Le
paradoxe du placebo
Gaëlle
LAYANI
1er
octobre 1998
Placebo
domino in regione vivorum
Psaume 116:9
PLACEBO,
s.m. (en lat. je plairai) [angl. placebo]. Préparations pharmaceutiques
(pilules, cachets, potions, etc.) dépourvues de tout principe actif
et ne contenant que des produits inertes.
Dictionnaire
des termes de médecine
Garnier Delamare
Curieux
phénomène que le placebo. Bien que dénué de tout effet pharmacologique,
il soulage certaines affections comportant parfois une part psychosomatique,
telles que lasthme, lulcère ou la migraine. De même,
il peut modifier le rythme cardiaque ou respiratoire, voire élever
ou abaisser la tension artérielle. A linstar des médicaments,
il peut également engendrer des effets secondaires. Cest le
fameux effet nocebo (" Sensation désagréable ressentie
par un sujet qui a absorbé une préparation pharmaceutique inerte,
dépourvue de tout principe actif, ou contenant un médicament qui
ne peut, théoriquement, produire une telle impression. "
Dictionnaire des termes de médecine, Garnier Delamare).
Le
placebo a mauvaise réputation. Etymologiquement, le terme " placebo "
signifie " je plairai " en latin. Il ouvre le
psaume 116 :9 chanté aux vêpres des morts. Daprès Anne
Harrington, professeur dhistoire des sciences à Harvard, le
terme devrait sa connotation péjorative au mépris affiché à légard
des individus payés pour dire des " Placebos "
lors des enterrements au Moyen Âge.
De
nos jours, cette connotation perdure bien que leffet placebo
soit largement utilisé par la recherche thérapeutique.
Un phénomène bien
établi
Des mécanismes daction mystérieux
Le mal-aimé de la pharmacopée
Ethique et placebo
Un
phénomène bien établi
Les
études sur leffet placebo ne se comptent plus. Walter A. Brown,
de lUniversité
de médecine de Boston (Massachusetts) rapporte de nombreuses
expériences dans un article intitulé The
power of Placebo.
Dans
une étude
évaluant lefficacité du propanolol sur la mortalité de patients
ayant survécu à un infarctus du myocarde, le taux de mortalité des
sujets sous placebo variait en fonction de la régularité des prises :
il était deux fois supérieur pour les sujets prenant irrégulièrement
leur placebo. De même, une récente étude a montré que le risque
de rechute était moins important chez les schizophrènes sous placebo
que chez ceux ne recevant aucun traitement. Une autre étude portant
sur des asthmatiques a produit des résultats pour le moins étonnants.
Persuadés quils inhalaient un allergène (de leau salée
en réalité), les patients présentaient tous les symptômes dune
obstruction des voies respiratoires. En revanche, lorsquon
leur affirmait que la solution saline était un médicament contre
lasthme, ces symptômes disparaissaient.
Dans
un ouvrage intitulé Le mystère du placebo, Patrick Lemoine,
médecin psychiatre, cité
par Claire Vognier sur le site de Radio France International, estime
à 30 % en moyenne les taux de patients sensibles à leffet
placebo. Néanmoins, plusieurs facteurs sont susceptibles de faire
varier ce chiffre : " laffection visée, la
présentation du placebo, la personnalité du prescripteur et celle
du malade ". Daprès le Dr Lemoine, tout un chacun
peut être " dupé " par leffet placebo,
même les animaux !
Irving Kirsch, professeur de psychologie à lUniversité
du Connecticut, a obtenu des résultats bien plus importants
au cours dune étude
parue le 26 juin 1998 dans Prevention
and Treatment. Après avoir examiné 19 études en double aveugle
portant sur divers antidépresseurs et un total de 2318 patients,
il est parvenu à la conclusion que seuls 25 % des réponses
pouvaient être attribués aux effets des médicaments.
Daprès
C. Racinet, leffet placebo présente un caractère dose-dépendant
qui peut être cumulatif et entraîner une dépendance. Les tentatives
visant à dresser le portrait de lindividu " placebo-répondeur "
ont abouti à des résultats contradictoires " rendant difficile
toute prédictabilité ". La sensibilité à leffet
placebo semble varier en fonction des circonstances. Sil peut
se manifester dans toutes sortes détats pathologiques, " son
importance est dautant plus grande que la maladie est moins
sérieuse et que leffet pharmacologique propre est plus faible ".
En outre, une étude
publiée en 1997 sur lhypertrophie bénigne de la prostate,
portant sur 613 patients à qui lon avait administré du finastéride
ou un placebo pendant deux ans, a montré que leffet placebo
pouvait se prolonger au-delà de cette période.
Des mécanismes daction mystérieux
Walter
Brown explique que le succès des médecines douces repose largement
sur leffet placebo. Les patients se montrent souvent méfiants
à légard de la technologie médicale et quelques idées reçues
perdurent : les substances naturelles sont meilleures que les
produits de synthèse ; le pouvoir dauto-guérison du corps
est souvent suffisant ; certaines forces " mystérieuses "
provoquent maladies ou guérisons
De plus, précise-t-il, les
médecines alternatives réunissent dautres éléments qui contribuent
à leffet placebo : symboles et rituels de guérison, examen
approfondi, enthousiasme et implication du " soignant ",
encouragement, attention, regard positif et forte espérance en lamélioration
de son état de santé. M. Brown cite également Jerome Frank, médecin
et psychothérapeute, pour qui leffet placebo partage un certain
nombre de caractéristiques avec les psychothérapies : un patient
en pleine détresse, un expert, une explication et un rituel de guérison.
En plaçant le patient dans une situation dattente de guérison,
ces caractéristiques préparent le terrain à la survenue de leffet
placebo. Lindividu qui espère une amélioration de son état
a plus de chances que son attente se concrétise. Brown cite à titre
dexemple une étude britannique récemment réalisée sur des
patients se plaignant de maux physiques non identifiés. Ces derniers
ont été divisés en deux groupes : un groupe de patients à qui
lon expliquait quaucune maladie sérieuse navait
été détectée et quils se sentiraient rapidement mieux et un
autre groupe qui ne recevait aucune explication claire quant à la
cause de leurs troubles. Deux semaines plus tard, 64 % des
sujets du premier groupe ne souffraient plus daucun symptômes
contre 34 % pour le second. Ce phénomène influe également sur
les effets des véritables médicaments. Ainsi, la prise dun
broncho-dilatateur est bien plus efficace lorsque lon promet
à patient asthmatique un réel soulagement de ses difficultés respiratoires.
Le
conditionnement semble occuper une place importante dans les vertus
thérapeutiques du placebo. Les malades qui ont ressenti un soulagement
après avoir pris un comprimé précis peuvent inconsciemment associer
ce soulagement à telle ou telle caractéristique du médicament (forme,
couleur, contexte de la prise, etc.).
Walter
Brown explique également quun placebo a plus de chance de
soulager une migraine si le patient a pris la veille deux comprimés
de codéïne au lieu dun anti-migraineux pour enfant.
Pour
autant, les placebos peuvent-ils combattre la maladie aussi bien
que la douleur ? Il na pas été démontré que les placebos
puissent influencer lévolution dun cancer ou dune
infection bactérienne. Toutefois, comme le rappelle Walter Brown,
la détresse psychologique agit sur le système immunitaire en affectant
la sécrétion de glucocorticoïdes et dautres hormones qui jouent
un rôle clé dans la résistance à la maladie. On peut donc imaginer
que le placebo, en diminuant le stress du patient, renforce son
système immunitaire et contribue ainsi à lamélioration de
son état.
Si
plusieurs hypothèses ont été avancées sur le fonctionnement de leffet
placebo, le mystère demeure. Comment expliquer que la conviction
dun patient à qui lon administre un broncho-dilatateur
engendre effectivement une dilatation des bronches ? Certes,
on sait désormais que les substances qui bloquent les récepteurs
opiacés bloquent également leffet analgésique du placebo.
Dans certaines circonstances, leffet placebo sexpliquerait
donc par la stimulation de lactivité des endorphines. Toutefois,
les mécanismes neurologiques précis à lorigine de leffet
placebo restent encore inexpliqués.
La
qualité de la relation patient-médecin joue également un rôle prépondérant.
Daprès le Dr Racinet, " la croyance du médecin
en lefficacité de son traitement et la confiance du patient
à son égard agissent synergétiquement lun sur lautre ".
Celui qui donne le médicament agit sur leffet placebo. Le
Dr Lemoine, cité par Claire Vognier, mentionne une étude sur lulcère
gastrique où un même placebo avait été administré soit par un médecin
soit par une infirmière. Le pourcentage de résultats positifs sélevaient
à 70 % pour le groupe " médecin " contre
25 % seulement pour le groupe " infirmière ".
De même, lentourage du malade nest pas sans influer
sur sa réaction : des différences ont été constatées selon
que le patient est hospitalisé ou traité en ambulatoire. Lapparence
du produit nest pas anodine non plus comme la parfaitement
compris lindustrie pharmaceutique. Dans lesprit du patient,
la taille dune gélule ou dun comprimé peut être proportionnelle
à sa prétendue efficacité. Les gélules de tranquillisants sont souvent
vertes, couleur aux vertus prétendument apaisantes et le bleu rassurerait
lanxieux
Le mal-aimé de la pharmacopée
Force
est de constater que leffet placebo a mauvaise presse. Tout
est mis en uvre pour annihiler son influence et non pas pour
étudier ses mécanismes, constate Dimitri Viza, directeur du laboratoire
dimmunobiologie de la faculté de médecine des Saint-Pères,
dans un article intitulé From
Placebo to Homeopathy: The Fear of the Irrational. Selon lui,
le paradoxe du placebo illustre la " paranoïa schizophrène
de la médecine daujourdhui ". Le placebo étant
souvent associé aux maladies psychosomatiques, donc à de " fausses "
maladies, son administration est synonyme de tromperie, voire de
charlatanerie, même si létat du patient saméliore. " La
logique médicale moderne ", poursuit Dimitri Viza, " préfère
les traitements inefficaces aux traitements incompréhensibles ".
Leffet placebo de lhoméopathie, déplore-t-il, nest
pas exploité comme tel bien que près du tiers de la population française
y ait recours. Lamélioration, même psychosomatique, de létat
dun patient justifie selon lui que lon manifeste moins
dostracisme à légard de lhoméopathie.
Leffet
placebo fait cependant désormais partie intégrante des études destinées
à évaluer lefficacité des molécules. Lessai simple verum
(substance censée contenir un ou plusieurs principes actifs) contre
placebo permet de distinguer lactivité pharmacologique propre
du verum après allocation aléatoire des sujets dans un groupe " verum "
et un groupe " placebo ". Une autre méthodologie
consiste à comparer deux substances actives à un placebo. On parle
alors de comparaison à un témoin positif (lune des substance
active) et à un témoin négatif (le placebo). Enfin, lors dun
essai en double aveugle ou double insu, ni les malades ni les soignants
ne savent qui reçoit la substance testée ou le placebo, les deux
produits étant présentés de façon identique. Toutefois, les essais
en simple ou double aveugle présentent certaines faiblesses. Lampleur
de leffet lui-même est souvent difficile à déterminer. En
effet, comment distinguer les résultats qui relèvent de ladministration
du placebo de ceux liés à la rémission de la maladie ? Sauf
à constituer un groupe de patients témoin ne recevant aucun traitement,
il nest pas possible de répondre à cette question. Autre difficulté,
le sujet peut deviner quil a reçu une substance pharmacologiquement
active daprès les effets secondaires quil ressent. Lindividu
persuadé quon lui administre une telle substance est alors
bien plus sensible à leffet placebo. La solution serait de
prescrire un placebo impur (médicament possédant une réelle efficacité
mais prescrit dans des situations où cette efficacité nest
pas prouvée, C. Carinet). présentant des effets secondaires identiques
à ceux du produit testé. Toutefois, cela équivaut à délibérément
rendre malades des patients à leur insu
Ethique et placebo
Lutilisation
des placebos à des fins thérapeutiques ou de recherche soulève des
problèmes éthiques. Les médecins peuvent-ils délibérément prescrire
des produits dont ils savent quils sont dépourvus de toute
valeur thérapeutique intrinsèque ? Dire la vérité (la gélule
ne contient que du sucre) et écarter tout espoir damélioration,
ou " mentir ", donc tromper son patient ?.
Daprès Walter Brown, les médecins doivent avant tout considérer
les placebos comme " des traitements largement efficaces
dont les mécanismes daction ne sont pas encore complètement
compris et qui tendent à être plus utiles pour certaines affections
que pour dautres ". La décision de prescrire un
placebo doit reposer sur la mise en balance des bienfaits et des
risques notamment si on prescrit un placebo impur.
Il
va de soi que toutes les maladies ne peuvent être " traitées "
par placebo. Les problèmes comportant souvent une part psychosomatique
(douleurs dorsales, anxiété, insomnie, maux de tête ou allergies)
et les maladies chroniques (arthrite, par exemple) ou bénignes (rhume)
sont dautant plus concernés que la non administration dun
traitement " classique " naccroît pas
le risque de décès.
En
revanche, ladministration de placebos dans le cadre détudes
sur des maladies potentiellement mortelles a engendré de graves
polémiques Outre-Atlantique. Dans un article (Ethical
Debate on Placebo Use May Prompt New Trial Designs), Steve Bunk
fait état dune controverse à propos dessais relatifs
à la prévention de la transmission périnatale du VIH au cours desquels
des placebos étaient administrés à des femmes enceintes séropositives,
alors même quun traitement efficace, lAZT, est disponible.
En
France, le
Comité consultatif national dEthique pour les Sciences de
la Vie et de la Santé a émis le 9 février 1993 un avis
sur lutilisation de placebo dans les essais thérapeutiques
dantidépresseurs. Linclusion de patients dépressifs
dans un essai avec placebo est strictement encadrée. Sont écartés
de lessai les patients présentant des " syndromes
dépressifs dont la gravité ou les antécédents nécessitent le recours
à une technique éprouvée telle que la sismothérapie d'emblée ou
la perfusion d'antidépresseurs en raison de l'urgence, voire du
danger vital (suicide ou atteinte de l'état général). Il paraît
aussi nécessaire de ne pas inclure dans de telles études des patients
ayant fait preuve, dans le passé, d'une très bonne sensibilité à
un antidépresseur connu et très bien toléré. ". De même,
le rapport précise que : " Une solution classique
est d'exclure des essais contre placebo des sujets "à haut
risque" suicidaire. ".
Les
essais qui se contentent de comparer deux traitements actifs écartent
les problèmes éthiques précédemment évoqués (notamment ladministration
à des malades de produits dont on sait quils nont aucune
vertu thérapeutique), mais la Food
and Drug Administration tend à déplorer leur manque de rigueur
méthodologique. Lemploi de placebos dans la recherche ne semble
donc pas devoir être supplanté de sitôt.
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octobre 1998
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