La course folle,
Les généticiens parlent

Par Mathieu
Ozanam
10 juillet 2001
Les
ouvrages au sujet de la génétique et de la bioéthique
se multiplient, traduisant un intérêt accru du public
pour ces questions qui touchent au cur de la nature même
de l'homme.
Caroline Glorion, grand reporter à France 2, a rencontré
au cours d'une année onze généticiens de renom,
en Europe (Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne), mais aussi
au Brésil, en Chine et en Israël. L'ouvrage présente
autant de points de vue sur l'état des connaissances en génétique,
sur le champs des possibles qui s'ouvre et sur les questionnements
éthiques soulevés.
Loin du docteur Moreau et de son île, on y découvre
des scientifiques tout à la fois conscients de la fragilité
de leur discipline et du sentiment de puissance que les médias
et le grand public leur attribuent. Avec chacun la journaliste aborde
les mêmes sujets (clonage, brevetabilité des gènes,
Diagnostic Pré Implantatoire
) constituant une mosaïque
de témoignages.
La
méprise née de la publication du génome humain
La
publication des cartes du génome humain à laquelle
les médias ont donné un fort retentissement, a créé
un malentendu en laissant penser que c'était l'identité
même de l'homme à laquelle les scientifiques allaient
pouvoir accéder. Fort heureusement elle ne se réduit
pas à ses seules propriétés génétiques.
Nos molécules d'ADN sont très proches par exemple
de celles de la levure ou des bactéries, et nous partageons
90% de notre patrimoine génétique avec les singes.
Pour achever de s'en convaincre Marie-Claire King, professeur de
génétique et de médecine à l'université
de l'Etat de Washington, inversant un instant les rôles, interroge
Caroline Glorion. Ayant une sur jumelle, celle-ci vit de fait
avec un "clone" doté du même patrimoine génétique
qu'elle. Et pourtant, bien qu'ayant reçu la même éducation,
leur personnalité a évolué résolument
différemment. Ce qu'Arnold Munnich résume en une formule
: "nous sommes programmés, mais libres". Point
de déterminisme donc. La dignité humaine repose plus
sûrement dans les millions de milliards de connexions qui
s'établissent entre les neurones des cerveaux humains.
Si la question du clonage humain est l'objet de fantasmes et cristallise
les peurs de l'opinion face aux progrès supposés non
maîtrisés de la science, il semble pourtant exister
un consensus quasi mondial afin de ne pas mettre en pratique ce
mode de reproduction.
Le
mieux ennemi du bien
Les
potentialités offertes par la génétique permettent
d'envisager l'apparition d'une médecine prédictive.
La présence de gènes porteurs de la maladie chez les
patients seraient décelée avant même que celle-ci
n'apparaissent.
Rien ne serait pour autant résolu. Chen Zhu, hématologue
et patron du programme Hugo de séquençage du génome
explique la nature du dilemme qui se poserait. Si la maladie est
incurable, faut-il le faire savoir au patient qui se saurait condamné
à terme, sans rien pouvoir faire pour changer son état
?
Autre cas de conscience que soulève Axel Kahn : la réification
de l'être humain. Il craint une instrumentalisation du corps
féminin en cas de succès du clonage thérapeutique
et la production d'embryons à seule fin d'expérimentations.
Il dénonce dans cette perspective les circonvolutions verbales
de ceux qui préfèrent parler de "conceptus"
comme pour dissocier "l'être humain en devenir"
tel que le définissait la loi bioéthique de 1994 en
France, de l'objet d'étude scientifique.
Que
dire des craintes de dérives eugénistes à partir
du moment où l'on pourra plus facilement distinguer les qualités
constitutives de l'enfant à naître ? En Chine, la loi
de "protection de la mère et de l'enfant" impose
aujourd'hui aux futurs époux de se soumettre à des
tests afin d'évaluer si des anomalies génétiques
pourraient naître du fruit de leur union. Dans le cas où
les tests se révéleraient positifs, les candidats
au mariage doivent recourir à des moyens contraceptifs de
longue durée ou subir une opération assurant leur
stérilité.
En Israël où l'endogamie intra-ethnique est important,
les juifs orthodoxes qui souhaitent se marier se soumettent au dépistage
de la maladie de Tay-Sachs afin de s'assurer qu'ils ne sont pas
tous les deux porteurs de la mutation du gène responsable.
Au vue des résultats, le rabbin donne son autorisation ou
non. Face aux critiques dont leurs pays font l'objet, les deux généticiens
dénoncent une vision trop européo-centriste qui ne
tient pas compte de la culture propre à chaque pays.
Axel Kahn aurait-il raison quand il déclare que la science
donne "des outils d'une extraordinaire efficacité"
pour mener une politique eugéniste ? Il ajoute que c'est
oublier que ce problème est antérieur aux progrès
de la génétique, l'échographie peut d'ores
déjà permettre ces pratiques. Le chercheur français
appelle aussi à ne pas confondre les cas individuels de tel
ou tel couple face à son choix, et la mise en uvre
d'un système et d'une politique globale qui contrôleraient
une reproduction de masse.
Publié
aux jeunes éditions Les
arènes, fidèles à ses choix éditoriaux
engagés, la Course folle trouve son point d'orgue dans la
déclaration faite d'une seule voix par les onze chercheurs
dépassant leurs différences d'appréciation,
résume les principes communs auxquels ils adhèrent.
Face
aux progrès de la génétique, la "meilleure
garantie éthique" doit s'appuyer sur un triptyque :
- les lois, et la révision des lois bioéthiques
initialement prévue en juillet 1999 en France devraient
apporter prochainement quelques réponses
- la responsabilité des professionnels, et à lire
ces entretiens, on a envie de s'associer à Arnold Munnich
qui déclare avoir "une grande confiance dans la sagesse
des médecins généticiens"
- l'éducation du public, à laquelle un ouvrage
pédagogique telle que la Course folle contribue.
La
course folle, les généticiens parlent, Les Arènes, 2000, 128 FF.
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