Décembre 2000
Robert
LAUNOIS
Economiste
de la Santé
Directeur de l'IREME
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"Des
réseaux ‘Bisou’ se sont mis en place, c’est-à-dire
des réseaux confraternels dont la finalité est
d’approfondir les collaborations professionnelles."
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Propos
recueillis par Dominique
ETIENNE et Corinne
RADAL
21
novembre 2000
Que pensez-vous du bilan actuel de la mise en place des réseaux
de soins ?
La
France est en retard. Les missions des réseaux peuvent ëtre regroupees
autour de 6 axes: éduquer
les patients, former
les médecins, standardiser
les pratiques,
évaluer
les comportements au regard de ces pratiques standardisées, rémunérer
des activités de prévention et d’éducation sanitaire, et enfin
gérer le risque (veiller à ce que les prestations répondent aux
besoins tout en étant compatibles avec les enveloppes budgétaires).
En
l’an 2000, les réseaux francais n’en sont qu’aux étapes 1, 2 et
3. Il
n’existe pas de bouclage financier. Actuellement, le système de
réseau perd son caractère opérationnel parce qu’on ne met pas en
place des sous-ensembles de professionnels de santé disposant d’un
budget leur permettant de mener à bien la politique de santé qu’ils
envisagent.
Des
réseaux ‘Bisou’ se sont mis en place, c’est-à-dire des réseaux confraternels
dont la finalité est d’approfondir les collaborations professionnelles.
Ces réseaux se trouveront confrontés à de graves difficultés parce
que la prise en charge globale implique un financement global et
le dispositif ne peut pas reposer uniquement sur l’exercice des
bonnes volontés professionnelles.
Il
faut de l’argent, sans cela on ne voit pas comment organiser la
coopération (réflexion des professionnels, gestion des intervenants
ayant des intérêts contradictoires…) et la prise en charge des patients
(circulation de l’information, montage des façades informatiques…).
Il faudrait donc pouvoir aider financièrement les professionnels
dès le début ?
Qui
sont actuellement les payeurs ? Les
« banquiers » des réseaux de soins, c'est-à-dire
les Caisses Primaires d’Assurance Maladie, leslLaboratoires, les
organismes mutualistes ou des organismes privés.
Je
n’ai jamais prétendu, même si les réseaux leur étaient destinés,
que les professionnels de santé devaient nécessairement être les
organisateurs logistiques de la structure. Ce qui est intéressant
dans la réforme Juppé, c’est que c’est un texte officiel qui ouvre
la porte à des innovations organisationnelles. En fait, il n’y pas
eu de vraie proposition innovante, probablement parce que le corps
médical est encore structuré autour des principes d’autonomie et
de responsabilité. On ne peut pas avoir choisi une profession pour
en faire un exercice individuel et accepter d’être membre de sous-ensembles
de professionnels qui ont une réflexion politique sur leur pratique.
Revoyons
le problème de financement sur le terrain. On court les campagnes
pour obtenir des subventions annuelles dont la reconduction n’est
pas toujours assurée, voilà la vérité.
On n’ose
même plus parler de financement global. Quand vous parlez de forfait
annuel de santé, on vous répond "médecine de caisse britannique"
ou bien "HMO américaines". Néanmoins, quand la CSMF
évoque la possibilité d’une régulation centrée sur des organismes
publics ou privés mis en concurrence, elle ne peut en définitive
pas pousser très loin sa pensée car elle retombe immédiatement dans
ce qui est un cauchemar pour les médecins libéraux français et qui
est en contradiction totale avec le discours qu’elle tient par ailleurs,
à savoir la mise en place de call centers, d’abonnements de santé
…
Comment expliquer l’échec des expérimentations RSE (peu de dossiers
déposés et peu agréés) ?
Soyons
sérieux. Le dépôt d’un dossier Soubie est une aventure. Beaucoup
de professionnels envisageaient de coopérer mais je crois que même
les personnes les plus motivées ont été submergées par l’ampleur
de la tâche.
Bien que
j’aie beaucoup travaillé sur le thème et milité pour le développement
des réseaux, je ne siège pas à la Commission Soubie, mais je déplore
la lenteur de l’examen des dossiers et je crois que l’on pourrait
améliorer tout cela.
De surcroît,
une controverse s’est établie entre réseaux et filières de soins,
ce qui a permis d’éviter de traiter véritablement le problème des
réseaux.
Que pensez-vous des modalités d’évaluation d’un réseau de soins
?
Nous
avons à notre disposition de nombreux systèmes de collecte d’information
: méthodes expérimentales comparatives, randomisées ou non, comparaisons
historiques avant/après avec un groupe contrôle en parallèle, enquêtes
observationnelles… Pour les réseaux, ce sont essentiellement des
études avant/après qui doivent être envisagées.
Nous
devons aussi réfléchir sur les problèmes de collecte de l’information :
perdus de vue, données manquantes, cohérence des données, nécessité
d’avoir un groupe de contrôle pour éviter les biais... Je propose
de mener une réflexion dans ce domaine avec les experts et les professionnels
concernés.
Il
faut bien être conscient que les études rétrospectives sont très
mauvaises. Il faut tout faire en prospectif pour recueillir des
données plus robustes, mais c’est évidemment plus long et plus cher.
Il faut protocoler la recherche d’information au maximum et avoir
de l’argent pour en assurer la qualité. Malgré tout, cela n’est
pas aussi compliqué qu’on veut bien le dire.
Soyons
clair : l’évaluation d’un réseau doit donc être pensée bien
avant la mise en place du réseau.
Qu’en est-il de l’évaluation du réseau Résalis à laquelle vous participez ?
Résalis
est très en avance dans ce domaine. Tout d’abord, qu’est-ce que
le réseau Résalis ? C’est
un regroupement de professionnels de santé qui ont choisi de coopérer
avec Alliance Medica et une Caisse Primaire d’Assurance Maladie
pour améliorer la prise en charge des patients asthmatiques. En
tant qu’experts indépendants, nous sommes chargés d’évaluer ses
performances depuis sa création jusqu’à la fin de l’expérience en
2001.
J’ai
évoqué les différentes missions des réseaux. Résalis a mis le curseur
assez clairement dans l’ensemble de ces missions : ses buts
sont de former les patients, d’éduquer les praticiens et de standardiser
les pratiques. Il comporte un design d’évaluation qui a fait école
et qui a notamment été repris par l’ANAES dans ses recommandations.
Le
design d’étude comporte une phase "avant intervention"
et une phase "après". La phase "avant", pour
minimiser les frais, comprenait une période rétrospective de 7 à
8 mois et une période prospective de 5 mois. La phase "après"
sera totalement prospective, ce qui est très satisfaisant.
Nous
avons utilisé deux systèmes de collecte d’informations : un
système ‘bottom-up’ de relevés à partir des dossiers médicaux et
un système ‘top-down’ par exploitation des bases SIAM. La recherche
de la cohérence entre ces sources est un souci permanent, et il
est probable qu’on ne l’obtienne jamais de manière parfaite (l’information
relevée sur la prescription n’est pas celle qui correspond à la
délivrance, et la délivrance des produits ne correspond pas à la
consommation des malades).
Une
enquête parallèle a de plus été menée sur trois départements limitrophes
de l’Eure. Elle sera renouvelée une fois sur des sites où il n’y
a pas eu d’intervention, de manière à pouvoir distinguer les évolutions
conjoncturelles des pratiques et des consommations de celles provoquées
par l’intervention sur le site d’Evreux.
On
a donc un double contrôle : un contrôle de tendance avec le
groupe parallèle et un contrôle historique avec les informations
collectées avant l’intervention.
A
l’heure actuelle la phase avant est terminée. On a environ 300 patients
et 500 paramètres recueillis. C’est une masse d’informations énorme,
et sa gestion est à la fois très complexe et très stimulante. Même
si cela exige beaucoup de travai,l c’est intéressant parce que l’analyse
est faite en continu. Les bases sont couplées avec un programme
SAS, couplé avec un programme Excel, qui est lui-même couplé avec
une présentation Power Point. Tout est automatisé.
Nous
savions dès la mise en place des réseaux que l’on verrait des choses
apparaître, notamment des difficultés diagnostiques et thérapeutiques.
Etant donné que la finalité du réseau, pour le malade, est d’améliorer
sa prise en charge, c’est encourageant, ça montre qu’il existe une
marge de productivité exploitable. Se dire qu’on peut être mieux
soigné grâce à une prise en charge en réseau c’est quand même une
motivation pour tous les acteurs du système de santé.
Suite
et fin( 2/2)   
21 novembre 2000
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