Interview
du professeur Bader
La santé en plan(s)
7 février
2000
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"J'essaie
de déboulonner dans ce livre un certain nombre d'idées
qui ont cours actuellement (
) elles arrangent ceux
qui estiment que la hausse des dépenses est uniquement
de la responsabilité des professionnels de santé et des
laboratoires ."
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Dans son dernier ouvrage,
La santé en plan(s), publié aux Editions de santé, Jean-Pierre Bader
prend le contre-pied des idées reçues régulièrement avancées pour
expliquer la hausse des dépenses de santé.
Il revient pour nous sur les principales questions développées dans
son livre.
La santé et notamment la hausse des dépenses de santé ont
fait coulé beaucoup d'encre. Vous avez décidé d'ajouter votre pierre
à l'édifice. Pourquoi ?
Je m'en suis expliqué
dans le livre. Le problème de la hausse des dépenses de santé est
devenu un thème d'actualité récurrent. Les interprétations données
par les décideurs aux échelons gouvernementaux me paraissaient mériter
réflexion, car je trouvais que beaucoup des explications données
à cette augmentation des dépenses n'étaient pas correctes.
La hausse des dépenses
de santé est inéluctable selon vous, notamment dans les pays développés.
Pourquoi ?
Elle
est inéluctable dans tous les pays du monde. Les dépenses de santé
dans les pays pauvres devraient augmenter encore plus que les nôtres
mais la grande pauvreté, la grande misère font qu'elles n'augmentent
pas. Dans les pays riches, la hausse des dépenses repose sur le
progrès des techniques médicales et des soins. De plus, il existe
un autre facteur fondamental qui est le vieillissement de la population.
Or, comme les personnes âgées consomment infiniment plus que les
adultes, on s'achemine vers une situation où ces dépenses vont croître
de manière sûrement permanente.
En outre, plus on soigne
les gens, plus on conçoit de thérapeutiques curatives, atténuatives
ou préventives, plus on leur permet d'atteindre un grand âge. Il
y aura dans les prochaines années des milliers de centenaires. Or,
les personnes âgées sont de grands consommateurs de soins. A 40
ans, on a deux pathologies, à 60 ans on en a quatre, à 70 ans
et plus on en a sept. Nous sommes donc en face d'un "paradoxe
sanitaire" : plus nous augmentons la durée de vie de la
population, plus nous augmentons sa consommation globale de
soins !
Vous pourfendez un grand nombre
d'idées reçues dans ce livre. Pourquoi ont-elles autant la vie dure ?
J'essaie de déboulonner
dans ce livre un certain nombre d'idées qui ont cours actuellement telles
que : " le progrès n'est pas tellement considérable ",
" le vieillissement ne joue pas un si grand rôle ",
" faisons une médecine moins couteûse en condamnant tous
les gaspillages ". Ces idées sont fausses. Elles ont la
vie dure, car elles arrangent ceux qui estiment que la hausse des
dépenses est uniquement de la responsabilité des professionnels
de santé et des laboratoires pharmaceutiques. Il y a clairement
une volonté de faire " porter le chapeau " aux
professionnels de santé alors que la hausse des dépenses est un
phénomène inéluctable.
La formule "On vous dit que"
revient souvent. Qui se cache derrière le "On" ?
Personne ne se cache.
Je crois que c'est complètement ouvert. Lisez les discours des ministres,
de tous partis, des discours de Alain Juppé jusqu'à ceux de l'actuel
ministre de la santé. Ce discours est également tenu par les responsables
des Caisses de Sécurité sociale. Lisez ce qui est repris par la
majorité des médias. C'est ce que j'appelle dans mon livre la politique
du bouc émissaire : on fait porter la responsabilité exclusive
aux professionnels de santé.
Le
gaspillage, c'est-à-dire la surconsommation de biens de santé, est
souvent invoqué pour expliquer la hausse continue des dépenses.
Selon vous, ce n'est pas aussi simple. Pourquoi ?
l est
certain que le système de soins français est un système ouvert,
assez laxiste et correspond à une sorte d'âge d'or de la médecine.
Il faut certainement lutter contre la surconsommation et les gaspillages,
mais n'oublions pas qu'à côté des surconsommations, il existe une
quantité fantastique de sous-consommations : malades non diagnostiqués,
soins palliatifs totalement insuffisants, etc. Il faut faire l'équilibre
entre les gaspillages qui certes existent et les sous-consommations
dont on parle beaucoup moins.
Suite
de l'interview (2/3)

7 février 2000
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