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"Je
ne vois aucun problème à ce quun patient demande
un second avis médical via Internet, mais on se
heurte toujours au même problème de la confidentialité
des informations, tant quil ny a pas
de solutions de cryptage et de codage." |
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Propos recueillis
par Christine
Bouchet
25
mai 2000
Quelles sont selon vous les plus importantes mutations que la
médecine va devoir vivre dans les prochaines années ?
Jen
vois trois groupes : premièrement, les mutations technologiques
et scientifiques, notamment avec les nouvelles technologies
et lintroduction de linformatique dans la médecine.
Celles-ci ne portent pas dailleurs uniquement sur la transmission
des données mais concernent également la chirurgie assistée
par ordinateur, la robotique, la télémédecine, cest-à-dire
la lecture de documents à distance avec prise de décision. Linformatique
et, bien entendu, Internet vont jouer un rôle considérable.
Je ne dirai pas quils vont modifier la relation médecin/malade,
car je ne le souhaite pas. Je souhaite quon la préserve,
mais il est sûr que Internet et linformatique en général
vont ravir au dialogue médecin-malade une partie de sa portée.
Deuxièmement,
les mutations économiques. Je pense que la médecine coûtera
de plus en plus cher. Comment la financer ? On ne peut
pas imaginer quil y ait une régression dans laccès
aux soins ou dans leur distribution, ce qui serait contraire
au progrès, mais il est sûr que cette question va nécessiter
une analyse très fine de la façon dont les ressources économiques
devront être utilisées.
Troisièmement,
des enjeux nouveaux apparaissent, qui sont dailleurs fonction
des progrès scientifiques dans des domaines comme la génétique.
Est-ce que le médecin va sapproprier la possibilité de
modifier le patrimoine génétique de son patient (lhomme
changé par lhomme), ce qui aboutirait à des utilisations
perverses du progrès ? Il faut mener une réflexion éthique
permanente face au développement du progrès, particulièrement
dans le domaine de la génétique.
Estimez-vous que cette réflexion nest pas assez menée ?
Je
nai pas dit cela. Il y a un Comité National dEthique
des Sciences de la Santé et de la Vie qui a un rôle consultatif,
donc un rôle de réflexion. De plus, le législateur sest
prononcé sur cette question en 1999 avec les Lois de bioéthique.
La vigilance des uns et des autres sera toutefois nécessaire.
Le pouvoir politique doit maîtriser la situation de façon à
protéger les citoyens.
Vous prônez dans votre livre une réforme du Conseil de lOrdre.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Il
faut partir du constat suivant : le Conseil de lOrdre
a été créé par le législateur par une ordonnance de 1945. Depuis
la médecine a beaucoup évolué. Les missions confiées à lOrdre
par cette ordonnance, pour ce qui concerne sa participation
à lorganisation de la profession et de lexercice
médical, doivent elles aussi évoluer. La structure du Conseil
de lOrdre, centralisée avec le Conseil national et décentralisée
avec les départements, correspond à lorganisation administrative
de la France en 1945. Maintenant, la France est régionalisée.
Il faut donc un niveau administratif régional. Il faut également
rendre les structures juridictionnelles plus transparentes,
en modifiant les modes délection. Le Conseil, qui garantit
déjà la qualité morale des médecins, doit aussi pouvoir garantir
leurs compétences. Certes, il existe des organismes dévaluation,
mais il faut que lOrdre puisse garantir que les médecins
satisfont ces exigences. Il est indispensable que les praticiens
participent à lévaluation des pratiques. Le dernier Code
de Déontologie y fait dailleurs référence. Il faut une
évaluation collective (pour une spécialité, par exemple) et
une évaluation individuelle, à laquelle doivent se soumettre
les médecins, dans leur intérêt, mais surtout dans lintérêt
des malades et de la société.
Revenons aux nouvelles technologies. Utilisez-vous régulièrement
Internet ? Si oui, que pensez-vous de lInternet médical
francophone ?
Jai
appris à me servir dInternet. Je sais utiliser un moteur
de recherche pour rechercher des informations ô combien intéressantes
et nombreuses. Cest indéniablement un progrès, notamment
pour les banques de données ou la recherche bibliographique.
Ce
qui pose problème, je nai pas dit ce qui est discutable,
cest lutilisation dInternet comme intermédiaire
entre un médecin et un patient, cest-à-dire la mise en
ligne dun dossier médical pour obtenir une réponse. Je
parle ici de linternaute lambda qui mettrait en ligne
ses informations personnelles. Ca lui est peut-être égal de
dire quil est porteur de telle ou telle maladie, mais
il oublie que son assureur est, lui, très intéressé par ce type
dinformations.
A
linverse, il est formidable quun médecin puisse
anonymiser un dossier pour demander un avis à un confrère via
Internet et obtenir une réponse presque immédiatement.
Que pensez-vous plus précisément du deuxième avis sur Internet ?
Cest
une forme moderne de ce que lon voit depuis longtemps
en consultation. Il est assez fréquent quun médecin demande
des conseils à un confrère ou quun patient consulte un
autre médecin pour obtenir la confirmation dun diagnostic.
Je
ne vois aucun problème à ce quon le demande via Internet,
mais on se heurte toujours au même problème de la confidentialité
des informations, tant quil ny a pas de solutions
de cryptage et de codage. Jusquà preuve du contraire,
je nai pas eu le sentiment quon avait résolu complètement
le problème de lanonymisation.
Ce problème sera bientôt réglé.
Tant
mieux. Ensuite, les médecins devront shabituer à travailler
de cette manière. Cest une autre culture de la pratique
médicale.
Suite
et fin (2/2)

25
mai 2000