Le « simulateur
de vol » des entreprises
Didier
Beaumelle
15 mars 2001
«Les
tableaux de bord purement financiers, ne prenant en compte que des
données issues de la comptabilité analytique, ne sont plus adaptés à
l’entreprise moderne». Fort de ce constat Robert Kaplan et David
Norton, deux chercheurs du Nolan Norton Institute ( l'unité
de recherche de KPMG) ont développé dans les années 90 le concept
de tableau de bord prospectif dans leur ouvrage « The Balance
Scorecard, Translating strategy into action ». Leur but est
de proposer des instrument de « mesure et de pilotage des entreprises
du futur » intégrant des données extracomptables. Il s’agit
donc de s’extraire d’une logique de court terme reposant uniquement
sur des indicateurs financiers.
Cela peut par exemple se révéler par une réduction des investissements
sur des nouvelles sources de croissance, ou en sous-estimant l’impact
d’une insatisfaction des client sur le moyen ou le long terme.
Dépassant
la simple dimension d’outil de mesure, le tableau de bord prospectif
a été développé en partenariat avec des grands groupes industriels
pour devenir un outil de pilotage complet de l’entreprise.
Le principe du balance scorecard ou tableau
de bord prospectif
Le
principe du balance scorecard ou tableau de bord prospectif
(TBP) est avant tout une méthode de construction de tableaux de
bord incluant non seulement les éléments financiers traditionnels,
mais également des indicateurs clefs de leur mise en œuvre.
Norton
et Kaplan ont identifié quatre étapes fondamentales dans le choix
et la mise en place du TBP :
La
formalisation la stratégie de l’entreprise
La
première étape de la mise en place d’un tableau de bord prospectif
consiste à formaliser la stratégie de l’entreprise. Il l importe
dans un second temps, de détailler les moyens de mise en œuvre
en traduisant la stratégie en objectifs opérationnels. Il importe
enfin de la faire connaître à l’ensemble des salariés.
Kaplan et Norton, citant des exemples issus de leur expérience des
entreprises, soulignent combien cette étape peut s’avérer délicate.
Elle révèle parfois des différences de point de vue ou d’appréciation
sur la stratégie de l’entreprise au sein même de l’équipe dirigeante.
En effet, au delà de la volonté commune de se développer et d’accroître
sa rentablilité, son PER (Price Earning Ratio) ou la valeur créée,
les membres de la direction partagent rarement la même vision du
chemin critique et de la stratégie à mener permettant de les atteindre.
Le
TBP doit ériger un « modèle » du fonctionnement de l’entreprise,
en établissant un certain nombre d’hypothèses autour d’indicateurs
clefs, afin de suivre l’évolution de l’adoption des objectifs fixés
et de vérifier que les différentes unités opérationnelles s s’inscrivent
dans la ligne directrice définie.
Voici
un exemple d’hypothèses :
« Une
meilleure formation des salariés pourra permettre d’améliorer la
qualité des processus, et de réduire la durée des cycles de production.
Moins de retard dans les livraisons seront constatés, les clients
seront plus satisfaits, donc plus fidèles. Ceci induira un meilleur
chiffre d’affaires, et donc un meilleur retour sur capital engagé »
Si
cet ensemble d’hypothèses est approuvé, les indicateurs clefs du
TBP pourront porter sur les éléments encadrés dans le diagramme
ci-dessous :
La
définition des indicateurs – descripteurs globaux et permettant
de visualiser les points-clefs de la stratégie.
La méthodologie
du tableau de bord prospectif nécessite d’intégrer des indicateurs
appartenant à quatre axes clef de l’entreprise :
-
L’axe financier
-
L’axe client
-
L’axe processus industriels
-
L’axe gestion de la connaissance
L’axe
financier
C’est
l’axe « traditionnel » constituant les tableaux de bord
de gestion. Les indicateurs choisis dépendent du cycle de vie du
marché ou des produits de l’entreprise. Sur un marché en expansion,
les indicateurs peuvent être le chiffre d’affaire global, sur un
segment de marché donné, sur une zone géographique donnée. Sur un
marché plus mature, des objectifs de rentabilité s’avèrent plus
pertinents. Le choix porte sur des résultats d’exploitation, des
marges brutes.
Des indicateurs
financiers plus stratégiques doivent également être pris en compte,
tels que :
- La croissance
et la diversification du chiffre d’affaires, marqueur de la conquête
de nouveaux clients,
- L’amélioration
de la productivité,
- La stratégie
d’utilisation de l’actif et d’investissement (réduction du besoin
en fonds de roulement, optimisation des flux de trésorerie).
L’axe
client
A
l’heure du Consumer Relationship Management (CRM), l’axe client
du TBP permet de définir une stratégie à son égard, et de construire
des marqueurs mettant en évidence l’évolution sur les segments de
marché sur lesquels l’entreprise souhaite se positionner. Des indicateurs
de performance sont alors déterminés ; fidélisation, part de
marché, satisfaction, conservation, rentabilité. Si la marque est
par exemple identifiée comme un positionnement stratégique, l’image
de marque pourra être intégrée au TBP.
Les
indicateurs proposés donnent des indications a posteriori.
Parallèlement au TBP, il importe naturellement de traduire la stratégie
sur le segment en une offre pertinente (positionnement prix par
exemple), ou la politique de relation client (qualité d’accueil
des client, ponctualité des livraisons…) intégrant les stratégies
des concurrents. Des indicateurs liés à l’offre pourront également
être intégrés dans le TBP .
L’axe
processus internes
Aux
yeux de Norton et Kaplan cet axe constitue le cœur de la philosophie
du TBP par opposition aux tableaux de bord classiques. Une fois
la stratégie posée, et l’offre produit structurée, les processus
internes vont être analysés afin d’en retirer des indicateurs pertinents.
Ils doivent intégrer l’ensemble des processus, allant de la mise
au point de nouveaux produits au service après vente, allant dépassant
en cela les indicateurs de productivité classiques.
Selon la stratégie
adoptée, les indicateurs peuvent être relatifs à des processus tels
que :
- La
mesure des résultats de l’activité de recherche développement,
- Le
développement de nouveaux produits,
- Les
processus de production (incluant les cycles d’approvisionnements,
la production, les contrôles qualité, le stockage…),
- Le
service après vente.
L’axe
gestion de la connaissance, ou apprentissage organisationnel
Norton
et Kaplan positionnent cet axe comme étant celui qui contient les
moyens et facteurs permettant d’améliorer les critères des trois
autres axes. Il doit refléter la motivation et la compétence des
salariés, mais aussi la qualité des procédures et du système d’information.
il est possible d’intégrer des indicateurs d’absentéisme, de turn-over
et de satisfaction globale des salariés.
Après
s’être posé la question de la pertinence d’ajouter de nouveaux axes,
les auteurs ont conclu que ceux-ci paraissaient suffisants. Mais
la question de leur mode de calcul et du temps de mise à disposition
par la structure se pose alors.
Calculer
les indicateurs
Deux cas sont
envisageables :
- L’indicateur
est accessible dans le système d’information de l’entreprise, ou
peut être facilement calculé par exemple par les ERP. Il est alors
vraisemblablement facilement accessible par une application informatique.
L’indicateurs est alors très facilement intégrable dans le TBP,
et peut être calculé dynamiquement.
-
L’indicateur n’existe pas dans le système d’information en tant
que tel, et sa mise à disposition est complexe (cas, par exemple
de calculs de retour sur investissement, de données agrégées issues
d’enquêtes auprès des salariés…). L’intégration de ces indicateurs
dans le TBP peut être manuelle (chaque item et périodiquement intégré
par un service études) ou automatisée par un développement spécifique
autour du datawarehouse de l’entreprise.
Mise
en perspective du TBP dans l’entreprise
Le
premier usage possible du TBP est d’être un outil de communication
de la stratégie. Chacun peut visualiser sa contribution à la performance
globale. Une relative transparence sur la diffusion des valeurs
des indicateurs est alors requise, cette politique étant en elle-même
une décision stratégique.
Dans
un second temps, dès lors que les indicateurs sont disponibles sur
plusieurs périodes, les hypothèses sur les liens de cause à effet
entre les indicateurs, ainsi que leur articulation avec les éléments
financiers pourront être confrontées à la réalité des données. Le
TBP pourra être affiné. Selon l’expression de Norton et Kaplan,
le TBP ne doit plus être comparé à un tableau de bord : il
devient un simulateur de vol.
Au
stade suivant, l’évolution des indicateurs peut aussi servir de
base d’objectifs aux managers. En effet, il devient possible de
calculer les valeurs cibles des indicateurs permettant d’atteindre
les objectifs financiers.
Le
TBP s’avère être davantage une démarche de réflexion qu’un projet
informatique. Il existe cependant des outils plus ou moins sophistiqués
de TBP sur le marché. Citons par exemple l’outil très simple de
dialogsoftware.com, ou celui très abouti de SAS. Le coût global
de l’acquisition d’un TBP dépend énormément de la structure de l’entreprise,
du temps de formalisation de la stratégie, et enfin de l’intégration
avec le système d’information de l’entreprise.
Avant
tout projet de la direction générale au regard de la réorganisation
qui découle bien souvent de la mise en place du TBP, la philosophie
de Norton et Kaplan peut donner lieu à des projets de plus petite
envergure, sur une seule unité opérationnelle par exemple.
L’expérience
qui en sera retirée pourra permettre d’avancer dans la décision
de la mise en œuvre d’un TBP global.
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