FILIERES
ET RESEAUX DE SOINS
Le discours officiel d'installation de la
Commission Soubie
DISCOURS
DE M. BERNARD KOUCHNER
SECRETAIRE DETAT A LA SANTE
DEVANT LE CONSEIL D'ORIENTATION DES FILIERES
ET RESEAUX DE SOINS
PARIS Le 30/10/I997
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'installer aujourd'hui ce Conseil d'orientation
des filières et réseaux de soins et formule tous mes vux pour
la réussite du travail que vous allez accomplir.
Quil me soit permis de remercier
tout d'abord, au nom de Martine AUBRY et en mon
nom personnel, M. SOUBIE davoir bien voulu
assurer la présidence de cette instance. Jai conscience qu'il
s'agit d'une tâche exigeante et qui nécessite un regard prospectif
et imaginatif sur l'adaptation de notre système de santé, face aux
défis des temps qui viennent.
En effet, nous devons saisir l'occasion
d'explorer, à partir des besoins que les hommes et les femmes de
France ressentent sur le terrain, des réponses nouvelles qui tiennent
à une nouvelle conception de la prise en charge du malade et de
la maladie.
Cette commission est installée, à quelques
jours près, exactement un an après la nomination de son Président.
Force est de constater que nos prédécesseurs ont montré bien peu
dempressement à la mise en place de ce conseil dorientation
et donc au démarrage dexpérimentations de réseaux et de filières
de soins.
Permettez-moi, sans aucun esprit
polémique, de le noter et de minterroger. Etait-ce par peur
de linnovation ? Par crainte douvrir une fenêtre sur
la vie, sur le réel, sur l'avenir, dans un plan qui se caractérise
par la mise en place de structures techniques et administratives,
par une ouverture sur des expériences audacieuses qui pourraient
échapper à leur promoteur ? Etait-ce par peur de l'imagination,
par crainte de voir vaciller le conformisme médical ?
Dans le plan, annoncé le 15 novembre
1995, mis en musique par les ordonnances de 1996, et qui
définit des outils administratifs et techniques, l'article L. 162-31
qui prévoit des expérimentations, apparaît un peu comme une note
de fantaisie quand on voulait que tout soit réglé comme du papier
à musique.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire.
Il n'est pas question ici dautoriser des expérimentations
qui, de près ou de loin, remettraient en cause leurs principes de
solidarité, dégal accès aux soins, qui fondent notre système
de sécurité sociale.
Martine AUBRY et moi-même
ne tolérerons pas que des expérimentations remettent en cause l'universalité
et la solidarité sur lesquelles repose notre protection sociale,
ces valeurs qui protègent la dignité face aux souffrances du corps
et refusent l'exclusion des malades nécessiteux.
Pour le malade, comme pour le médecin,
mieux vaut être conventionné par une sécurité sociale rénovée que
contractuel d'une compagnie dassurances où la fraternité na
rien à faire dès lors que les plus pauvres en sont exclus.
Le principe intangible de notre système
de protection garant d'une so1idarité effective, demeure le refus
de la sélection des risques. Quiconque, quels que soient son origine,
son âge, ses antécédents, son mode de vie, est en droit de prétendre
au bénéfice d'une protection, qui, si elle doit être améliorée,
- je le répète - n'en constitue pas moins une solide garantie.
J'ai dit quil fallait expérimenter
mais il ne saurait être question d'autoriser, à mes yeux, des projets
qui, dans leur démarche, négligeraient cet aspect et opéreraient
un choix susceptible de mettre à mal ce principe cardinal de la
solidarité : tous les risques doivent être couverts par une protection
appropriée et efficace.
Le danger est grand, vous le savez,
cet obstacle franchi, de voir s'opérer un glissement subtil autant
que pernicieux vers une sélection par l'argent. Pour ceux qui ont
des moyens, il y aurait une protection fiable, totale, et rentable
pour l'opérateur. Pour les autres, plus démunis, moins favorisés,
mais aussi moins informés, une protection minimale, prémices d'une
protection "de seconde zone", finalement à l'opposé de
notre ambition de cohésion sociale.
Soyons clairs. Nous ne voulons pas
que les assurances privées se substituent à la sécurité sociale.
J'ai eu cette semaine l'occasion de le dire à lAssemblée Nationale.
Certains intérêts privés sont les premiers à souhaiter, consciemment
ou inconsciemment, que se maintiennent des déficits qui pourraient
signer la faillite de système.
D'où notre volonté d'assurer la pérennité
de la protection sociale à tous grâce au plan de redressement contenu
dans la loi de financement, actuellement discutée au Parlement.
Si la voie de l'expérimentation ne
doit pas conduire à une remise en cause des valeurs qui fondent
notre système d'assurance maladie, il convient cependant de ne pas
écarter laudace. Je vous demande même d'être subversifs. N'hésitons
pas à sortir des sentiers battus pour mettre en place des expérimentations
dès lors - et c'est le critère essentiel de jugement des projets
qui vous seront soumis - qu'elles se font dans lintérêt des
malades et surtout, en amont, de la santé publique.
La nature des besoins et des soins
évolue et les moyens des prises en charge doivent évoluer parallèlement.
Mettre le malade au cur de nos
préoccupations conduit inéluctablement à lui offrir un bouquet de
services coordonnés, et donc à construire un réseau autour du malade,
réseau qui doit réunir les acteurs de la médecine ambulatoire et
hospitalière, bien sûr, mais également du secteur médico-social.
Ces services doivent lui être offerts par lensemble des professions
de santé, qui doivent toutes participer aux expérimentations.
Il nous faut en effet inventer des
prestations adaptées à des besoins qui évoluent. Le système de soins
offre aujourd'hui davantage une panoplie de prestations quil
ne répond à des besoins qui ont changé et deviennent plus complexes
car ils associent le sanitaire et le social, la prévention et le
soin, l'ambulatoire et les établissements de santé. En outre, les
pathologies évoluent, de nouvelles maladies apparaissent, et les
réponses doivent évoluer de même, à la fois à l'hôpital et dans
le secteur libéral : ainsi l'épidémie de SIDA, combien funeste,
a plus fait évoluer les structures de soins et les mentalités que.
tous les plans de réforme de la sécurité sociale.
Dans ce cadre, il appartiendra aux
promoteurs de projets de définir le périmètre du service rendu et
de proposer le type de rémunération qui concilie au service rendu
son juste paiement.
C'est dans cet esprit que nous avons
approuvé l'option conventionnelle, qui confie au médecin référent
un rôle de pivot et des missions de santé publique et innove en
introduisant un mode de rémunération différent à coté du paiement
à l'acte.
Ce cadre expérimental devra permettre
également de briser des tabous relatifs à la rémunération des professionnels
et notamment d'explorer des alternatives totales ou partielles du
paiement à l'acte, d'augmenter le degré d'implication des professionnels
dans la gestion économique du système, de mesurer l'aptitude des
professionnels à une gestion collective du soin et de l'information
médicale, et enfin d'instaurer une démarche de qualité assortie
d'un cahier des charges garantissant le respect de procédures de
soins appropriées et de références de bonne pratique, et d'une évaluation
du service rendu.
Il est en effet nécessaire de trouver
des formes de prise en charge qui rémunèrent mieux une prestation
qui aura été préalablement mieux calibrée, une prestation qui au
lieu de s'ajuster à un niveau d'activité des professionnels, résulte
d'un niveau de besoin : pour cela, il faut en effet s'interroger
sur le parcours du patient dans notre système de soins : doit-il
y faire son marché ou doit-il être guidé par un professionnel pour
bénéficier du type de prestation strictement nécessaire?
Il faut aussi sinterroger
sur 1'évolution du type de financement de prestations qui correspondent
à des besoins nouveaux : jusqu'où peut-on aller tout en préservant
la qualité des soins? Quel peut être le rôle de la médecine libérale
dans des modes de traitement des pathologies au long cours à domicile
?
J'en viens à la notion de réseau
Le mot en est presque aujourd'hui galvaudé. Tout est réseau. Moi,
jy crois. Je pense effectivement, à partir du moment où l'on
définit cette notion avec rigueur et exigence, quil ne sagit
pas simplement d'un habillage, d'un effet de mode, qu'il y a dans
la constitution de réseaux centrés sur les malades, des perspectives
qui peuvent profondément modifier notre système de santé et contribuer
à remédier à certains de ses vices.
Quels sont-i1 ?
- la médecine éc1atée entre prévention
et soins, entre médecins et professionnels para-médicaux, entre
hospitaliers et libéraux, entre généralistes et spécialistes ;
- la médecine cloisonnée où chacun,
sûr de lui, défend sans relâche sa propre citadelle ;
- la médecine hyperspécia1isée qui
voit chaque jour fleurir de nouvelles spécialités et compétences,
réservées à des spécialistes, découpant le malade en rondelles
infinies ;
- mais aussi les redondances, les
gâchis, les doublons qui prennent leur origine dans ce cloisonnement
permanent.
A l'inverse les réseaux que
nous appelons de nos vux doivent réunir l'ensemble des professionnels
de santé, leur formation doit être volontaire et spontanée, traduisant
l'appétit de tous les professionnels de concourir à la santé publique.
Nous souhaitons également que soient
proposées des expérimentations permettant de casser la barrière
entre le secteur médical et le secteur médico-social. Nous avons
la volonté d'aller dans ce sens, je vous l'ai déjà dit. C'est pourquoi
nous avons demandé au comité de pilotage des SROSS d'intégrer le
médico-social dans le SROSS. Mais là aussi, il faut que vous soyez
innovant, que vous prépariez l'organisation de la santé de demain.
Nous n'attendons pas seulement de vous
des avis sur les projets qui vous seront proposés mais que vous
suscitiez des projets novateurs sur les priorités de santé publique
du Gouvernement.
C'est pourquoi, je vous demande en
particulier de traiter deux thèmes dont je souhaite que vous men
rendiez compte d'ici la fin de l'année prochaine : le maintien des
personnes âgées à domicile et les soins palliatifs et la lutte contre
la douleur.
La tâche qui vous revient est inédite
: il vous appartient de vous prononcer sur des projets qui contiendront,
en germe, la santé de demain. Votre éclairage sera examiné avec
la plus grande attention. Le conseil sera dailleurs informé
du déroulement des expérimentations retenues et des conclusions
d'étapes qu'elles auront permis de dégager.
Les techniques évoluent et font évoluer
les pratiques. Les attentes des assurés évoluent aussi. J'en appelle
à notre souci commun de déve1opper des pratiques plus économiques,
d'offrir des prestations cohérentes et ainsi de contribuer à adapter
notre outil de production de soins à la réalité des besoins des
patients.
Je vous souhaite bon travail.
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