Les
inconnues de la
Couverture Maladie Universelle
Mathieu
OZANAM
26 avril
2000
Renonçant
au discours dominant des vingt dernières années sur la nécessaire
maîtrise des dépenses de santé qui sest traduit dans les faits
par une diminution de la prise en charge des remboursements par
la Sécurité sociale (et parallèlement par une hausse du ticket modérateur,
la partie non remboursée), la couverture maladie universelle (CMU)
renoue avec les idéaux des origines.
La
CMU de base instaure le droit universel de bénéficier de la couverture
maladie et maternité pour toute personne résidant en France, et
la CMU complémentaire ouvre le droit, sous condition de ressources,
à une couverture maladie complémentaire gratuite.
En
universalisant pour la première fois la protection maladie en ouvrant
des droits nouveaux, les parlementaires ont donné corps à une idée
généreuse
sans que lon perçoive exactement quelles en
seront les implications, en termes financiers et sur lévolution
du concept de solidarité nationale.
Des attentes importantes
Un financement complexe
Des coûts
de fonctionnement inconnus
Une explosion des dépenses de
santé ?
La CMU renouvelle
la conception de la protection maladie
Pari
tenu ! La CMU a respecté (presque) comme prévu son calendrier
en débutant le 1er janvier 2000. Cest au terme
dune véritable course contre la montre que le coup denvoi
a été donné. En effet, si la loi a été votée le 27 juillet 1999,
le dernier décret dapplication a été promulgué le jour même
de lentrée en vigueur de la loi. Il est vrai que le dispositif
est complexe. Pas moins de 10 textes dapplication réglementaire
et 5 décrets-cadres auront en effet été nécessaires pour fixer le
cadre et régler les détails de la CMU.
Cinquante-trois
ans après sa création, la Sécurité sociale couvre donc aujourdhui
tous les Français. Le principe duniversalité de la couverture
sociale, voulu dès les origines par ses fondateurs, avait dû laisser
la place à une juxtaposition de régimes face aux oppositions rencontrées
à lépoque. Les commerçant, les artisans, les professions libérales
et les professions agricoles craignaient en effet dêtre noyés
dans lensemble trop vaste que représentait le régime des salariés,
et de perdre ainsi le bénéfice de leur protection sociale, jugée
plus favorable.
Dorénavant
la CMU assure à 750 000 personnes une couverture de base. Les organismes
de Sécurité sociale vérifient les ressources pour déterminer si
une cotisation doit être versée ou non. Pour une personne seule,
les ressources ne doivent pas dépasser 3 500 francs, soit 42 000
francs par an. Le plafond est fixé chaque année par décret.
Composition
du foyer |
Niveau
maximal de ressources pour bénéficier de la CMU
|
1
personne |
3
500 FF |
2
personnes |
5
250 FF |
3
personnes |
6
300 FF |
4
personnes |
7
350 FF |
A
partir de 5 personnes |
1
400 FF par personne supplémentaire |
Près
de 150 000 personnes étaient dans les " niches "
qui subsistaient entre les différents régimes : veuves et divorcées
nayant pas de droits ouverts et ayant moins de 3 enfants,
préretraités nayant plus de droits ouverts au régime général
sauf Unedic, rentiers, indépendants et assurés personnels non contributifs,
personne ne demandant pas le RMI ni de prestations sociales, moins
de 25 ans nayant pas accès à laide médicale. Sans
oublier les 600 000 anciens assurés ne relevant daucun régime,
qui cotisaient auparavant de façon volontaire pour souvrir
des droits.
La
CMU comporte aussi un volet complémentaire. Accordée sous conditions
de ressources, avec dispense d'avance des frais (tiers payant),
il ouvre droit à la prise en charge intégrale du ticket modérateur
et prévoit des remboursements des dépenses doptique et dentaire
plus favorables que ceux de lassuré lambda. Il couvre le forfait
hospitalier sans limitation de durée. Les médecins qui pratiquent
des honoraires libres (le fameux secteur 2) ne pourront pas dépasser
les tarifs de la Sécurité sociale pour le public CMU.
Les
anciens bénéficiaires de laide médicale départementale (AMD)
et les titulaires du revenu minimum dinsertion (RMI) ont un
droit automatique à la CMU complémentaire gratuite, les autres doivent
se présenter pour sinscrire. Les estimations tablent sur une
population denviron 6 millions de personnes.
Des attentes importantes
Cest
le chiffre quavance aussi l' IRDES
(Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé).
En effet, selon lenquête Santé, soins et protection sociale
en 1998, plus de 10% de la population française na pas
de complémentaire santé. Parmi les catégories de la population les
moins bien couvertes, on retrouve sans surprise les personnes ayant
des revenus de moins de 8 000 FF par ménage et les plus jeunes.
Cette
absence de protection complémentaire nest pas volontaire,
mais le fruit de changements familiaux, financiers ou professionnels.
En effet, si plus de 40% de ces personnes ont bénéficié une fois
dans leur vie dune mutuelle, 23% dentre elles nont
pu la conserver pour ces motifs. La CMU apporte donc indéniablement
une réponse au problème de légalité de laccès aux soins.
Pourcentage
de personnes ayant renoncé à des soins pour motif financier, selon
la nature et la date des soins
Source : IRDES-ESPS 1997
Néanmoins,
pour généreux quil soit, le dispositif recèle quelques faiblesses,
sans doute imputables à la rapidité de sa mise en uvre.
Ainsi,
mal maîtrisée, la question du financement de la CMU pourrait à terme
se révéler être une source de surprises désagréables.
Un financement complexe
Le
coût de la prise en charge de la couverture de base par la CNAMTS
a été évaluée à 900 millions de francs. Si la CNAMTS perd les cotisations
des 600 000 anciens assurés personnels, elle perçoit en échange
des compensations diverses, issues dune partie des droits
dalcool, des droits du tabac, des ressources de la CSG, des
taxes sur les véhicules à moteur.
Les
besoins de financement du volet " couverture complémentaire "
ont quant à eux été évalués à 9 milliards de francs pour lannée
2000, couverts par le gouvernement à hauteur de 7 milliards (au
lieu des 7,2 initialement prévus), et par les organismes complémentaires
pour 2 milliards de francs, provenant dune taxe de 1,75% sur
leur chiffre daffaire santé.
Mais
la réalité est plus complexe. Laide médicale départementale
touchait 1,5 millions de personnes. Or la CMU prenant le relais,
la dotation de décentralisation globale, allouée aux départements,
a été en quelque sorte " nationalisée ", et
les crédits ont été redéployés. Leffort " réel "
de lEtat nest donc en définitive que de 1,5 milliards
de francs.
Suite
26 avril 2000
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