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Colloque des économistes
de la santé

L’introduction du fédéralisme dans le service de santé national italien :
entre stratégie utopique et opportunisme tactique

George France

28 avril 2000

La réforme du système de santé repose sur le fédéralisme fiscal

Le poids des contraintes économiques

Est-il possible de concilier système fédéral et solidarité ?

Décentralisation et Système Sanitaire National

En 1978 l’Italie se dote d’un système de santé national (Servizio Sanitario Nazionale, ou SSN) garantissant une couverture universelle et financé par un impôt national.

Vingt et un ans plus tard, le Parlement vote une loi de décentralisation du financement aux régions dans une optique de " fédéralisme fiscal ".

Quel a été le poids des contraintes économiques qui ont conduit à faire ce choix politique ? Est-il possible de concilier système fédéral et solidarité ?

La réforme du système de santé repose sur le fédéralisme fiscal

Le fédéralisme n’est pas une idée neuve en Italie. La question se pose en 1860, lors de son unification, et réapparaît en 1945. C’est une solution intermédiaire qui est adoptée : l’Italie devient un Etat unitaire dont les régions se dotent d’exécutifs jouissant de pouvoirs légaux, administratifs et normatifs.

Cependant cinq régions sont presque aussitôt créées pour apaiser les tendances séparatistes du Nord, de la Sicile et de la Sardaigne. Les 15 autres régions obtiennent les mêmes pouvoirs en 1970, et c’est quatre ans plus tard que la santé rentre dans leur champ de compétence.

Jusqu’en 1992 le financement du SSN est centralisé et les cotisations de santé obligatoires sont reversées à la région de résidence des patients contributeurs. Les régions ont la possibilité d’augmenter les taux de cotisations et le ticket modérateur dans les limites fixées au niveau national.

A partir de 2001, la plupart des transferts Etat-régions (dont ceux consacrés à la santé) seront remplacés par l’octroi d’enveloppes budgétaires répartissant la TVA, l’impôt sur le revenu et la taxe sur les produits pétroliers selon le poids de chaque région. Une péréquation équilibrera ces allocations afin de garantir un niveau de soins " essentiels et uniformes " quelle que soit la région. Elle prendra en compte la capacité fiscale de la région, sa population, la moyenne des dépenses en santé des 12 dernières années, et ses spécificités territoriales.

En 2004, à l’issue de la période transitoire de trois ans, les régions qui auront démontré leur capacité à garantir des soins " essentiels et uniformes " dans le cadre financier de l’enveloppe régionale fixé au niveau central, seront libérées de la tutelle nationale. Libres à elles de continuer à respecter les niveaux ou au contraire de financer les dépassements sur leurs fonds propres.

En revanche si le ministère constate un déséquilibre entre les besoins de santé et les ressources qui leurs sont consacrées, les subventions de péréquation seront réduites et une partie sera directement affectée à la santé.

Si le fédéralisme a le mérite de permettre aux différences de s’exprimer, celles-ci pourraient mettre en péril les idéaux originels du SSN. L’Etat fédéral canadien fait face à de réelles difficultés pour imposer le respect d’une certaine homogénéité de l’offre de soins aux exécutifs régionaux.

En Australie, au contraire, le gouvernement fédéral dispose de prérogatives constitutionnelles importantes dans le secteur de la santé. Il peut fixer des objectifs financiers stricts et exercer son influence sur l’utilisation des fonds nationaux par les exécutifs régionaux. Résultat : l’offre de soins entre régions est assez uniforme.

Mais le fédéralisme fiscal italien se rapproche plus du modèle canadien qu’australien. Pourquoi l’Italie se risque-t-elle à remettre en cause les principes fondateurs du SSN ?

Plusieurs éléments de réponse : il y a d’abord un affaiblissement de la solidarité nationale. Les régions les plus riches connaissent une certaine lassitude à l’égard d’un Sud économiquement à la traîne, et opposent une résistance passive au pouvoir central.

Il faut avouer que le sentiment national est bien moins fort que dans les autres pays européens. Quel est le point commun entre l’Italien résidant près de la frontière autrichienne et celui vivant à quelques encablures de la Tunisie ?

Seconde explication : les changements de valeur. En une vingtaine d’année, l’équité dans la répartition des ressources s’est effacée devant la maîtrise des dépenses publiques.

La réforme du fédéralisme fiscal ne serait donc qu’une sorte de calcul politique pour reporter la responsabilité de la maîtrise des dépenses de santé sur les régions.

Le poids des contraintes économiques

La réforme du SSN de 1978 coïncide avec un retournement de la conjoncture économique. Les finances publiques sont dans le rouge, mais les gouvernements préfèrent emprunter pour financer les dépenses publiques plutôt que d’augmenter les impôts. La dette publique atteint des niveaux records. En 1993, elle représente 120% du PIB et le coût des intérêts 12%, alors que les critères de Maastricht imposent un déficit public du budget de 3% du PIB et une dette extérieure de 60% du PIB. Le poids de la dette est trop élevé et les augmentations d’impôts ne suffisent pas.

Cependant, entre 1980 et 1993, les dépenses de santé progressent au même rythme que le PIB. Ce qui permet à l’OCDE de juger qu’au cours des années 80 " les dépenses publiques de santé ont augmenté plus modérément que dans les autres pays ".

Comment cela se fait-il ? George France apporte la réponse : c’est l’inflation à deux chiffres qui " mange " les taux de croissance des dépenses de santé. Certes ils fluctuent de façon importante (6,1% en 1981, 5,3% en 1982, mais 0,7% en 1984) mais oscillent le plus souvent entre 2 et 4%, avec quelques pointes (10,4% en 1987 ; 9% en 1990).

Et de fait, pendant cette période, la part des dépenses publiques consacrée à la protection sociale décline, pour passer de 26 à 24,3% du PIB. Les dépenses de santé baissent de 11,8 à 10,4% de l’ensemble des dépenses publiques.

Paradoxalement les plafonds de dépenses fixés par le gouvernement central continuent à être régulièrement dépassés et les comptes du SSN sont en déficit chronique. L’explication est simple et tient en trois mots : sous-financement délibéré du SSN, optimisme excessif dans l’efficacité des politiques d’économies et donc sous-estimation des vrais besoins financiers.

La faute à l’Union monétaire européenne ? La participation de l’Italie dépendait, pensait-on, de la réduction des dépenses liée au SSN. Les gouvernements successifs refusent donc de couvrir les déficits régionaux et pratiquent des politiques restrictives (déremboursement de nombreux médicaments, forte augmentation du ticket modérateur pour les consultations de spécialistes libéraux, et les soins diagnostiques et pharmaceutiques).

Le critère du déficit budgétaire est finalement respecté et les autres membres, faisant preuve de bienveillance, acceptent l’adhésion de l’Italie, malgré l’ampleur de la dette publique.

Entre 1992 et 98, les régions continuent à creuser les déficits, bien que les dépenses de santé continuent à baisser en termes absolus et relatifs, en raison de la part croissante laissée à la charge des patients. L’Italie est le seul pays de l’OCDE qui enregistre une baisse de ses dépenses de santé (en 1995 7,7% de son PIB, contre une moyenne de 8,2% pour l’OCDE).

Est-il possible de concilier système fédéral et solidarité ?

La réforme de 1978  se résume en 3 principes  :

  • justice sociale et solidarité nationale : c’est la garantie d’un accès universel à des soins similaires, par un financement solidaire via l’impôt,
  • maîtrise des dépenses de santé : le système précédent était fragmenté et avait conduit à la banqueroute des fonds maladie et à l’endettement des hôpitaux,
  • la " participation démocratique " : les forces politiques locales participent aux conseils d’administration des autorités sanitaires locales (USL pour Unita Sanitario Locali).

La réforme de 1992-93 est le fruit d’une double crise : économique avec une dette publique importante, et politique avec les révélations sur la corruption de certains dirigeants de partis. Des gouvernements de " technocrates " sont nommés et s’efforcent de rétablir les équilibres publics pour respecter les critères du Traité de Maastricht. L’impopularité du SSN et l’accord résigné des partis leur facilite la tâche.

Cette réforme adopte une approche plus pratique, moins " idéale " et introduit des principes de gestion empruntés au secteur concurrentiel. Faisant sien le mot de Klein , George France juge que le SSN, qui était une " église universelle " par son rôle social et l’incarnation de valeurs morales, devient " un garage chargé de réparer et entretenir les corps ".

Les USL et les hôpitaux principaux deviennent des entités sanitaires quasi autonomes, dirigées par un directeur doté de larges pouvoirs. Fournisseurs publics et privés sont mis en compétition pour l’obtention de contrats et la promotion de la qualité et les droits des patients sont abordés sous l’angle de consommateurs ou de clients.

L’année 1999 est marquée par la troisième réforme du SSN. C’est un retour aux origines : l’emprise du marché introduite par la réforme de 1992 diminue, mais le maître mot reste l’efficacité.

L’autonomie économique des hôpitaux est préservée (mais il leur est plus difficile d’acquérir le statut d’entreprises) et les pouvoirs du directeur général sont rognés.

Mais la vraie nouveauté de cette réforme, c’est l’affirmation que le droit à la santé est limité. Le SSN ne garantit plus que la couverture des soins réputés être " nécessaires ", " pertinents ", appropriés ", et " efficaces ".

C’est l’institutionnalisation d’un système à deux vitesses et la reconnaissance de la contrainte financière. Si cette politique n’est pas nécessairement incompatible avec l’égalité d’accès aux soins, elle peut cependant la mettre en péril.

Décentralisation et Système Sanitaire National

Le champ d’intervention de l’Etat et des régions en matière de santé n’est pas défini clairement. Deux logiques s’affrontent : la stricte maîtrise des dépenses de santé par l’Etat et la volonté des régions d’affirmer leur autonomie en lui opposant une résistance passive.

La loi impose aux régions et aux USL de créer des systèmes d’audit interne et externe pour avoir une connaissance précise de l’utilisation des ressources, de surveiller les comportements de prescriptions des médecins, de respecter les standards nationaux pour la constitution d’équipes médicales, les équipements et le matériel. Mais en agissant ainsi, l’exécutif national néglige les limites constitutionnelles qui s’imposent à l’intervention directe de l’Etat dans le champ des régions et des USL.

La Cour constitutionnelle se montre généralement favorable aux régions, par exemple lorsqu’elle a déclaré inconstitutionnelle la législation nationale rendant les régions responsables des déficits de leurs USL.

L’Etat contourne cet obstacle en fermant massivement des lits, en gelant les dépenses d’investissement, en utilisant sa position de monopole de la demande pour faire baisser le niveau de paiement des facteurs (personnel, fournisseurs extérieurs, pharmacie) et en sous-estimant délibérément les besoins annuels de financement du SSN.

Le montant de la contribution de l’Etat à la région est déterminé en fonction de la population régionale. Le " quota par tête " (quota capitaria) répercute les restrictions budgétaires nationales en rendant les régions responsables des dépenses qui sortiraient du cadre de la subvention centrale. En cas de dépassements, les régions devront augmenter la participation financière du patient par une hausse des contributions obligatoires ou une nouvelle taxation des revenus. Le " quota par tête " devra garantir à chaque citoyen un accès universel au même niveau de soin pour 6 catégories : soins primaires (médecine générale, pharmacie, pédiatrie), spécialiste et soins semi-résidentiels, soins hospitaliers, soins à domicile, prévention.

La Cour constitutionnelle en a avalisé le principe, tout en accordant une période transitoire d’ajustement aux régions. 

La " gué-guerre " que se livrent Etat et régions a focalisé les débats sur la question de l’adéquation des fonds alloués par l’exécutif central, au lieu de s’intéresser à la façon d’optimiser l’utilisation des ressources. Le sous-financement a ainsi créé des situations délicates pour la gestion et les budgets prévisionnels des régions et des USL.

Ceci explique que les réformes se soient mises en place plus ou moins rapidement selon les régions et que leur impact en terme d’amélioration de l’efficacité et de maîtrise des dépenses ne soit pas le même selon les régions.

Mais la réforme de 1999 est encore trop récente pour que l’on puisse évaluer l’impact de la décentralisation. Le ministre du budget et la commission sénatoriale du budget ont pour leur part jugé qu’il était difficile d’évaluer, et les économies imputables à la réforme, et les coûts qu’elle engendrera. Il se peut aussi que la planification et la coopération prévues par la réforme ne produisent pas forcément autant de bénéfices que veulent le croire ses promoteurs.

La réforme du système de santé italien illustre l’attention grandissante portée par les gouvernements à la maîtrise des dépenses et à la recherche de l’efficience économique.

Le temps dira si la loi de 1999 sur le fédéralisme fiscal est la dernière étape d’un processus de transfert de la responsabilité du financement du système de santé vers les régions, comme George France le suppose. L’Etat résoudrait ainsi la question des déficits chroniques des régions et leur incapacité (ou leur absence de volonté) à respecter les enveloppes de dépenses fixés par l’échelon national.

Des mécanismes garantissant l’égalité d’accès aux soins ont été mis en place, mais George France se demande quelle sera leur efficacité. La notion de niveaux de soins " uniformes et essentiels " demeure, par exemple, extrêmement vague.

L’expérience du fédéralisme fiscal pourrait bien devenir une référence pour les pays tentés par une décentralisation de leur système de santé. Sa réussite ou son échec sera jugé sur sa capacité à garantir l’égalité d’accès à des soins uniformes dans chacune des régions.



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