Les
réseaux de soins en cancérologie
Demi - succès ou demi - échec ?
David
BEME
15 mars
2000
Suite
et fin (3/3)
Les réseaux de soins en cancérologie
: une circulaire et des expériences contrastées
Visant
à guider l'élaboration des SROS de deuxième génération, la circulaire
du 24 mars 1998 décrit les étapes de la mise en place des réseaux
de soins en cancérologie. Les sept points qu'elle aborde ont servi
de cadre juridique et de voie à suivre pour les structures informelles
qui existaient déjà.
"
Les bonnes pratiques en cancérologie préconisent la pluridisciplinarité
de la prise en charge du malade cancéreux. Par nature complexe,
le traitement de cette pathologie relève de nombreuses disciplines
qui ne doivent plus statuer séparément mais être mises en uvre
globalement et de manière complémentaire. Cette approche pluridisciplinaire
doit intervenir dès le début de la prise en charge du malade. Il
convient de substituer une communication fluide et des actions concertées
à des informations fragmentées. "
Ces
considérations extraites du mémoire de troisième cycle de Management
Général Senior du Jean-Vilhem Glud, directeur Général de l'Hôpital
de Neuenberg intitulé " De la prise en charge du malade
cancéreux à la stratégie fondamentale d'un hôpital de proximité
" (cf.
mémoire complet en ligne) sont les mêmes que celle qui semblent
avoir animé les concepteurs de la circulaire DGS/DH n°98/213 du
24 mars 1998.
L'organisation
des réseaux de soins en cancérologie en sept points
Suite
à la Conférence Nationale de la Santé qui avait défini l'organisation
des soins en cancérologie comme une des priorités, les principes
de la mise en place de ces réseaux font l'objet de cette circulaire.
Ce texte visait à guider la rédaction des SROS de seconde génération,
étape initiale à toute mise en uvre. La promotion de "
la nécessaire pluridisciplinarité des traitements ", la garantie
pour tous à" une égalité d'accès à des soins de qualité "
et l'assurance de " la gradation, la coordination et la continuité
des soins par la constitution de réseaux de soins" s'articulent
en sept points :
1-
Les principes d'organisation distinguent la phase de définition
des stratégies diagnostiques et thérapeutiques (qui relève de la
concertation pluridisciplinaire) de la phase de mise en uvre
thérapeutique (qui relève d'une structure ou d'un praticien).
2-
La stratégie pluridisciplinaire implique que quel que soit le site
de prise en charge du patient, si ce site adhère au réseau, l'adhésion
au schéma d'ensemble élaboré par un groupe de travail pluridisciplinaire
et certifié par écrit lui permet d'inscrire sa démarche dans le
fonctionnement en réseau.
3-
La définition des structures de soins en cancérologie est graduée
selon une classification allant des structures de soins de référence
aux structures orientées en cancérologie. Des établissements de
proximité peuvent également participer à la prise en charge. Cette
gradation repose sur différents critères parmi lesquels la spécialisation
exclusive ou non en cancérologie, la présence permanente ou non
de spécialistes en oncologie ou de médecins compétents en cancérologie,
le plateau technique, l'existence de services et d'unités d'oncologie
médicale, d'oncologie radiothérapique, le flux de patients traités
et suivis par année, la mise en pratique des règles de bon usage,
de procédures, de recommandations scientifiques faisant l'objet
de consensus validés et la participation à une évaluation régulière.
4-
Les pré-requis concernant les alternatives à l'hospitalisation sont
décrits pour les structures d'alternatives à l'hospitalisation et
le traitement à domicile.
5-
Les moyens de lutte contre la douleur et les soins palliatifs doivent
être mis en uvre systématiquement dans toutes les structures
de soins classiques, alternative ou à domicile.
6-
Les relations entre les structures doivent passer par la rédaction
de protocoles communs et la coordination de la prise en charge du
patient, la définition et la réalisation des évaluations de leurs
activités, la mise en place de moyens de communication moderne permettant
une consultation rapide du dossier médical du patient et peuvent
inclure une assistance matérielle, la mise en commun d'informations
et de bases documentaires en cancérologie et la mise à disposition
de moyens spécifiques de communication afin d'accéder au dossier
médical commun. La constitution de ces réseaux diffère du statut
des réseaux informels déjà en place. Ils doivent " correspondre
aux objectifs du SROS, (
) être formalisés (conventions), gradués
et en relation expresse avec au moins un site de référence afin
d'assurer, dans toutes les situations, une filière continue pour
le patient. Ils doivent aussi présenter assez de souplesse pour
que le patient puisse exercer son droit de libre choix. Enfin, ces
réseaux devront, pour répondre aux termes de la loi, se placer sous
l'égide des établissements de santé et devront se soumettre à l'agrément
de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation. " Enfin, si les
réseaux sont constitués autour de la prise en charge hospitalière,
ils devront néanmoins tisser des liens avec les médecins libéraux
et les services médico-sociaux.
7-
Les bonnes pratiques cliniques et les référentiels existants devront
être validés par l'Agence Nationale d'Accréditation et d'Evaluation
en Santé (ANAES).
L'initiative de cette demande d'accréditation est laissée à l'établissement
mais tous, à terme, devront s'engager dans une telle démarche.
ANAES
Le
souci de fédérer les moyens de lutte contre le cancer et de substituer
à une logique concurrentielle une logique de complémentarité ne
date pas d'hier. Suite à d'anciennes critiques de l'Inspection Générale
des Affaires Sociales (IGAS), la FNCLCC avait réagi en lançant dès
1992 deux projets: Données médicales, économiques et sociales (DOMES),
et Standards Options et Recommandations (SOR).
DOMES
doit permettre au personnel de savoir ce qui se passe dans les autres
centres et de comparer les activités de chacun, afin de devenir
un instrument de pilotage et d'analyse stratégique. C'est sur l'initiative
des Médecins des Centres de Lutte Contre le Cancer (CRLCC), qui
ont souhaité décrire leurs travaux et homogénéiser la prise en charge
des patients que fut créé le projet SOR. Avec l'aide de l'Agence
National d'Accréditation et d'Evaluation en Santé (ANAES) et de
la FNCLCC, ce guide des bonnes pratiques regroupe cancer par cancer
les conseils des experts en cancérologie. Ouverte aux experts du
secteur public et privé, son élaboration permit de concentrer les
efforts et les connaissances de plus de 1000 médecins. Plus de 10
000 pages papiers abordent actuellement près des deux tiers des
tumeurs cancéreuses. Actuellement sous la forme de CD-roms, une
version en ligne est à l'étude, elle permettrait une mise à jour
instantanée. En cours d'élaboration, une version visant à promouvoir
et vulgariser des pratiques médicales très techniques permettrait
aux patients un accès privilégié à l'information.
A
travers létude des différents réseaux de soins en cancérologie,
on peut souligner la similitude des objectifs (accès aux soins de
proximité et de qualité, élimination les cloisonnements médecine
généraliste/médecine spécialisée, public/privé, ville/hôpital, élaboration
d'un guide des bonnes pratiques, approche pluridisciplinaire dès
la prise en charge du patient
) définis déjà dans la circulaire
du 24 mars 1998 et surtout l'importance de la mise en place d'un
système d'information permettant la consultation par les membres
du réseau du dossier médical du patient. Cet objectif est même parfois
antérieur à la demande d'agrément auprès de l'ARH, il constitue
la concrétisation même de ce fonctionnement en réseau. Les possibilités
adoptées (Intranet et/ou Internet) varient ensuite selon la démarche
adoptée.
Chaque
projet prévoit la mise en place de critère d'évaluation afin de
juger de l'efficacité de son fonctionnement et de son influence
sur la lutte contre le cancer. Cependant quelques améliorations
semblent souhaitées par l'ensemble des réseaux.
L'avenir des réseaux
Il
est rapidement apparu que le fonctionnement en réseau était la clé
de la réorganisation du système de soins et le meilleur moyen d'assurer
une prise en charge optimale du patient. Concernant une pathologie
qui préconise une approche pluridisciplinaire dès les premiers stades
de la prise en charge et qui met en jeu des acteurs du monde de
la santé ainsi que du volet social et psychologique, ce choix s'était
imposé de lui-même (la plupart du temps) avant l'institutionnalisation
officielle de ces pratiques.
Clarification
du cadre juridique
Souffrant
initialement de l'absence d'un cadre juridique, ces structures informelles
ont su profiter de la reconnaissance que leur apportaient les ordonnances
de 1996 et de mars 1998. Ainsi il s'agit plus de structurer et de
coordonner les bonnes volontés que de convaincre les acteurs de
la prise en charge du patient cancéreux de l'utilité de travailler
ensemble, de substituer une logique de complémentarité à une logique
fragmentée (héritée d'une conception cartésienne) voire concurrentielle
(propre au système libéral).
Aujourd'hui,
les textes régissant le fonctionnement des réseaux sont nombreux,
trop peut-être... Du moins, le cadre juridique a-t-il besoin d'être
clarifié pour les acteurs du réseau comme pour ceux chargés de les
évaluer; " les membres de ce réseau, lui-même membre de la
coordination nationale des réseaux (CNR), pensent qu'il est temps
d'inscrire ce type de fonctionnement dans une véritable politique
nationale de santé et de clarifier le cadre réglementaire (il existe
aujourd'hui 22 textes relatifs aux réseaux) pour les acteurs du
réseau mais aussi pour ceux chargés de les évaluer et les financer.
", déclare à ce sujet le Docteur Fadila Farsi, coordinateur
du réseau ONCORA.
La
" juxtaposition " de structures nationales et régionales
(Commission Soubie, ARH et URCAM) doit également être éclaircie.
L'agrément de la Commission Soubie pourrait être limité aux réseaux
ayant une vocation nationale ou faisant intervenir un financeur
privé. Pour les autres, les procédures d'évaluation et d'agrément
pourraient être maintenues à une structure régionale unique (ARH
ou ARH et URCAM), qui disposerait d'une enveloppe transversale permettant
de subvenir au frais de mise en service ou d'animation des réseaux.
Le déblocage d'une enveloppe spécifique ou la globalisation des
cinq enveloppes de financements actuelles, plus héritées de l'histoire
administrative de la santé apparaît comme évidente. A ce sujet le
Dr Fadila Farsi déclarait : " Notre avis est que la pratique
en réseau apportant un " décloisonnement " entre professionnels
de santé, il est souhaitable qu'il en soit de même entre les différents
financeurs potentiels avec l'introduction de la notion de "
guichet unique " pour l'évaluation et l'agrément des dossiers
réseaux. " (lire
l'interview du Dr Farsi)
La
plupart du temps, l'agrément par le directeur de l'ARH ne crée pas
de toutes pièces un réseau de soins en cancérologie; le plus souvent,
il reconnaît le travail et l'utilité d'une structure déjà existante.
Enfin, le statut juridique de la structure coordonnant le réseau
reste flou : établissement hospitalier (au risque de cantonner le
réseau au monde hospitalier), association ou GIP...
Vers
un label de qualité ?
La
volonté de dispenser des soins de proximité soulève d'autres difficultés.
Dans un premier temps, la disparité géographique concernant la richesse
de l'offre de soins entraînera dans la définition des SROS des investissements
préalables pour rétablir certains équilibres. D'autre part, la délégation
de certaines phases de traitement à des établissements de proximité
peut se révéler difficilement compatible avec leurs budgets, compte-tenu
du prix de certains médicaments.
Afin
de tisser de nombreux liens entre l'hôpital et la ville (le médecin
généraliste est le plus souvent le premier acteur de la prise en
charge du patient), il serait souhaitable que l'adhésion à ces réseaux
puisse apparaître comme un label de qualité, soulignant l'approche
pluridisciplinaire propre à cette pathologie, l'assurance d'une
orientation avisée du patient au sein du réseau, la concertation,
la complémentarité et la qualité des membres du réseau.
La
généralisation de tels réseaux permettrait également une meilleure
récolte des données sur la fréquence de cette pathologie auprès
des Registres du Cancer dont les principales sources sont actuellement
les certificats de décès. Ainsi les études sur l'épidémiologie des
cancers ne souffriraient plus des limites que l'on connaît (cf.
le cancer : ennemi de santé publique numéro un ").
Une
importance toute particulière est apportée à la constitution du
système d'information, véritable nud de chacun des réseaux.
Les limites techniques au partage d'un dossier médical unique par
patient (confidentialité des données, intranet et/ou internet, accès
hiérarchisé, accès du patient à son dossier...) devraient rapidement
être résolues grâce à une meilleure concertation entre promoteurs
de réseau et industriels et au progrès très rapide des Nouvelles
Technologies de l'Information.
Enfin,
il sera bientôt possible de juger de l'efficacité du mode de fonctionnement
en réseau pour la prise en charge du cancer grâce à l'étude des
critères d'évaluation définis dans le projet médical de chacun d'eux.
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