie).
Nous recensons donc
dans le guide les 227 hôpitaux qui apparaissent au moins une fois
parmi les cinquante meilleurs pour l'une de ces 23 interventions,
puis nous présentons une fiche pour chacun de ces 227 hôpitaux.
Cela va du petit hôpital de proximité au grand CHU et nous donnons
sur chacun d'eux de très nombreux renseignements : y a-t-il une
garde d'anesthésie en permanence, quelles sont les statistiques
d'activité de la médecine, de la chirurgie, de la maternité, le
bloc est il aux normes ou pas, y a-t-il trop d'activité libérale,
y a-t-il assez d'anesthésistes, etc
C'est un énorme travail
puisque ce guide fait pratiquement 600 pages. Mais ce qui est le
plus important à souligner c'est que ce guide est à la portée de
tout lecteur et non pas des seuls professionnels de santé. Ce que
nous avons voulu faire c'est un outil au service des consommateurs
de soins, donc du grand public.
10-
Les pouvoirs publics disposent depuis de nombreux mois de l'ensemble
des données que vous publiez dans vos numéros de Septembre et Octobre.
Comment expliquer qu'ils ne les communiquent pas et qu'il faille
attendre le travail de journalistes scientifiques pour que le grand
public puisse en prendre connaissance ?
Les pouvoirs publics
ne cessent de parler de transparence mais je crains qu'ils ne fassent
jamais, en tout cas pas avant longtemps, ce travail. Leur culture
est à mille lieux de cette transparence. Trop de chapelles, trop
de baronnies, trop d'intérets entrecroisés qui favorisent l'opacité.
Le pouvoir des élus locaux par exemple dans ce pays est terrifiant
: 36000 communes, 500 000 élus
aucun pays en Europe ne fonctionne
comme cela. Quand on voit le Maire de Pithiviers avec une écharpe
tricolore devant son hôpital où tout de même quelqu'un est mort,
on reste confondu ! Et quand on lit le rapport de l'IGAS sur cet
hôpital, c'est encore plus stupéfiant.
Cette culture du secret,
nous en avons eu des preuves tout au long de l'enquête : par exemple
il y a trois jours nous avons demandé à la DRASS de l'Ile de France
le nombre d'accouchements ayant eu lieu l'an dernier à l'Assistance
Publique. Le responsable nous a rappelé en nous disant :"Il
me faut l'autorisation de l'AP". J'ai dû appeler Dominique
Coudreau (NdR : Directeur de l'Agence
Régionale d'Hospitalisation de l'Ile de France) pour obtenir
ces renseignements. Ce type de données devrait pouvoir être obtenu
par quiconque en appuyant sur un bouton ! N'importe quel français
devrait pouvoir aller voir sa Caisse régionale de Sécurité Sociale
et demander : "Je dois me faire opérer de cela, est-ce qu'ils
sont bons, quelles sont leurs statistiques ?" J'espère que
nos enquêtes auront contribué à rapprocher le moment où cela sera
possible. Quand ce jour viendra je peux vous garantir que la nécessaire
réforme du système de santé français passera à la vitesse supérieure.
{reagissez}
à
cette interview.
Retrouvez toutes
les autres interviews.
|