Interview
Dr
Hervé Laurent,
président de Biostat
" L'utilisation
d'Internet se banalise très vite, (...) remplir un cahier d'observations
sur Internet ressemble à la réservation d'un billet de train sur Minitel. "
18 octobre
1999
La société Biostat (www.biostat.fr)
édite des logiciels médicaux, en particulier Easyprat pour les médecins
généralistes, EasyCard pour les cardiologues et Pneumosoft en pneumologie.
Elle est également impliquée dans la mise en place d'essais cliniques
et dans le développement de réseaux de soins.
Biostat a récemment été racheté par le groupe international Parexel.
Quel est pour vous l'intérêt d'être intégré à ce groupe ?
Pour nous l'intérêt
de rejoindre Parexel est la dimension internationale quil
apporte à BIOSTAT. Nous sommes en train de développer nos produits
en Allemagne, en Espagne, en Angleterre, et nous travaillons d'une
autre manière. Les problèmes quotidiens sont restés les mêmes, que
ce soient les problèmes de management, ou de développement informatique,
mais ils prennent une autre dimension. Il est impossible aujourd'hui
de faire ce métier en restant franco-français, et l'acquisition
d'une dimension internationale était indispensable.
Et pour les CROs, quel est l'intérêt de se rapprocher des éditeurs
de logiciels ?
Le métier que nous
faisons n'existait pas chez Parexel. L'acquisition de Biostat leur
a permis d'étendre leur gamme d'offre de services à l'industrie
pharmaceutique. Parexel était intéressé par notre savoir faire en
phase IV à grande échelle, pour les grandes études épidémiologiques,
la création d'observatoires des pratiques médicales, et peut être
moins par notre savoir-faire informatique et par les logiciels médicaux.
Nous leur avons expliqué que pour nous, tout ceci formait un tout,
et que les essais de phase IV et l'informatique devaient un jour
se rejoindre.
Quand au rapprochement
des CROs avec les éditeurs de logiciels en général, franchement,
je pense que cela n'a pas d'intérêt majeur pour eux. Le logiciel
en tant que programme informatique n'est plus vraiment intéressant
aujourd'hui. Il devient de plus en plus banal, les technologies
sont de plus en plus simples. La valeur ajoutée du logiciel médical
n'est plus la technologie informatique, mais ce qu'on y met en terme
de valeur scientifique, d'outils de codage, d'outils de structuration
des données pour pouvoir faire de grandes études épidémiologiques
internationales.
Aujourd'hui beaucoup
de médecins nous ont déjà fait confiance et sont équipés avec nos
systèmes, nous allons en plus leur faire découvrir Internet, il
est probable que de nouveaux médecins viendront à linformatique
grâce à Internet. Dans ce domaine, les choses bougent énormément.
Hier, on pensait qu'il était important de faire un logiciel pour
recueillir de l'information, aujourd'hui on voit que si on veut
recueillir l'information de façon intelligente, on n'a pas forcément
besoin d'un logiciel médical au cabinet du médecin. La base de données
médicales au cabinet du médecin est importante pour l'aspect rétrospectif
de l'exploitation plutôt que pour l'aspect prospectif. Pour tous
les travaux prospectifs il suffit d'avoir une bonne interface avec
Internet, et il est possible de faire du très bon travail avec très
peu de formation. En revanche, si lon veut connaître l'historique
de milliers de patients suivis par un médecin, là effectivement
il lui faut un système de stockage performant. C'est intéressant
notamment dans le cadre de la recherche de patients pour les essais
cliniques de phase II et de phase III. Les médecins équipés d'un
bon système peuvent facilement savoir combien ils ont de patients
diabétiques avec plus de 2g de glycémie, qui pèsent plus de 90 kg
et qui ont telle pathologie associée.
Pour les CROs, le fait
que nous ayons des clients équipés de nos systèmes est un avantage,
mais les choses ne sont pas encore assez structurées et l'état de
formation des médecins n'est pas encore suffisant pour faire de
la collecte de données au quotidien dans des conditions performantes.
En moyenne 10% de nos médecins équipés recueillent toutes les données.
Les médecins de la SFMG par exemple ont des méthodes de recueil
structurées et travaillent tous de la même façon, avec des descriptifs
identiques. Mais les 90% de médecins restants utilisent le dossier
informatisé sans la rigueur nécessaire à la tenue d'une base de
données médicale. Ils ne recueillent pas les données de façon homogène
pour tous les patients et leur base n'est pas réellement exploitable.
Notre mission aujourd'hui
n'est donc pas encore terminée. Notre principale valeur ajoutée
dans les logiciels médicaux est que nous avons créé des liens avec
des sociétés savantes pour faire des glossaires et des thesaurus
dans chaque spécialité, qui soient reconnus par tous comme des outils
adaptés à la profession, et qui correspondent aux besoins quotidiens
des praticiens. A partir de ce vocabulaire commun, nous avons tous
les outils de transcodage vers la CIM10 ou les autres nomenclatures.
Le médecin doit continuer à recueillir les informations correspondant
à son vocabulaire et à sa culture, et les données qu'il a recueillies
doivent être transcodées ensuite vers les classifications internationales.
Les CROs sont conscients
que ce genre d'outil leur sera indispensable demain, mais aujourd'hui
ils ne les utilisent pas vraiment.
En tant qu'éditeur de logiciels, quel sera pour vous l'intérêt de
l'Internet ? Pensez-vous proposer des mises à jour en ligne,
informer vos clients des changements par e-mail ?
Tout cela est déjà
fait par l'intermédiaire de notre site Internet. Nous avons un site
FTP, nous sommes en train de développer un site investigateurs,
et nous développerons de plus en plus cette couche Internet dans
les mois à venir. C'est devenu pour nous un outil indispensable,
le moyen de communication le plus simple. L'Internet est pour nous,
éditeurs de logiciels, absolument fondamental.
Vous êtes impliqué dans la mise en place d'essais thérapeutiques.
Pensez-vous tester la méthode des essais en ligne ?
Non seulement jy
pense, mais je suis aussi en train de les tester, et je trouve cela
extrêmement intéressant. Nous avons nos premières demandes d'essais
cliniques en ligne à grande échelle. Autrefois, pour mettre en place
des essais, il fallait intégrer un questionnaire dans le logiciel
médical et former le médecin à l'utilisation de ce logiciel. Actuellement
avec Internet, il est possible de développer un cahier dobservation
en client-serveur et de faire se connecter tous les médecins, qu'ils
soient sur PC ou sur Macintosh. La seule obligation, c'est qu'ils
doivent avoir un ordinateur, un modem et une connexion Internet.
Les investigateurs potentiels n'ont pas besoin d'une formation importante.
Vous vous adressez donc en particulier aux médecins déjà équipés ?
C'est en train de
changer. Actuellement nous sommes en train de développer notre premier
prototype de cahier dobservation sur Internet, de façon à
pouvoir faire des essais cliniques internationaux. La distance disparaît.
Il suffit au médecin de mettre son mot de passe, d'entrer dans le
cahier dobservation et de déclarer sa langue, et il peut saisir
ses données. Bien sûr toutes les précautions concernant la sécurité
et le cryptage sont prises. C'est beaucoup plus facile que d'envoyer
des programmes avec un CD-ROM aux investigateurs. C'est une autre
dimension.
Bien entendu pour les
phases II et III, il faudra toujours organiser des réunions d'investigateurs
et des visites sur site, des formations, faire des tests du matériel
et de la connexion. Dans les autres types de recueil de données,
phases IV ou études épidémiologiques, observatoires des pratiques,
économie de la santé, il sera possible de se passer d'une formation
pointue et de visites sur site. De toutes façons, quand on travaille
avec 10 000 médecins, il est impossible de faire des formations
sur site. Donc nous développons des produits suffisamment ergonomiques
et simples pour que leur usage ne nécessite pas de formation. De
plus, dans ces études les cahiers d'observation utilisés sont très
simples et relativement courts.
Donc il faut bien distinguer
toutes les étude avant AMM, pour lesquelles le cahier dobservation
est complexe et les exigences de qualité majeures, et les études
post marketing ou d'observation. Les pré-requis, les enjeux et les
objectifs sont différents.
A votre avis, quels sont les avantages de la méthode "essais
en ligne" ?
Je ne vois que des
avantages à la méthode. Elle supprime toutes les étapes intermédiaires
de courrier et de double saisie. Le travail de l'ARC sera plus valorisant.
Les travaux de saisie et de contrôles de bases seront simplifiés.
Quelles sont les obstacles majeurs à sa mise en place ?
Je voyais beaucoup
d'obstacles il y a quelques mois ou quelques années. Mais aujourd'hui
les choses évoluent. Globalement, j'ai le sentiment qu'Internet
fait moins peur que l'informatique. L'utilisation d'Internet se
banalise très vite, et on a l'impression que remplir un cahier d'observations
sur Internet ressemble à la réservation d'un billet de train sur
Minitel. L'Internet fait moins peur que cette machine devant laquelle
on est seul et pour laquelle il faut toute une formation. L'usage
d'Internet va donc probablement favoriser l'usage de l'informatique.
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de l'interview
18 octobre 1999
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