Centre
Hospitalier dAnnecy
Interview
des Docteurs François Meusnier & Xavier Courtois - DIM
"Un
réseau ville-hôpital grâce à Internet"
mai
1998
Nous
avons entendu parler de votre projet lorsque la CNIL vous a autorisés
à crypter des données médicales et à les envoyer sur Internet
Annecy est en effet un
projet pilote en télémédecine ; nous avons été les premiers
à avoir lagrément de la CNIL en Juin 97, avec beaucoup de
difficulté puisquils souhaitaient que le cas dAnnecy
fasse jurisprudence en terme de méthodologie, dorganisation
et de cryptage. Le projet a été lancé il y a trois ans et commence
à faire boule de neige : Montpellier et Saint-Etienne vont
utiliser le même mode de cryptage.
Il y a deux conceptions
de la télémédecine qui saffrontent :
-
le système télémédecine
vu depuis la direction des hôpitaux, le futur RSS, que je qualifierais
de réseau en anneau : chaque hôpital est un des membres,
un des adhérents du réseau, au même titre quun médecin
et rien nempêche les échanges entre médecins, entre un
médecin et une clinique de sa ville,
Cest le choix
que nous avons fait, pour être fidèle à lesprit du futur
RSS.
-
Autre système :
le réseau en étoile, comme ce que lon voit sur Montpellier :
une base de données centralisée, accessible par les médecins
membres du réseau, avec une gestion automatisée daccès
à linformation, où un patient autorise tel et tel médecin
à avoir accès à son dossier. On sécarte dans ce cas-là
de la philosophie RSS.
Est-ce
que cela signifie que, dans votre cas, le dossier médical nest
pas partagé ?
Non, il nest pas
partagé. On a à lhôpital un dossier patient, géré informatiquement,
mais ce nest quune brique au sein du réseau et elle
nest pas accessible depuis lextérieur. Dans le cadre
de notre réseau, les données sont extraites de ce dossier et envoyées
au praticien. Quand nous aurons mis en place linformatisation
de la radiologie, nous développerons une interface permettant déditer
en HTML une page contenant, à gauche, les informations nominatives
du dossier patient, et à droite, limagerie attachée à ce dossier.
Nous pourrons alors " encapsuler " tout ça en
le cryptant, puis lenvoyer au médecin référant.
La CNIL met énormément
de freins au développement dun véritable dossier partagé, ainsi
que la direction des hôpitaux et lordre des médecins : pas
daccès direct à linformation pour le moment, tant que
les problèmes de sécurité et de confidentialité nauront pas
été définitivement résolus.
Sans dossier
partagé, vous navez donc pas de soucis de synchronisation ?
Absolument pas. Si un
médecin a perdu lensemble de son dossier, ce qui arrive souvent
en ce moment, à cause de lhétérogénéité des matériels et logiciels,
il peut refaire une demande et se faire retourner tout document
en possession de lhôpital ou dun autre professionnel,
mais les dossiers des différents acteurs du réseau ne sont pas constitués
de la même manière.
Pouvez-vous nous décrire la configuration de ce réseau ?

Au niveau de lhôpital,
6 services lexpérimentent : cardiologie, maladies infectieuses,
orthopédie, hématologie, rhumatologie et anesthésie.
Le réseau Intranet est
actuellement en développement, mais comme nous sommes en Ethernet,
le réseau télémédecine fonctionne déjà. Derrière, les serveurs Web,
pour lIntranet et mail pour le courrier, et le firewall.

Pour lordre des
médecins, on a mis en place un contrat dinterchange décrivant :
-
la règle du jeu, que
lon fait signer à tous les participants
-
et la nature et la
forme des données échangées : on est ici plus dans le domaine
médical.
Le processus actuel
est le suivant :

Lhôpital constitue
un dossier, le crypte, lenvoie par accès protégé sur un serveur,
et derrière, le médecin agréé va chercher son courrier, le décrypte
et lexploite.
Le CH gère les clefs :
cest un système de clés asymétriques à 56 bits où nous gérons
les clés publiques.
Qui
ont été les intervenants dans la mise en place de ce réseau ?
Un comité de pilotage
Ville-Hôpital a été mis en place, intégrant
-
des responsables du
CH (DIM + DSIT),
-
7 médecins référents
(3 hospitaliers et 4 libéraux 2 Mac et 2 PC) qui participent
au développement du projet et répercutent les évolutions du
projet et les décisions du comité auprès des autres médecins
hospitaliers et libéraux
-
pour la validation
administrative : ordre des médecins, direction des hôpitaux
et un organisme dévaluation indépendant

Le comité de pilotage
est constitué de deux sous-comités : le comité fonctionnel
et le comité technique.
Une société indépendante,
ADSM, qui a réalisé lapplicatif de cryptage et denvoi,
participe au comité technique.
Le laboratoire Graphos,
du CNRS, intervient pour lévaluation du projet sur deux ans,
depuis lanalyse de lexistant jusquà lanalyse
des incidents sur la prise en charge du patient en milieu hospitalier
et en milieu libéral. Ils ne font pas partie du comité de pilotage,
cest en quelque sorte notre bureau Veritas.
Participent aujourdhui
au réseau près de 50 médecins, cinq services hospitaliers et deux
cliniques.
Comment sest
passé le financement du réseau ?
Nous avons eu un financement
de la part du CIHS, dans le cadre des dossiers " autoroutes
de linformation ", puis de la " fenêtre
télémédecine " du CIHS. Cela finançait la gestion du projet
et lorganisation de lévaluation. Les postes " matériel "
et " produit " ont été pris en charge directement
par le Centre Hospitalier, ainsi que les abonnements des premiers
médecins à Wanadoo.
Y
a-t-il des médecins câblés dans le groupe ?
Non, pas encore. Mais
jai rendez-vous prochainement avec le Câble, pour voir si
on pourrait connecter des médecins chez eux et, pourquoi pas, utiliser
le câble comme provider pour le Centre Hospitalier.
Lavis
de la CNIL pose que " lutilisation, par les médecins,
de ce réseau, ne doit pas les exonérer de transmettre selon les
voies habituelles les informations concernant les patients quils
suivent et, en particulier, le compte-rendu dhospitalisation ".
Cela signifie-t-il que le circuit papier " double "
le circuit électronique ?
Pour le moment, oui, la
CNIL ne nous laisse pas le choix sur ce point. En période dexpérimentation,
on ne peut pas aller contre cet avis.
Quel
est le système de cryptologie fourni par le SCSSI ? Est-il
envisagé de substituer CPS au système en vigueur ?
Deux précisions dabord.
Le SCSSI agrée les logiciels et possède les clefs de séquestre.
Le gros problème aujourdhui est dordre politique :
la CNIL stipule quaucun organisme détat, quel quil
soit, ne peut lire des données patient.
En ce qui concerne la
CPS, il sagit dun système de codage et de cryptage des
données au niveau de la carte. Mais en terme de communication, rien
nest prévu encore dans le RSS. La CPS ne vient donc quen
complément des programmes actuels. Ce que lon va mettre en
place début 98 sur 4 ou 5 postes, cest dutiliser la
carte au lieu de la clé comme mode didentification, mais les
données continueront dêtre cryptées selon le mode actuel (clé
RSA DSE). Cette intégration a déjà été développée et validée à Montpellier.
Aspects
informatiques
Quels
sont les flux dinformations échangés au sein du réseau ?
Après une longue phase
de test, les échanges ont vraiment débuté depuis septembre 97 mais
on nest pas encore dans un volume très important : il
y a un problème de culture et dhabitude à résoudre. Il faut
habituer les gens à envoyer les courriers par Télémédecine :
aujourdhui un quart des gens seulement lutilisent réellement.
Les informations passent
dans tous les sens : du médecin de ville à lhôpital,
de la ville à la ville et de lhôpital à lhôpital. Il
y a encore des problèmes techniques : alors que les échanges fonctionnent
très bien entre lhôpital et la ville, les échanges au sein
de lhôpital sont plus problématiques.
Comment
avez-vous résolu le problème de lautorisation denvoi
de données nominatives ?
Aujourdhui, la notion
dautorisation denvoi par le patient nexiste pas
dans notre système. La CNIL a imposé que les médecins affichent
dans leur cabinet une annonce prévenant les patients que leurs données
pourront être " transmises par voie électronique protégée
à lintention dun médecin susceptible de traiter vos
données médicales ". Mais on ne demande pas expressément
leur autorisation écrite.
Quelle
plate-forme serveur (matériel-logiciel) utilisez-vous pour la messagerie ?
Aujourdhui, la plate-forme
est une machine Sun, sous Unix, avec le SuitSpot Netscape, auquel
est accolé le Firewall One de Sun.
Quelle
plate-forme client (matériel-logiciel) utilisent les professionnels
de santé ?
Au niveau de lhôpital,
deux produits :
-
Netscape navigator
pour lIntranet,
-
Eudora version light,
pour le projet Télémédecine, qui est encapsulé dans un programme
Visual Basic qui gère le choix du fichier, lidentification
du professionnel, le choix du destinataire et le chaînage sur
Eudora.
Les médecins ont la même
application Visual Basic et bien sûr Netscape pour Internet.
Comment
sont gérées les fonctions de journalisation et daccusés de
réception ?
Aujourdhui, laccusé
de réception se fait simplement par réponse, par " reply ".
On va améliorer le système en cours, afin que le programme de cryptage
génère également un accusé de réception.
Comment les annuaires (patients/praticiens)
et les droits daccès/lecture/modification sont-ils gérés ?
Ils sont gérés directement
au Centre Hospitalier : nous attribuons le nom, ladresse
et la première clé privée, que le médecin peut ensuite modifier.
Les installations sont faites chez le médecin par un technicien
de lhôpital, qui fait également la formation à lemploi
du logiciel et assure le suivi et la maintenance, qui sont très
légers.
Les messages échangés peuvent-ils
être intégrés dans des logiciels médicaux ?
Pas encore malheureusement.
Cest une grande demande des médecins, à laquelle on peut difficilement
répondre, en raison de lhétérogénéité des matériels et des
applications logicielles. Pour linstant, il faut se contenter
de faire du " copier coller ". On a énormément
de problèmes avec les Power PC.
Les
messages sont-ils structurés et, si oui, de quelle façon ?
Non, ils ne sont pas structurés,
seulement cryptés. Les documents envoyés sont au format RTF, mais
ne sont pas définis selon une structure fixe.
Comment seffectue la
mise à jour des annuaires sur le client ?
Nous utilisons lannuaire
fourni par le logiciel de cryptage. Les mises à jour seffectuent
ainsi :
-
Je modifie depuis
mon poste lannuaire par un applicatif,
-
Je crée un nouveau
membre et je lui attribue une adresse et une clé,
-
Je communique dans
un premier temps lannuaire modifié au responsable bureautique
pour mettre à jour les postes de lhôpital
-
Enfin, nous diffusons
lannuaire directement en pièce jointe par courrier électronique,
via le réseau télémédecine.
-
Les utilisateurs nont
plus quà lancer la mise à jour, par un simple clic, puis
à vérifier si les nouveaux membres leur apparaissent bien.
Cette méthode de mise
à jour fonctionne très bien et très simplement ; nous navons
eu aucun problème sur ce point.
Aspects utilisateurs
(usages)
Comment
le système a-t-il été accueilli par les professionnels de santé?
Les médecins qui ont goûté
au système, qui en perçoivent lintérêt, et notamment la rapidité
de transmission de linformation, en sont pleinement satisfaits.
Un patient, qui, revenant de Lyon passe ici par le service dhématologie
où il suit une consultation. Le lendemain matin, il va voir son
médecin traitant, qui a déjà eu les résultats grâce au réseau télémédecine !
Comment les médecins expérimentateurs
ont-ils été recrutés ?
Lorsquen 1995 le
projet a été lancé, une brochure dinformation a été envoyée
à 120 médecins du bassin annécien, campagne relayée par lOrdre
et les syndicats. Beaucoup de médecins ont répondu quils étaient
intéressés et on a bien sûr retenu dabord ceux qui étaient
équipés, ceux qui avaient une configuration matérielle suffisante
pour se connecter à lInternet et échanger des informations
au sein du réseau, soit 20 % des médecins environ. Avec le plan
dinformatisation et la prime de 9 000 Francs, le nombre de
médecins équipés devrait croître fortement dans les mois qui viennent,
et létendue de notre réseau avec.
Quels sont les principaux problèmes
rencontrés (sécurité, formation, ingénierie, circuits mixtes, etc) ?
Aucun problème de sécurité.
Le principal problème
rencontré est celui de la formation des médecins. Nous allons donc
mettre en place un programme de formation dans trois domaines :
-
bureautique en premier
lieu,
-
cryptage, (utilisation
de lensemble du module)
-
et messagerie.
Les médecins sont très
demandeurs. Si nous devions mettre en place un autre réseau aujourdhui,
nous commencerions par faire une formation micro et bureautique
aux médecins recrutés dans le réseau.
Quels sont les principaux bénéfices
tirés du système (coordination des soins, données pour lévaluation,
meilleure communication PSH et PSL, etc) ?
Il est encore un peu tôt
pour répondre !
Mai 1998
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