Bioéthique :
la réforme tant attendue
Nathalie
Beslay
Avocat au barreau
de Paris
ALAIN BENSOUSSAN-AVOCATS
20 septembre 2001
La
question bioéthique en France
Face
aux avancées de la science en matière de manipulation du vivant,
les parlementaires ont souhaité définir des règles en 1994 pour
garantir le respect des principes éthiques fondamentaux. Ces lois
s’intéressaient au respect du corps humain (loi
n° 94-653 du 29 juillet 1994) et au don des "éléments et
produits du corps humain, à l’assistance médicale, à la procréation
et au diagnostic prénatal" (loi
n° 94-654 du 29 juillet 1994).
La
première loi s’est attachée à définir les grands principes éthiques du
respect du corps humain : sa primauté, sa dignité, son inviolabilité,
son intégrité ou encore la non patrimonalité de la personne, c’est-à-dire
l’impossibilité de conférer au corps humain une valeur patrimoniale,
autrement dit de lui appliquer le droit de la propriété intellectuelle
et une valeur économique. Dans l’attente de la réforme, la référence
au Code civil reste la règle. Ainsi l’interdiction de toute forme
de clonage repose aujourd’hui de façon plus ou moins entendu sur
son article
16-4 affirmant que "nul ne peut porter atteinte à l’intégrité
de l’espèce humaine". De même l’étude génétique des caractéristiques
d’une personne et l’identification d’une personne par ses empreintes
génétiques fait l’objet d’un encadrement très restrictif, en raison
d’un détournement toujours possible. On se souvient que la Cour
d’Appel de Paris avait ordonné l’exhumation du corps d’Yves Montand
afin de vérifier les affirmations de la jeune femme qui affirmait
être la fille naturelle née d’une courte liaison entre sa mère et
l’acteur. Il avait pourtant toujours refusé de son vivant se soumettre
à des test sanguins. Axel Kahn avait alors pu rappeler que cette
décision se trouvait en contradiction avec la loi de 1994 qui impose
le consentement éclairé du patient pour ce type d’examen.
La
loi de 1994 adaptait le droit de la filiation classique en cas de
recours à un tiers donneur dans le cadre d’une procréation artificielle.
Il s’agissait en effet de préserver le schéma familial d’attribution
des droits et obligations aux personnes concernées, parents et enfant,
nonobstant l’intervention d’un tiers biologique dans le cadre de
l’acte de reproduction.
La
loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits
du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au
diagnostic prénatal constitue le cœur du dispositif légal en matière
de bioéthique.
Ainsi
les dons d’organes, de tissus, de cellules ou de gamètes doivent
être gratuits et l’anonymat entre les donneurs et receveurs est
requis (sauf cas particuliers de dons entre personnes vivantes
de la même famille). La répartition des greffons est garantie par
le contrôle de l’Etablissement Français des Greffes (EFG).
La
procréation médicalement assistée (PMA) est définie par
l’article L. 2141-1 du Code de la Santé Publique. Il s’agit de "pratiques
cliniques et biologiques permettant la conception in vitro,
le transfert d’embryons et l’insémination artificielle, ainsi que
de toute technique d’effet équivalent permettant la procréation
en dehors du processus naturel". La loi réglemente de manière
très restrictive l’accès et la finalité à cette technique. En effet,
les possibilités scientifiques offertes par les techniques de PMA
pourraient, en l’absence de tout encadrement éthique et juridique,
aboutir à des dérives de procréation de convenance. En conséquence
seules les demandes des couples hétérosexuels, en âge de procréer,
étant mariés ou en concubinage depuis au moins deux ans, peuvent
être prises en considération. Ils doivent en outre y avoir individuellement
et expressément consentis.
La
PMA ne peut être effectuée post mortem. Cette disposition a mis
fin au flou juridique qui régnait sous l’empire de la législation
antérieure. En effet, dans les années 80 une femme avait été autorisée
à récupérer le sperme de son mari défunt pour se faire inséminer
(insémination artificielle post mortem), tandis qu’une autre n’avait
pu se faire implanter l’embryon déjà conçu après le décès de son
époux (transfert d’embryon post mortem).
Le
don d’embryon n’est possible que sous certaines conditions.
Tout d’abord seuls les surnuméraires peuvent être concernés. L’anonymat
entre les donneurs et les receveurs est la règle, et enfin un juge
judiciaire doit donner son accord. Mais aux termes de l’article
L.2141-8 du Code de la Santé Publique "la conception in vitro
d’embryons humains à des fins d’étude, de recherche ou d’expérimentation
est interdite". Toute expérimentation sur l’embryon est interdite.
A titre exceptionnel, l’homme et la femme formant le couple peuvent
accepter que soient menées des études sur leurs embryons après avoir
confirmé par écrit leur décision. Cela ne signifie pas pour autant
que le chercheur a carte blanche. Ces études doivent avoir "une
finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l’embryon (...)".
Selon l’article R.152-8-1 du même code, une étude sur l’ embryon
humain in vitro ne peut être entreprise que si elle présente un
avantage direct pour l’embryon ou qu’elle contribue à l’amélioration
des techniques de PMA.
Les
diagnostiques prénatal (DPN) et pré-implantatoire (DPI).
Le DPN est défini à l’article L.2131-1 du code de la Santé publique.
Il s’agit "des pratiques médicales ayant pour but de détecter
in utero chez l’embryon ou le fœtus une affection d’une particulière
gravité.". Cet article est également applicable au DPI, c’est-à-dire
ex utero. Ces diagnostics sont réservés aux couples ayant une forte
probabilité de donner naissance à un enfant atteints d’une maladie
génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au
moment du diagnostic. On parle de conseil génétique préalable.
L’accès
à ces pratiques est restreint dans la mesure où elles permettent
de connaître précocement les caractéristiques génétiques d’un embryon,
et seraient susceptibles de dériver vers une forme d’eugénisme,
en cas de détournement de la finalité curative qui leur est assignée.
Les
lois bioéthiques ne sont-elles pas dépassées ?
Loin
d’être une fantaisie du législateur, l’examen des lois biotéhiques,
est bel et bien une nécessité ! Il était en effet prévu que
les lois feraient l’objet d’un réexamen 5 ans après leur entrée
en vigueur, soit en 1999 ! En outre, le contexte géo-politique
international pousse le législateur français à se prononcer plus
explicitement sur le clonage et la recherche sur l’embryon autorisée,
quant à elle, au sein de certains Etats membres de l’Union Européenne
tel que notamment la Grande Bretagne. La Chambre des représentants
des Etats-Unis a adopté début août 2001 un texte très restrictif
sur toutes les formes de clonage humain par 265 voix contre 162.,
Il reste aux sénateurs à suivre leurs collègues parlementaires pour
que l’interdiction prenne force de loi.
L’avancée
de la Recherche scientifique et médicale exerce une très forte pression
sur les législateurs. L’annonce fracassante devant l’Académie nationale
des sciences de Washington du gynécologue italien Severino Antinori
a mis au jour l’urgence de légiférer. Déjà remarqué en 1993 pour
avoir aidé une femme de 62 ans à donner naissance à un enfant,
il projette aujourd’hui d’inséminer des embryons clonés dans 200
couples portés volontaires.
Il s’agit donc
de trouver une voie juridique éthiquement acceptable pour encadrer
des pratiques de recherches génétiques assurant la promotion et
le développement de la recherche européenne, tout en garantissant
les principes éthiques fondamentaux.
Le
projet de loi dévoilé en novembre 2000
Le
contenu de ce texte a été annoncé en
avant-première par le Premier ministre, Lionel Jospin, lors
des journées annuelles d’éthique du Comité
consultatif national d'éthique le 28 novembre 2000 :
- Interdiction
explicite du clonage humain dit reproductif, c’est-à-dire
visant à créer un être humain destiné à la vie par transfert nucléaire
ou scission blastomérique,
- L’autorisation
du clonage dit thérapeutique, c’est-à-dire la création
d’un embryon en vue de l’utilisation thérapeutique de ses cellules
totipotentes n’aura pas lieu. Alors que le Premier Ministre
avait annoncé le 28 novembre 2000 son autorisation future, il
y a renoncé devant l’avis négatif du Comité consultatif national
d'éthique, ralliant la conception du président de la République
opposé à une telle possibilité,
- Autorisation
de la recherche sur les embryons surnuméraires ne faisant pas
l’objet d’un projet parental. Dans cette perspective il est
prévu de modifier l’article L.2141-8 du code de la santé publique
afin d’autoriser la recherche sur les embryons surnuméraires,
c’est-à-dire non destinés à être ultérieurement implantés dans
un utérus,
- Autorisation
du transfert d’embryon post-mortem. Contrairement à l’insémination
artificielle qui demeurera soumise au régime actuel d’interdiction
de pratique post mortem, il est prévu d’autoriser le transfert
d’embryon post-mortem. L’embryon pourra être implanté après le
décès du père "à titre posthume", le législateur considérant
que la fécondation du vivant du père est constitue une garantie
éthique suffisante. Un délai maximum sera fixé en dehors duquel
une telle opération serait prohibée.
A
priori, et sous réserve de modifications de ce projet, il semble
que l’on s’oriente vers un accroissement de "l’utilitarisme"
du corps humain au regard notamment de la légalisation de la recherche
sur les embryons surnuméraires. Toutefois, les risques de dérives
n’ont pas échappé aux rédacteurs du projet, qui encadrent les nouvelles
pratiques par des gardes fous éthiques et déontologiques forts,
dont la principale illustration est l’interdiction explicite du
clonage dit reproductif.
Cependant
le calendrier électoral constitue un frein au vote définitif du
projet de loi, comme un pied de nez à l’opinion de Michel Foucault
selon lequel les "bio-pouvoirs" investissent le champ
politique.
Suite
et fin
20
septembre 2001
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