La
face cachée du Plan Juppé
La
phlébite et le Plan Juppé
Laurent
ALEXANDRE
1er
mai 1996
Le plan
Juppé représente un moyen de stabiliser la croissance des dépenses
de santé à un niveau macro-économiquement acceptable. Linstrument
retenu pour ce faire est classique : vote par le parlement
dun taux de croissance annuel, en fait décidé par les fonctionnaires
de Bercy. Ce mécanisme nest pas en soi condamnable :
les impératifs de la construction européenne et donc la nécessité
de contrôler les déficits budgétaires et sociaux peuvent légitimer
ce choix, ce dautant que des marges de productivité importantes
existent dans le système de santé.
Le vrai
problème réside dans la répartition de lenveloppe annuelle
destinée à la santé. Les mécanismes retenus par les ordonnances
bloquent lévolution du système de santé sur le vieux modèle
hospitalo-centrique.
Lhistoire
peut déjà être écrite. Les gains réalisés par des prises en charge
ambulatoires ne se traduiront pas par un accroissement de lenveloppe
destinée à la médecine de ville. La déconnexion entre lenveloppe
hôpital et lenveloppe ville ne permettra pas le nécessaire
redéploiement des moyens, des hommes et des ressources vers la médecine
ambulatoire. Lhôpital rémunéré sur une logique de moyens et
non de production réclamera comme aujourdhui toujours plus
de ressources et il les obtiendra. Ces dernières années, le budget
global na jamais été respecté.
La médecine
de ville et le médicament seront nécessairement rationnés. En effet,
il ne sera pas possible de faire bénéficier tous les Français des
innovations thérapeutiques et dune prise en charge ambulatoire
moderne tout en laissant croître lenveloppe allouée à lhôpital
aussi vite.
Un exemple
simple illustre ce mécanisme. Deux études récentes publiées dans
New England Journal of Medicine, démontrent le bénéfice médical
et économique du traitement ambulatoire des phlébites grâce à lutilisation
des HBPM. Ces travaux permettent de chiffrer les bénéfices économiques
potentiels de cette prise en charge innovante.
Environ
60000 phlébites sont traitées chaque année en France. La réduction
des coûts liée à une prise en charge ambulatoire associée à lutilisation
dune héparine de bas poids moléculaires est double. Dune
part, les filières de soins ambulatoires coûtent moins chères quune
hospitalisation. Dautre part, les meilleurs résultats en terme
de récidives, daccidents hémorragiques et de passage à la
chronicité permettent de réaliser des économies (voir graphique).
La maladie post-phlébitique est émaillée de séjours hospitaliers
et darrêts de travail qui expliquent son coût. Le bilan de
la prise en charge ambulatoire est donc fortement positif. Une telle
avancée suppose toutefois daugmenter les moyens mis à la disposition
de la médecine de ville pour surveiller les patients qui évitent
une hospitalisation et pour financer le surcoût médicamenteux initial
lié à lutilisation dhéparines de bas poids moléculaires.
Dans notre
pays, un tel transfert est impossible puisque les enveloppes budgétaires
de la médecine ambulatoire et de lhôpital seront figées. Si
la même logique avait été appliquée à la circulation routière en
1895, on aurait créé une enveloppe pour les garagistes et une enveloppe
pour les maréchal-ferrants. Aujourdhui, nous aurions un maréchal-ferrant
à chaque coin de rue et un garage tous les cents kilomètres. Ceci
est bien évidemment absurde. Les hommes politiques devront un jour
avoir le courage de transférer des ressources de lhôpital
vers la médecine de ville. Cest indispensable pour réaliser
une médecine à la pointe du progrès.
Les taux
de complications sont significativement plus bas pour les patients
traités à domicile avec une HBPM que dans le groupe hospitalisé
et traité avec une héparine classique. Le montant des économies
potentielles atteint un milliard de Francs même en prenant des hypothèses
conservatrices.
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