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Cancer :
les difficultés du dépistage de masse

Hervé NABARETTE

1er octobre 1997

Dans son rapport 1994 sur la santé en France, le Haut comité de la santé publique montre que le cancer est la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes (après les maladies cardio-vasculaires). Il est à l’origine de 30 % des décès, soit 140 000 en 1990. Le cancer du sein touche par exemple une femme sur 10 et cause 10 000 décès par an. Le Haut comité s’est fixé des buts chiffrés de réduction de la mortalité par cancer. Il assigne au dépistage un rôle privilégié pour réduire la mortalité prématurée et évitable.

Mais l’administration du dépistage de masse pose deux problèmes. D’abord, il n’est pas sûr que des tests suffisamment efficaces existent. On se souvient qu’en janvier, la CNAM avait pris la décision de suspendre le remboursement du test Hémocult, pour le cancer colorectal, en raison d’une trop grande imprécision des résultats. Ensuite, même si un test performant existe, les modalités de son administration peuvent être contre-productives. Ainsi pour le frottis vaginal, qui permet de repérer un éventuel cancer de l’utérus : plus de trois millions de tests sont pratiqués chaque année, mais seulement 20% des femmes de 50 ans s’y soumettent alors que c'est à partir de cet âge qu'elles sont le plus touchées. En conséquence, 2 000 décès annuels sont enregistrés alors que les spécialistes affirment que ce cancer devrait aujourd’hui avoir disparu en France.

Dans un ouvrage paru cette année, Dépistages des cancers, de la médecine à la santé publique  (Les éditions INSERM), l’INSERM recueille les contributions d’experts en santé publique, en cancérologie et en économie et sociologie de la santé. Il apparaît notamment que seuls les dépistage du cancer du sein et du col de l’utérus doivent être aujourd’hui généralisés, et que les conditions d’un dépistage de masse efficace ne sont pas atteintes dans le contexte français, caractérisé par l'importance de la prescription individuelle (alors que la France est le pays européen où le dépistage est le plus développé).

Les conditions d’efficacité du dépistage du cancer

Pour qu’un test de dépistage du cancer soit valable, rappelle P. Schaffer, il convient que le cancer et le test présentent certaines caractéristiques :

  • Le dépistage doit concerner une affection fréquente, responsable d’une substantielle mortalité et/ou morbidité. Son efficacité est appréciée au regard de la diminution de la mortalité, ou par la diminution du nombre d’années potentielles de vie perdue.

  • Il faut connaître l’histoire naturelle de la maladie. Le dépistage n’a d’intérêt que s’il survient avant la dissémination de la tumeur. Les praticiens doivent aussi savoir à quel moment le test peut être appliqué avec le maximum de bénéfice et d’efficacité et au moindre coût.

  • Il faut disposer d’un test efficace, sensible et spécifique, permettant de détecter la maladie à un stade précoce sans trop de faux positifs.

  • Le test de dépistage doit aussi être simple, non douloureux, sans danger et facilement accepté par la population. Il doit pouvoir être réalisé par un nombre significatif d’acteurs (médecins et techniciens).

  • La maladie dépistée doit être diagnostiquée et traitée. Par exemple, pour les lésions du col de l’utérus diagnostiquées au stade in situ, un taux de guérison de près de 100 % peut être obtenu. Mais ce n’est pas les cas pour le cancer du poumon, bien plus fréquent, et pour lequel il n’a pas été prouvé que le dépistage améliorait le pronostic.

  • Les populations à dépister doivent correctement ciblées. Plus la prévalence de la maladie est élevée, plus la valeur prédictive positive du test sera augmentée et plus le dépistage sera utile. Concernant le cancer du sein, tous les essais de dépistage randomisé ont montré que seule la mammographie réalisée chez les femmes entre 50 et 70 ans pouvait réduire la mortalité. Avant cet âge, il n’y a aucun gain sur la mortalité. Avec H. Sancho-Garnier, on peut ajouter que le test, pour des raisons éthiques, doit être appliqué à l’ensemble de la population qui peut en bénéficier (à cet égard, on s'est aperçu que les sujets demandeurs ont généralement une prévalence de la maladie plus faible).

H. Sancho-Garnier conclut que l’efficacité du dépistage reste à démontrer dans la plupart des cancers en dehors des cancers du col de l’utérus et des cancers du sein de la femme ménopausée.

Les risques du dépistage

Les inconvénients d’un dépistage peuvent être appréhendés à partir d’un programme exemplaire concernant le cancer du sein. Sur 1000 femmes âgées de 50 ans qui se soumettent à une mammographie tous les deux ans et durant 10 ans :

  • 32 d’entre elles développeront un cancer du sein sur cette période

  • 29 pourraient être dépistées grâce au programme et bénéficier d’un traitement plus limité

  • 4 décès sur 12 prévisibles seraient évités

  • en contrepartie, 100 à 200 femmes devraient subir des examens complémentaires inutiles dont 40 avec une biopsie chirurgicale

  • 25 auraient un diagnostic trois ans plus tôt, sans modification de leur durée de survie

  • 3 femmes seraient faussement rassurées

  • et 0,01 cancer pourrait être induit.

Comme on le voit, dans le dépistage du cancer du sein, la valeur prédictive positive du dépistage est très faible : nombreux sont les faux positifs. Or chaque résultat positif entraîne des investigations complémentaires avec des conséquences physiques et psychologiques qui ne disparaissent pas nécessairement.

Le phénomène des vrais positifs entraîne aussi des effets psychologiques délétères. En effet des lésions sont détectées alors qu'elles n’auraient jamais évolué vers un stade symptomatique, qu'elles auraient régressé spontanément ou qu'elles n’auraient jamais conduit au décès de la patiente. A l’opposé, des vrais positifs, malgré le dépistage, ne pourront être guéris (la réduction de la mortalité dans le dépistage du cancer du sein n’est au maximum que de 30 % parmi les femmes dépistées : plus de 70% de décès surviendront malgré le dépistage).

Les faux négatifs bénéficient quant à eux d’une réassurance fallacieuse.

Chez les non participantes au dépistage, l’apparition d’un cancer peut être accompagnée d’une forte réaction de culpabilisation.

La nécessité d’une évaluation et d’un contrôle du dépistage

Les exigences du dépistage permettent de comprendre que celui-ci doive être organisé, coordonné, évalué et contrôlé (Schaffer).

L’évaluation considère notamment :

  • le taux de participation au test

  • le nombre de faux positifs et de faux négatifs

  • la prise en charge diagnostique et thérapeutique

  • les conséquences sur la diminution de la morbidité et de la mortalité

  • les incidences économiques

Le contrôle doit être effectué par une structure indépendante, avec des normes clairement établies. Il concerne la lecture des clichés, le contrôle de la chaîne radiologique (mammographies, systèmes de développement des films, mesures de la dose reçue par le sein), le diagnostic cytologique et histologique et les traitements.

Le dépistage du cancer en France

H. Allemand rend compte de l’expérience acquise sur les sites pilotes de dépistage de masse du cancer du sein dans le cadre du Fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaire (FNPEIS). Les difficultés propres à la France apparaissent clairement et rendent difficile la généralisation du programme.

  • Un premier handicap est lié au caractère fragmenté du dépistage. Plus de 2000 mammographes sont installés en France (200 en Angleterre). L’organisation et l’assurance qualité de l ’ensemble de la chaîne de dépistage sont difficiles à maîtriser.

  • Le second handicap provient de l’importance du dépistage sur prescription individuelle (ou dépistage spontané). Il s'accompagne malheureusement d’un dépistage quasi généralisé avant 50 ans, et son rythme est trop rapide comparé à l'optimum d’une mammographie tous les trois ans. Le dépistage spontané a aussi pour inconvénient de retirer des volontaires au dépistage de masse organisé, ce qui obère le rapport coût / efficacité de ce dernier.

Selon P. Schaffer, ce développement spontané en dehors de tout programme a pour corollaire une certaine difficulté du corps médical à comprendre que le dépistage suit d’autres principes que la médecine curative, en particulier l’obligation d’être organisé et de respecter des modalités définies préalablement.

Le même mécanisme explique l’incohérence en termes de santé publique des décideurs qui s’investissent dans le dépistage organisé du cancer du sein, mais édictent en même temps une référence médicale opposable (RMO) qui permet :

  • un dépistage annuel alors que toutes les études montrent que le rapport coût-efficacité est déplorable

  • un dépistage sans limite d’âge, alors qu’aucune étude n’a montré une efficacité de ce dépistage avant 50 ans et que les inconvénients sont importants

  • un dépistage spontané bien rémunéré pour les radiologues, mais sans aucune contrainte de qualité

  • un dépistage non organisé, non évalué et sans contrôle de qualité

J.P. Moatti confirme que l'approche économique prescriptive démontre la supériorité d’un dépistage organisé sur une diffusion des actes de dépistage et de diagnostic précoce laissée au libre arbitre du prescripteur.

Perspectives

Au début du mois d'octobre, à l'occasion du lancement de la semaine européenne de lutte contre le cancer, Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, a annoncé la mise en oeuvre d'un plan d'envergure destiné à organiser sur l'ensemble du territoire français le dépistage systématique du cancer du col de l'utérus (pour les femmes de 20 à 65 ans) et de celui du sein (pour les femmes de 50 à 69 ans). Ce plan d'action sera engagé dans les premiers mois de 1998 et devrait être poursuivi pendant au moins trois mois. Le pilotage devrait être confié à un comité national compétent sur l'ensemble des dépistages des cancers. Il devra relever deux défis majeurs : l'information et l'incitation de toutes les femmes concernées, l'organisation du dépistage pour répondre aux contraintes exposées ci-dessus (normes, évaluation, contrôle de qualité...).

A moyen terme, il faut espérer que le dépistage du cancer en France puisse participer à l'évolution du fonctionnement de la médecine de ville, afin de concilier organisation libérale, démarche de santé publique et recherche d’efficience par l’amélioration de la qualité des soins (F. Fagnani). Pour M. Tubiana, le dépistage familiarise l’ensemble du corps médical avec ce que sera la médecine de demain : une médecine de prévention, s’adressant à la collectivité en même temps qu’à l’individu, soumise à une évaluation permanente et dans laquelle tous les acteurs doivent faire un effort constant de qualité, ce qui passe par une formation permanente.

A plus long terme, des perspectives illimitées sont ouvertes par l’introduction de la génétique dans l’évaluation des risques individuels et l’identification des tumeurs à composante héréditaire. La qualité des marqueurs biologiques et cytologiques est encore insuffisante et doit être perfectionnée pour améliorer leur spécificité et leur sensibilité, corrélativement à la recherche sur les facteurs génétiques des cancers. Dans ce domaine, la recherche fondamentale doit encore précéder la recherche appliquée que constitue l’élaboration d’une méthodologie de dépistage (A. de Tovar). Elle s'accompagne d'interrogations économiques, sociales et philosophiques sur les conséquences d'une connaissance accrue des déterminismes génétiques.

Le dépistage des cancers est une action de santé publique qui consiste à identifier, à l’aide d’un ou plusieurs tests, d’application aisée, acceptables et peu coûteux, les sujets atteints d’un cancer ou d’une lésion précancéreuse, asymptomatiques, passés jusque là inaperçus. Les personnes pour lesquelles les résultats sont dits positifs ou douteux doivent subir des examens diagnostic pour vérification.

La sensibilité représente la fréquence du signe dans la maladie : elle s’exprime par le rapport du nombre de vrais positifs au nombre total de malades.

La spécificité se définit en termes de nombre de sujets indemnes correctement identifiés et s’exprime par le rapport du nombre de vrais négatifs au nombre total de sujets indemnes.

Le test de dépistage est positif, mais la maladie est absente. Pour le faux négatif, le test est négatif, alors que la maladie est absente.

La valeur prédictive positive est la probabilité que le sujet soit réellement malade lorsqu’il présente le signe étudié. La valeur prédictive négative est la probabilité de l’absence de la maladie si le signe fait défaut.



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