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RISQUE ET POLITIQUE DE SANTÉ

Jean de KERVASDOUE
La santé intouchable

La notion de risque a profondément évolué au cours des derniers siècles. A l'origine, ce terme était utilisé essentiellement dans les jeux de hasard d'une part et dans les calculs assurantiels d'autre part.

Il renvoyait exclusivement à la notion de probabilité. Un bateau avait telle chance d'arriver à bon port avec sa cargaison, son assureur prenait un risque évaluable et faisait payer à l'armateur une prime en conséquence. En jouant à la roulette sur les rouges et les noirs plutôt que sur un numéro plein le "risque" était moindre.

Aujourd'hui, risque veut dire danger, danger à venir d'autant plus lourd que les conséquences sont potentiellement plus dramatiques, même si la probabilité que l'événement se produise est infiniment faible. Et il n'est plus question de parler d'incertitude sous peine de paraître politiquement irresponsable.

Cette perception est amplifiée par les comportements des média. La simplification est la règle, la dramatisation une nécessité, la clarté un impératif. Il n'y a pas de perspectives historiques et les présentations oscillent entre la dramatisation pour faire passer le message et l'analyse objective pour ne pas être contredit. Il est vain de répondre qu'un médicament est parfois dangereux quand un journaliste vous demande si son usage est sans risque. La notion de risque relatif est incommunicable, comme l'a démontré la loi EVIN sur la protection des non-fumeurs des inhalations passives (1) de fumée de tabac.

Nos sociétés qui acceptaient la fatalité n'acceptent plus le risque c'est-à-dire le danger qui provient des autres. L'on veut une garantie tout risque par essence impossible à offrir d'abord parce que la vie est une affaire qui se termine mal pour 100% d'entre-nous, ensuite parce que l'on ne vit pas que pour vivre et que si on accepte de prendre des risques, on ne tolère pas ceux qui proviennent des autres qu'il s'agisse d'individus ou d'institutions.

Quant au système social, nous hésitons entre la recherche de plus grands espaces de liberté et la nécessaire protection. Nous prenons des risques en allant en voiture, en pratiquant un sport, en travaillant, en mangeant, en buvant, en ayant des rapports sexuels en nous faisant soigner. Cette importance récente qu'à pris la notion de risque est d'autant plus paradoxale que si les statistiques de mortalité et de morbidité veulent dire quelque chose nous en prenons beaucoup moins que ceux qui nous ont précédé sur cette planète. Le nombre d'accidents a plus que diminué de moitié en un siècle quelles que soient les formes d'accidents. L'espérance de vie a cru de près de 50%, etc..

Mais l'on découvre que la médecine étant efficace est aussi par essence dangereuse. Alors qu'il fallait démontrer jusqu'à une date récente qu'il y avait eu une faute lourde pour bénéficier d'une indemnisation, l'arrêt Gomez du Conseil d'Etat du 21 décembre instaure la notion de "responsabilité sans fautes" et l'arrêt Bianchi du 9 avril 1993 donne de fait droit à réparation quel que soit le niveau de faute des équipes soignantes.

En outre, le fonds d'indemnisation, créé fin 1991, pour indemniser les victimes de l'affaire du sang contaminé aurait conduit à un versement de plus de 3,6 milliards (2) (1.6 milliard provenant des assureurs et 2 milliards de l'Etat).

D'où l'idée de créer un fonds spécifique pour indemniser les victimes d'accident thérapeutique. On accepte donc les bénéfices de la médecine mais plus les risques qu'elle fait courir. C'est un puits sans fonds qui s'ouvre : car comment déterminer qu'il y a eu "accident".

Qui gérera ce fonds ? Si ce sont les compagnies d'assurance, elles n'auront la possibilité que de plaider et/ou de payer, déresponsabilisant ainsi les établissements hospitaliers ou les autres acteurs de santé, les compagnies d'assurance n'ayant par nature pas de rôle direct dans la gestion de la qualité des soins à moins que cette intervention ne lui en confère désormais la responsabilité. Si c'est l'Etat ou la Sécurité Sociale cela augmentera encore les prélèvements obligatoires mais pourrait conduire à mettre en place des procédures de gestion de la qualité !

L'enjeu dépasse donc un simple habillage financier et renvoie à la notion de risque tant individuel que collectif et à l'exercice quotidien de toute vie professionnelle ou institutionnelle qui prend nécessairement en compte les risques sans pouvoir toujours tous les garantir. Il appartient au politique de définir les différents niveaux de responsabilité et la nature même de cette responsabilité même si, comme nous le montrerons, le sujet se complique encore par des variations individuelles dans la perception des risques. Nous prendrons ensuite à titre d'illustration deux exemples.

Le premier exemple traitera de la contamination de certains lots de sang par le virus du sida : l'affaire du sang contaminé ! Le but de cet exemple sera de montrer comment la notion de risque aura évolué au cours de cette affaire et comment nous étions et malheureusement sommes toujours mal armés pour des raisons structurelles à traiter des problèmes de cette complexité.

Le second exemple concerne l'hôpital. Il y sera montré qu'entre la responsabilité des médecins et des chefs de service d'une part et la responsabilité de l'institution d'autre part il n'y a pas à l'heure actuelle de système opérationnel de gestion des établissements hospitaliers qui permettent de couvrir le risque médical dans toute son acception. Ceci est en partie dû au fait que l'Etat se réserve un certain nombre de prérogatives et interfère dans la gestion des hôpitaux.

Perception individuelle du risque

Les Gaulois craignaient que le ciel ne leur tombât sur la tête. La collision d'objets célestes et de notre planète est toujours possible, les dommages potentiels considérables, la probabilité que cet événement se produise est, heureusement, infinitésimale. Il en est ainsi de beaucoup de craintes de nos contemporains dans l'évaluation des risques (3).

La perception du risque n'est pas la même pour tous. Il suffit d'ailleurs de constater qu'un certain nombre de décisions à connotation écologique comme celles qui ont conduit à l'interdiction du tétraéthyle de plomb dans l'essence, ou il y a longtemps, à bannir l'usage du D.D.T. comme pesticide, sont des décisions qui n'avaient pas à l'époque de fondement scientifique sérieux (3). C'est ainsi qu'en 1972 Merlin Duval, Secrétaire du HEW, le Ministre des Affaires Sociales américaines, écrit "il n'y a à ce jour aucune preuve solide que l'empoisonnement par le plomb des humains puisse remonter en tant que tel à la présence de plomb dans l'essence".

La position des écologistes à l'égard de la production d'énergie nucléaire ne résiste pas non plus à l'analyse des faits ; que l'on prenne pour critère : la santé des producteurs ou des utilisateurs de cette énergie, elle est et a été en nombre d'accidents humains la moins dangereuse de toutes et a causé en France depuis 30 ans, moins d'accidents que l'industrie du bâtiment en un mois * !
* A l'évidence, cette remarque ne s'applique pas aux pays de l'Europe de l'Est.

Nos contemporains surévaluent la plupart d'entre eux : pollution chimique, risque nucléaire, empoisonnement alimentaire. Ils en sous-évaluent d'autres, comme celui de la transmission des maladies par contacts sexuels.

Philosophie politique et rôle des assurances

Pour ce qui est de la perception du risque, le clivage nouveau n'est pas d'ordre économique ou social. Il vient d'une conception du risque individuel ou collectif créée par la complexité des sociétés contemporaines. Car si les risques individuels encourus sont en baisse dans pratiquement tous les domaines, le risque potentiel lié à l'utilisation techniques ou à la dépendance aux technologies est fort. Les français vivent de plus en plus vieux et pourtant leurs craintes augmentent.

Il y a cinquante ans, nos sociétés étaient composées de cellules indépendantes, utilisant des sources d'énergie et de travail non mécanisées. Elle sont aujourd'hui complexes et fragiles et le risque potentiel collectif que nous encourons chaque jour est à la mesure de cette organisation qui nous fait bénéficier et dépendre de ce qu'il est convenu d'appeler le progrès technique.

Les comportements de chacun à l'égard des risques individuels et collectifs ne sont pas les mêmes. L'étude de Wildavsky et Mate (4) est très intéressante à cet égard même si la transposition des résultats d'une culture à l'autre doit être faite avec la plus grande prudence.

Voici en quelques mots ce dont il s'agit.

De nombreux travaux ont montré que la perception des risques technologiques, des risques sociaux, des risques militaires variaient fortement d'un individu à l'autre. Ces variations ne sont pas expliquées par des différences de personnalités au sens psychologique du terme ni non plus par le niveau d'éducation ou même de connaissance technique du risque concerné mais par les philosophies politiques qui les sous-tendent.

Pour la conception des risques, ces philosophies politiques sont regroupées en trois grandes catégories pertinentes :

  1. les "individualistes", libéraux tenant du marché, qui n'aiment pas la déviance sociale et craignent tout évènement extérieur pouvant nuire aux échanges entre individus et notamment les guerres. Ils considèrent que la technique est bonne et les ressources de la terre sans limite. Tout est assurable pourvu que l'on paye le prix du risque encouru.

  2. les "hiérarchistes" qui bannissent la déviance sociale, respectent les institutions et les experts qu'elles ont reconnu. Ils acceptent le progrès technique s'il ne remet pas en cause l'ordre social. Chacun prend des risques, la société n'en reconnaît que certains.

  3. les "égalitariens" qui rejettent toute hiérarchie, sont moins sensibles à la déviance sociale que les deux autres catégories mais craignent la technique et ses conséquences sociales. Ils y voient l'expression de la volonté de puissance des grandes institutions. L'indemnisation devra compenser les erreurs, les abus, les dysfonctionnements, la faute est rejetée sur les institutions.

Outre le fait que les risques perçus sont très différents des risques réels, notamment chez les égalitariens, il est surprenant de constater que même quand les spécialistes informent les intéressés des véritables risques leur perception ne change pas nécessairement. Ce ne sont pas les "faits" qui convainquent ceux qui doutent mais de savoir si des entreprises ou le gouvernement qui le promeuvent peuvent être jugés dignes de foi!... Il en est ainsi de l'irradiation des fruits et légumes pour mieux les conserver : cette méthode aussi efficace que sans danger est rejetée par certains même lorsque l'on leur apporte la preuve scientifique de l'innocuité. Ils ne la croient pas. La notion du risque n'est donc pas la même pour tous mais, sous-tendus par la conception générale de l'organisation sociale, les systèmes d'indemnisation ou d'assurance en dépendent étroitement.

Risque social : le drame de la transfusion

Le drame des hémophiles et son contrepoint ; le scandale de la transfusion sanguine avec ses nombreux acteurs, sont un révélateur sensible et profond des questions nouvelles que pose le progrès technique à nos sociétés contemporaines et donne un autre éclairage sur la notion de risque. La France est particulièrement mal armée pour y répondre. Essayons d'en tirer la leçon.

Certes, nous nous en serions passés. La peine des porteurs de cette maladie héréditaire et de leur famille est difficile à imaginer quand elle n'est pas vécue. L'attention de tous les instants, les précautions infinies à prendre chaque jour, la dégradation progressive du malade, la médication permanente étaient déjà une très lourde charge. La menace de mort par contamination par le virus du SIDA devient inacceptable.

Si la fatalité du destin l'était, les conséquences néfastes de l'intervention humaine pour leur permettre une vie presque normale ne le sont plus. Quoi de plus naturel alors que de rechercher des coupables, du fonctionnaire aux hommes politiques, cibles particulièrement faciles dans cette période trouble ?

Mais tout cela paraît bien simple même si la justice avec ses moyens a dit et dira le moment venu les responsabilités de chacun. Nos sociétés n'acceptent plus le risque même quand celui-ci est lié à une incertitude.

Mais revenons aux hémophiles. Au début des années 1980 apparaît un traitement préventif de l'hémophilie qui permet une prise en charge préventive de cette maladie. Il provient pour l'essentiel de l'extraction d'un facteur coagulant le facteur VIII à partir du sang des donneurs.

Pour fabriquer une dose de facteur, il faut traiter 5 000 doses unitaires, sachant qu'à l'occasion d'un prélèvement moyen on extrait de 0,25 litres à 0,35 litres de sang.

Ce procédé requiert donc d'importantes quantités de sang et coûte cher, très cher, dans certains cas. Le coût moyen d'un traitement annuel varie de 1,2 à 1,7 millions de Francs. En 1985, le Directeur des Hôpitaux, le Directeur de la Sécurité Sociale et le Directeur du Budget ont débattu du cas d'un hémophile qui avait coûté, en 7 mois de traitement, 16 millions de Francs uniquement en produits sanguins ! chiffre considérable si on le compare, par exemple, à la vaccination contre l'hépatite B qui pour l'ensemble de la population française concernée coûte 150 millions de Francs par an. Ils ont décidé de continuer sa prise en charge. Réponse évidente me direz-vous. Elle ne l'est que dans très peu de pays au Monde.

En Grande-Bretagne on ne prend pas en charge de nouveaux malades dialysés quand ils ont plus de soixante dix ans. L'Etat de l'OREGON vient de décider de ne plus rembourser les greffes de moelle pour les personnes de plus de 65 ans etc...

Notre système de solidarité a fonctionné et fonctionne même quand il s'agit non pas de vie et de mort immédiate, mais de changement significatif dans le confort de vie des personnes concernées.

Les hémophiles ont craint, malgré toute l'assurance du contraire, que ce bénéfice ne leur soit retiré. Ceci va expliquer pourquoi une diminution sensible même temporaire de l'approvisionnement en facteur VIII sera jugée comme inacceptable, par les intéressés : le bénéfice est connu, le risque de la contamination par le virus du SIDA est encore perçu comme incertain : "les risques encourus par les hémophiles anti LAV positifs de développer un SIDA ou une de ses formes cliniques semblent faibles, et les facteurs favorisants sont encore mal connus. Il ne faut donc pas s'inquiéter inutilement d'une séropositivité au LAV" (Association Française des Hémophiles - 25 Juin 1985, recommandation à tous les adhérents). Tous les avis d'experts à l'époque vont dans le même sens, les citer serait fastidieux. Il faut donc constater qu'à de rares exceptions, ils se sont trompés.

Certes, certains "illuminés" de l'époque comme le Professeur Willy ROZENBAUM se qualifie lui-même, ont signalé ce risque dès 1982.

Ils n'ont pas été entendus. Parce qu'ils ne pouvaient pas le chiffrer : incertitude, mais aussi parce qu'ils n'avaient pas la légitimité d'aujourd'hui, Monsieur ROZENBAUM n'était pas Professeur, Monsieur MONTAGNIER pas le chercheur le plus connu de l'Institut Pasteur.

Il faut attendre début 1985 pour que le Professeur MONTAGNIER estime qu'il y a une grande probabilité pour que le chauffage des produits sanguins soit efficace. C'est-à-dire que le produit soit détruit et le virus toujours actif. Certes, on peut aussi admirer aujourd'hui la perspicacité du Docteur Jean-Baptiste BRUNET, épidémiologiste à la Direction Générale de la Santé, qui indiqua dès Novembre 1984 que le chauffage des dérivés sanguins inactivait le virus, mais c'est mal connaître le processus de décision que de choisir a posteriori une voix parmi d'autres, même s'il s'avère aujourd'hui que c'était celle qu'il fallait entendre.

On parle encore au début de 1985 de probabilité donc encore d'incertitude.

Il faudra convaincre, discuter, donc attendre, car nous y reviendrons, le Ministère n'a pas son propre système d'expertise.

Quand l'évidence sera claire, conforté par les autres experts européens, Laurent FABIUS, Premier Ministre, tranchera rapidement dans le vif contre l'avis de beaucoup de Conseillers et surprendra les experts qui trouvaient que plus de 100 millions de francs c'était cher pour se garantir d'un risque encore incertain.

La presse de l'époque s'en fait d'ailleurs l'écho! "C'est bien la première fois dans l'histoire de la médecine qu'une maladie infectieuse nouvelle est aussi rapidement diagnostiquée, identifiée, contrecarrée "(Anne-Marie CASTERET - Le Matin - 1er Août 1985). "Le 1er Août, la décision officielle de dépistage des donneurs de sang a fortement sensibilisé l'opinion. Exagérément. Toute irremplaçable qu'elle soit, la transfusion sanguine a toujours comporté des risques infectieux notamment l'hépatite B et le paludisme, qui ont probablement entraîné plus de morts que le SIDA" (Josette ROUSSELET-BLANC - le Figaro-Magasine - 12 octobre 1985).

Comment analyser les réactions désespérées et inadaptées du Professeur ROUX dont on ne peut nier ni le dévouement, ni l'éthique quand il était Directeur Général de la Santé ? Pourquoi des responsables départementaux de transfusion ont-ils continué à prescrire des produits non chauffés ? On peut douter de leur niveau d'information, pas de leur éthique.

Il reste néanmoins que les français transfusés ont été contaminés dans des proportions bien supérieures à celles d'autres pays ayant plus tardé que nous à introduire le dépistage du sang et la distribution de produits chauffés. L'explication de ce triste phénomène est simple : en 1983, la Direction Générale de la Santé fait parvenir une circulaire aux Centres de Transfusion Sanguine analogue à celle qu'envoyèrent à l'époque ses homologues européens.

Elle recommandait d'éviter que le sang des populations à risque soit utilisé. Les anglais écriront à tous les donneurs de sang du Royaume-Uni pour expliquer le pourquoi de cette directive et interrogeront tous les nouveaux donneurs pour déceler un risque potentiel. Rien de tel ne fut fait en France. En outre on continuera à collecter du sang dans les prisons jusqu'à la fin des années 80 et trouvera comme premier moyen de dépistage du virus du SIDA non pas le remboursement du test mais le fait d'aller donner son sang. En effet, à l'époque le test n'était pas gratuit sauf à l'occasion d'un don !... Les raisons des écarts entre France et Angleterre sont alors expliquées.

La France est un pays où la gestion du système de santé reste incantatoire (5). On rédige des circulaires et on fait l'hypothèse qu'elles sont appliquées.

Nous sommes peut-être (faudrait-il dire "nous étions"?) étrangers au raisonnement épidémiologique. Peut-être, aussi, étions-nous pris par la notion de pureté de sang, produit "naturel" s'il en est et prisonniers inconscients d'un raisonnement écologique.

La responsabilité est donc systémique et culturelle. Responsabilité de ne pas avoir appliqué les instructions, responsabilité de ne pas les avoir contrôlées. C'est aujourd'hui bien facile à dire, mais nous sortons en France difficilement d'un paradigme technique et avons du mal à imaginer les composantes sociales et culturelles de toute pratique médicale surtout lorsqu'elle touche de si nombreux acteurs et des intérêts considérables.

La création d'un fonds d'indemnisation dans le cas des hémophiles transfusés semble plus justifiée mais évite aussi de douloureux examens de conscience surtout quand il touche directement l'appareil d'Etat.

Cette critique ciblée vient du fait qu'un homme politique et un fonctionnaire ont mauvaise presse quelque soit leur qualité. Par contre, les scientifiques jouissent d'une grande aura dans l'opinion. Les premiers seraient partisans, les seconds aux ordres, les troisièmes indépendants.

Pourtant le conflit GALLO-MONTAGNIER montre qu'au prestige des découvertes pour le bienfait de l'humanité s'associe de plus en plus des enjeux économiques considérables. La science n'a plus la pureté d'antan. On peut le regretter, c'est un fait et les Etats-Unis montrent chaque jour comment on peut utiliser des procédures administratives, des normes scientifiques et techniques pour favoriser l'industrie nationale. Ces considérations n'ont pu jouer un rôle, si ce fut effectivement le cas, que parce que les conséquences d'un tel retard étaient incertaines et les problèmes évoqués que partiellement, (la question du chauffage et de l'écoulement des stocks ne fut pas évoquée en réunion à Matignon) seul le test systématique des dons de sang le fut.

En outre, nos concitoyens ne comprennent pas comment s'organise un débat scientifique, que la majorité d'une communauté scientifique puisse minimiser un problème voire même l'ignorer pendant plusieurs mois, voire des années : ce sont les chercheurs qui choisissent leur thème de recherche. L'Etat n'a qu'un rôle incitatif. Ce fut le cas. Les "illuminés" sont devenus des sommités. Il aura fallu du temps.

Le Ministère de la Santé n'a pas d'expertise propre. Il dépend de l'expertise des entreprises qu'il est chargé de contrôler pour bâtir sa propre politique, situation paradoxale et dangereuse. Il a donc dépendu du CNTS, de l'Institut Pasteur, des Hôpitaux pour avoir des avis.

Certes, il y a des Comités consultatifs mais leurs membres ne sont pas rémunérés pour cette tâche et sont plus souvent choisis pour les Institutions qu'ils représentent que pour leur compétence, même si dans le cas du SIDA il a, en 1982 puis en 1987, favorisé le développement d'expertise indépendante.

Cette anomalie grave a été signalée à maintes reprises y compris dans le rapport de la Commission des Affaires Sociales du Xème Plan. Il y est écrit, peut-on être plus clair ? que "l'Etat est discrédité". La responsabilité des politiques est là. La gauche comme la droite sont à renvoyer dos à dos. Tant qu'un Ministre passera plus de temps à régler des affaires catégorielles qu'à penser à organiser la politique de santé, des affaires comme celle-là se reproduiront. Les dépenses de santé et donc les charges sociales s'envoleront, les acteurs seront insatisfaits et l'on aura des médecins et des infirmières dans la rue.

En outre, on ne saura pas si la qualité des soins est partout garantie comme elle devrait l'être. Le rapport du Professeur STEG sur les urgences hospitalières l'a montré. Mais on pourrait aussi évoquer : le traitement du problème difficile des infections hospitalières, la diffusion plutôt freinée qu'encouragée de techniques chirurgicales non invasives, la diffusion lente de nouvelles formes d'hospitalisation comme l'hospitalisation de jour, etc.

Ce n'est pas que ces problèmes n'aient pas été évoqués par les uns ou par les autres mais du discours à la pratique il y a les moyens, des hommes et les procédures, c'est à dire la réalité de la mise en œuvre d'une politique et son contrôle. La multiplication des agences : Agence de l'Evaluation, Agence du Médicament, n'aura un effet que si la masse critique est atteinte Le Haut Comité de la Santé Publique a également peu de moyens par rapport à la lourdeur de ses missions.

Quand un Premier Ministre m'a demandé combien coûteraient les recommandations du Xème Plan, je lui ai répondu : à peu près 10% de la grève des infirmières, soit 350 millions de francs ce qui représente 0,6% de l'ensemble des dépenses de santé.

Rien encore n'a été fait car les moyens du Ministère sont financés par l'Etat et non par la sécurité sociale. Aucune décision, proposition du Ministère de la Santé n'est prise sans contre signature de la Direction du Budget. Les Ministres s'intéressent peu aux questions d'intendance et ils passent trop peu de temps à leur poste pour saisir la mesure du problème dont ils ont la responsabilité et quand ils la saisissent ils sont partis.

Risque organisationnel : l'Hôpital

Entre l'individu, sa perception du risque et le système politique, il y a bien entendu de nombreuses institutions. C'est en particulier le cas de l'hôpital. On peut aujourd'hui se demander si la structure organisationnelle de cette institution permet une bonne gestion du risque, sachant que par ailleurs il doit continuer d'exister la responsabilité civile pour risque professionnel d'une part et des systèmes d'indemnisation pour aléa thérapeutique d'autre part.

Ces questions se seront pas abordées ici, si ce n'est pour dire que ces deux concepts et leurs mécanismes assurantiel et juridique doivent être dans un cas maintenu et dans l'autre cas mis en oeuvre, sous réserve dans ce dernier cas que son champ soit clairement défini. S'il s'applique à l'évidence aux indemnisations de malades atteints il y a vingt ans par l'hépatite C alors que le virus n'était pas encore connu, il serait eminemment dangereux qu'il englobat le cas que nous allons traiter ici, celui des défaillances organisationnelles de toute nature.

L'hôpital français est une structure duale : d'un côté la direction de l'hôpital de l'autre le corps médical organisé en services. Le Directeur est à la tête d'une bureaucratie traditionnelle, au sens sociologique du terme, sans connotation péjorative. Il a la responsabilité directe d'un certain nombre de fonctions : suivi du budget, gestion du personnel, responsabilité des marchés et assure le bon fonctionnement de l'administration et de l'hôtellerie. Il est nommé par le Ministre.

Les médecins recrutés par concours national après avis local sont aussi nommés par le Ministre quand ils prennent la responsabilité de chef de service. Ils jouissent donc d'une relative indépendance à l'égard de la Direction. Certes, ils participent aux discussions budgétaires, la Commission Médicale d'Etablissement (CME) a des pouvoirs étendus et exerce des responsabilités importantes : elle est consultée sur le budget, présente au conseil d'administration un rapport d'activité médicale, donne un avis sur les nouveaux recrutements, etc.

Mais le Président de la CME n'est pas un directeur médical. La meilleure preuve en est que le Ministre des Affaires Sociales a récemment envisagé la création d'un tel poste. Sa légitimité lui vient de ses pairs et non pas de l'institution.

L'Etat, qui s'est toujours méfié du pouvoir local y a conservé des prérogatives importantes.

Il nomme les directeurs et les chefs de services et, ce faisant, définit de fait la structure de chaque hôpital dont il arrête par ailleurs la capacité en lits, places, équipements lourds en approuvant les plans directeurs. Les Conseils d'administration n'ont que très peu de pouvoir. En France c'est l'Etat qui remplit la plupart des rôles dévolus aux Conseils dans la majorité des pays occidentaux. Mais l'Etat est lointain. Ses représentants ne peuvent pas intervenir dans la gestion courante ; ceci a un impact sur la gestion du risque.

En effet, les chefs de service ont la responsabilité médicale des malades qui sont à leur charge. C'est bien entendu souhaitable mais insuffisant. Les limites proviennent du fait que la spécialisation de la médecine a conduit à la multiplication des services.

Si l'idéologie du corps médical est toujours celle de son indépendance, protégée par une nomination nationale et non pas locale, dans la réalité la pratique des professionnels est fondée sur leur interdépendance.

Pour opérer un malade il faut certes un chirurgien et un anesthésiste, mais aussi consulter un radiologue, un ou plusieurs biologistes. Il est nécessaire de programmer l'intervention, de faire transporter le malade par les services de brancardiers etc....

De nombreux acteurs sont donc concernés. Certains sont hiérarchiquement rattachés à la Direction (brancardiers) d'autres dépendent à la fois des médecins et de la direction (le corps infirmier), les derniers enfin sont rattachés à la hiérarchie, ou plutôt aux hiérarchies médicales, celles de chaque service : l'ensemble des médecins non chefs de service.

Cette situation d'indépendance du corps émdical est encore renforccée dans le cas des CHU. Les chefs de service sont d'abord professeur d'université, ils sont statutairement et financièrement rattachés à l'Education Nationale. De plus, aujourd'hui encore plus qu'hier, ce corps est sélectionné sur la qualification scientifique des candidats. Ils doivent avoir, outre leur formation médicale, un diplôme scientifique, la qualité de leur publication, leurs activités de recherches sont ce qui prime dans leur nomination. La logique hospitalière et l'allégeance des candidats est donc clairement orientée.

Si les services sont généralement bien gérés, l'ensemble de la structure sociale l'est peu faute de mécanismes de coordination. Certes, des mesures récentes comme l'obligation de la tenue d'un dossier médical unique améliore sensiblement la coordination entre les professionnels de la santé. Mais clairement cela n'est pas suffisant.

Il n'y a aucun responsable de la gestion globale de la qualité. Le Directeur ne peut ni ne veut entrer dans des discussions à forte connotation médicale, les médecins ne veulent recevoir de directives de personne sauf de leur chef de service. Cette non organisation a un coût tant médical qu'économique. Il est difficile à chiffrer sauf par des remarques ponctuelles comme celle qui soulignait il y a quatre ans que plus de 30% des analyses biologiques commandées pour un malade arrivait après que celui-ci ait quitté l'hôpital.

La triste affaire de l'Hôpital d'ORLEANS à laquelle le Directeur Général avait essayé de remédier avant qu'elle n'éclate, est aussi un malheureux exemple de cette incapacité à agir. En effet, dans ce cas la mésentente entre chefs des services chirurgie a conduit à ce que les urgences soient mal prises en charge et que vraisemblablement s'en suive le décès d'un malade. Ceci montre bien que les risques que nous courrons sont plus organisationnels que techniques.

Or, nous avons en France du mal à appréhender cette réalité. Je me souviens d'interminables discussions pendant la première moitié des années 1980 à propos de la création des Départements hospitaliers, substituts envisagés, sans succès, pour répondre entre autre à ces problèmes. Je soulignais à l'époque qu'il fallait sortir du dilemme simpliste qui était alors posé : soit seuls les chefs de département (ou de service) sont responsables de leurs malades, soit tous les médecins sont responsables.

Il y a simultanément une responsabilité de l'institution qui a ou n'a pas créé des mécanismes de coordination, d'évaluation, de gestion de la qualité, des procédures de contrôle, ...

Les hôpitaux sont très en retard quand on les compare aux industries. C'est l'entreprise et non pas l'ingénieur qui est responsable de la qualité de ses services ou produits aux clients et pour l'assumer elle met en place des procédures appropriées et c'est bien entendu l'entreprise qui s'assure.

Conclusion

L'Etat devrait, dans les hôpitaux, se désengager en donnant plus de responsabilités aux Conseils d'administration et en particulier le pouvoir de recruter des médecins, lesquels rendraient ainsi compte à leur employeur et non pas au Ministre qui les nomme (personnage respectable et lointain d'autant moins gênant qu'il change en moyenne depuis vingt ans tous les dix-huit mois....).

L'Etat garderait une véritable fonction de contrôle, transférant les vérifications au cas par cas, mais s'assurant que les mécanismes de coordination et les processus de contrôle sont en place et fonctionnent.

Ces mécanismes ont peu de chances de voir le jour si les primes d'assurance des institutions ne sont pas fixées en fonction effective de leur programme de gestion de la qualité.

La création d'une taxe pour risque thérapeutique, gérée par les compagnies d'assurance renverrait en effet le malade à sa compagnie, la structure hospitalière et le professionnel de santé disparaissant comme par magie. Certes, ce mécanisme a l'avantage de ne pas ouvrir en France les dérives juridiques du système d'indemnisation américain. L'idée du Fonds évite que des avocats n'attendent les malades à la sortie des hôpitaux ; mais ne faudrait-il pas la compléter par des mécanismes de contrôle de la qualité entre ce fonds d'une part et les producteurs de soins d'autre part car cette anesthésie collective, potentiellement coûteuse ne conduit pas nécessairement à un optimum. L'acteur individuel médecin ou institution hospitalière, perdu dans la masse, n'a pas, dans ce dispositif, intérêt à gérer le risque.

Il faudrait donc que l'institution ou le producteur de soins soit d'une façon ou d'une autre pénalisé quand le Fonds est sollicité pour une affaire le concernant.

Si ce n'est pas le cas, la seule garantie contre une inflation incontrôlée du montant de ce Fonds est la capacité réelle de plaideur des compagnies d'assurance et de leurs avocats. Est-ce digne ? Est-ce suffisant ? Peut-on toujours couvrir tous les risques ?

Jean de KERVASDOUÉ
Septembre 1994

___________________________________________

1. En effet, l'étude sur laquelle elle s'appuie montre que la probabilité d'avoir un cancer du poumon passe de 0,9 pour 100 000 à 1,2 pour 100 000. Risque très faible et étude par ailleurs discutable.
2. Libération - le 24 août 1994
3. Edward J. Burger, Jr. Health as a surogate for the Environnement Deadalus Fall 1990
4. Haron Wildavsky and Karl Mate "Theory of risk perception : who fears what and why ?" Deadalus. Journal of the Americain Academy of Arts and Sciences, Fall 1990.
5. Voir annexe article du Monde du 5 février 1993



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Le dernier rapport de l'Igas : institutions sociales et usagers

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