Cathy Suarez
Consultante en économie de la santé
et en systèmes d'information
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"Les
systèmes de téléassistance et
de téléconseil représentent l'avenir
des dispositifs chez les personnes âgées,
mais leur mise en place est complexe"
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Propos
recueillis par Hervé
Nabarette
15 mai 2001
Vous
êtes spécialiste des systèmes d'information
en santé et des dispositifs chez les personnes âgées.
Quel est le dispositif le plus répandu au domicile des personnes
âgées ?
La
téléalarme est sans doute la technologie la plus répandue
pour faciliter le maintien à domicile des personnes âgées.
Ce service permet d'être relié en permanence à
une centrale d'appel, dont l'opérateur est susceptible d'intervenir
en cas d'urgence médicale en envoyant l'assistance nécessaire
(pompiers, SAMU, médecin). Le dispositif de transmission
se compose d'un boîtier télétransmetteur placé
sous le téléphone et d'une télécommande
que la personne porte autour du cou et qu'elle actionne par simple
pression en cas de danger ou de malaise. Les personnes âgées
de plus de 65 ans et/ou présentant un taux d'incapacité
de 80% et plus, peuvent faire une demande aux CCAS ou aux Conseils
Généraux, suivant les communes. L'abonnement est compris
entre 60 et 120 francs mensuels, des exonérations partielles
étant accordées suivant le niveau de ressources de
la personne (10% de la PSD pouvant être consacré à
des aides techniques).
Si
l'usage de ce dispositif s'étend, les gériatres estiment
aujourd'hui qu'il n'est pas très efficace, car non adapté
aux besoins spécifiques de la personne âgée.
La finalité première de la téléalarme
est en effet d'agir plus rapidement et plus efficacement dans des
situations d'urgence médicale. Or, seuls 12% des appels des
personnes âgées relèvent d'une urgence médicale,
et seuls 2% nécessitent une intervention directe. 72% des
appels sont liés à la solitude ou consécutifs
à de fausses manipulations, et ne peuvent donc être
résolus par les opérateurs. En outre, la téléalarme
apparaît comme mal adaptée aux usages de la personne
âgée (sentiment d'angoisse pouvant freiner la reprise
de l'autonomie, sentiment d'être tenue en laisse, inesthétisme
d'un objet que beaucoup laisseront dans un coin). Enfin, de nombreuses
personnes souffrent d'apraxies, de déformations des mains,
ou d'une mauvaise mobilité des membres supérieurs,
de troubles cognitifs et comportementaux, autant de situations dans
lesquelles le dispositif est inefficace, la télécommande
n'étant pas activée. Le port d'un bracelet émetteur
peut être une alternative possible mais pose alors des problèmes
éthiques en lien avec la préservation de la liberté
individuelle.
Les
dispositifs de capteurs ne sont ils pas plus efficaces ?
En
théorie oui. Ces dispositifs relèvent de la "téléassitance
médicalisée" qui vise à assurer la sécurité
des personnes dans leur environnement, par l'identification par
capteurs des cas d'urgence et autres situations critiques (chutes,
fugues, déambulation nocturne, malaises) et par le maintien
d'un contact téléphonique ou/et visiophonique avec
un tiers. Les capteurs multiperceptifs (détection possible
en simultanée du son, de l'image et du mouvement), se situent
encore essentiellement à un stade expérimental de
leur cycle de vie. Les capteurs peuvent être placés
à des endroits stratégiques de l'environnement de
la personne en fonction des risques potentiellement encourus par
celle-ci : autours du lit, dans les toilettes, au bas des escaliers
pour prévenir les chutes (60% d'entre elles se passant près
du lit) ; près de la porte ou du portail d'une maison, pour
les personnes désorientées sujettes aux fugues, aux
fenêtres, pour les personnes suicidaires.
Les dispositifs capteurs marchent bien en Suisse. C'est le système
QUO VADIS, destiné à la détection des fugues
chez des personnes désorientées sujettes à
l'errance. La vigilance est assurée par un détecteur
de mouvement embarqué sur la personne (médaillon)
ou fixe (porte, portail). Il est relié à une centrale
radio qui déclenche une alarme chez un voisin ou un membre
de la famille vivant à proximité, qui interviendra
auprès de la personne et jugera de la situation et de la
réponse la plus adaptée. L'efficacité d'un
tel dispositif suppose donc que la personne soit intégrée
dans un réseau sociale et familiale. Elle ne doit pas être
isolée, et sans ce réseau, la technique en elle même
n'est rien, car elle n'a pas d'intermédiation médicale
intégrée.
Existe-t-il
d'autres types de dispositifs ?
Oui,
les systèmes de téléassistance basés
sur la téléphonie ou/et visiophonie, qui s'adressent
alors plus particulièrement aux personnes âgées,
dépendantes et isolées. Des téléopérateurs
réceptionnent les appels des personnes et/ou procèdent
à des appels réguliers. Les services apportés
dépendent de la situation médico-économique
de la personne. Ils vont de la télévigilance (gestion
des appels, conseils médico-sociaux, juridiques
),
au télécontrôle (un téléopérateur
appelle une ou deux fois par semaine pour prendre des nouvelles),
en passant par la livraison de médicaments, de repas, la
fourniture d'une aide ménagère. Ces systèmes
sont donc intégrés dans un panel de services qui varient
suivant la situation particulière des personnes. Dans le
cadre de la télévigilance, les opérateurs déterminent
le mode d'intervention le mieux adapté en fonction de la
nature de l'appel. La question de leur formation est à ce
titre fondamentale, ainsi que le concours du réseau de professionnels
de la santé et du social, qui assurent les interventions
en cas de nécessité et forment les opérateurs.
De ce point de vu, la téléassistance peut contribuer
à l'émergence de nouveaux métiers de proximité.
La
téléassistance a-t-elle été mise en
uvre en grandeur réelle ?
Oui,
en Italie, selon le modèle énoncé ci-dessus.
Ce pays connaît un problème aigu de vieillissement
et d'isolement des personnes âgées. La mortalité
par suicide est la plus forte d'Europe. Des prestations de téléassistance
sont offertes par des associations (Pro-Senectute, Auser et son
"fil argent"), des sociétés (Tesantelevita)
et des coopératives (COOP.ACLI). Dans les associations, les
opérateurs sont des volontaires (retraités), sans
formation spécifique, et au turn-over élevé.
Dans les coopératives et les sociétés, les
opérateurs sont généralement formés
par des professionnels de santé, puis par des opérateurs
confirmés, pendant une durée comprise entre trois
et six mois. Il existe en outre des stage de formation permanente.
Les professionnels de santé, médicaux et paramédicaux,
assument à titre bénévole les tâches
de formation des opérateurs et de visiophonie. Lorsqu'une
intervention directe auprès de la personne est nécessaire,
ils entrent alors dans le circuit classique de la sécurité
sociale. Les services sont offerts par différents centrales
d'appels réparties sur le territoire. Il existe une forte
demande, et la volonté des pouvoirs publics de développer
ces services existe, leur efficacité en terme de santé
publique étant avérée (baisse de la mortalité
par suicide, diminution du nombre d'hospitalisation, réduction
du stress et des syndromes dépressifs chez les abonnés).
Toutefois, pour l'instant, peu de personnes en bénéficient,
la sélection est forte, et les listes d'attente longues en
raison des contraintes budgétaires du système sanitaire
italien (à ce sujet lire L'introduction du fédéralisme
dans le service de santé national italien : entre stratégie
utopique et opportunisme tactique).
Pour
ce qui concerne la France, je ne pense pas que le développement
de services similaires à grande échelle soit possible
dans l'immédiat. Le problème du vieillissement en
terme de santé publique se posant avec moins d'acuité,
la volonté des pouvoirs publics de financer ces services
est moins forte. De plus, les études de propension à
payer faites auprès de personnes âgées, montrent
qu'elles dépenseraient en moyenne 200 francs par mois pour
bénéficier de tels services, ce qui est faible. Ainsi,
l'expérience de téléassistance Visadom à
Grenoble, risque fort de ne pas dépasser le stade expérimental.
En fait, les personnes âgées ne sont pas encore sensibilisées
à ce type de dispositifs. Elles pensent souvent qu'elles
vont se débrouiller toute seule, qu'il y a la famille, et
le placement institutionnel reste bien ancré dans la culture.
L'aspect technique du dispositif les effraie souvent, le fait aussi
qu'elles vont devoir apprendre à s'en servir, sans parler
du sentiment d'intrusion dans leur environnement familier. La téléphonie
("Fil Bleu", téléalarme, présence
verte) semble toutefois mieux accepté que la visiophonie,
le téléphone faisant partie du quotidien.
N'oublions pas enfin que la diffusion de tels services est indissociable
d'une définition claire et des besoins des personnes âgées,
car elles sont les destinataires et non les payeurs potentiels (famille,
collectivités territoriales, organismes de tutelle). Il convient
aussi de veiller à la qualification des téléopérateurs
et de s'assurer du professionnalisme du secteur par une formation
qualifiante. Enfin, il appartiendra aux organismes de tutelle de
définir les conditions de délivrance des prestations,
leur nature et les modalités de leur prise en charge totale
ou partielle par l'assurance maladie ou/et les collectivités
territoriales.
Téléalarme,
capteurs, télévigilance
Nous avons fait le
tour de toutes les formules existantes
Oui.
De façon marginale et expérimentale, un dispositif
de capteurs multiperceptifs a été expérimenté
aux CHU de Grenoble et de Toulouse. La finalité était
en autre, de mieux gérer les problèmes de chute de
personnes âgées dans les services de gériatrie.
Les personnes âgées hospitalisées sont en effet
souvent désorientées et l'occurrence de chute est
élevée, ce qui pose problème, sachant que 84%
de ces personnes ne peuvent se relever sans l'aide d'un tiers. Associée
aux effectifs limités, les chutes représentent ainsi
un danger potentiel de complications pour les patients (une personnes
âgée qui chute peut rester entre une et deux heures
au sol). En outre, le système de sonnette semble déficient
dans ces services. En effet, en gériatrie le temps moyen
de réponse à un appel est de 10 mn, et le taux de
non réponse de 20%. Cela s'explique par le fonctionnement
en effectifs restreints, les soignants répondent en priorité
aux appels "qui se justifient pour des raisons médicales".
Or, en gériatrie, 40% des appels relèvent d'une demande
d'aide aux actes de la vie quotidienne, 33% de confort et 11% sont
sans motifs. D'où l'intérêt d'expérimenter
un dispositif multiperceptif. Malheureusement, l'expérimentation
auquel j'ai assisté il y a quatre ans au CHU de Grenoble,
fut mal acceptée par le personnel soignant. Bien que percevant
la situation existante comme problématique, les soignants
ont mal vécu l'intrusion du dispositif technique dans leur
environnement de travail, vivant cette expérimentation comme
une remise en cause de leurs pratiques et un jugement sur la qualité
de leur travail. Le dispositif était en outre expérimental,
il n'était pas au point et occasionnait une charge de travail
supplémentaire, non compatible avec l'organisation du service.
Que
peut-on dire de la réception par les personnes âgées
et de l'équilibre machine/présence humaine dans les
dispositifs ?
Si
l'on considère la question de l'accoutumance aux nouvelles
technologies de l'information et de la communication, il est sûr
que les personnes âgées de 80 ans et plus ont du mal
à s'y accoutumer. Dans l'expérimentation précédente,
nous avons ainsi pu observer chez certaines personnes sensibles
des phénomènes hallucinatoires en lien avec la présence
du dispositif. Cependant, la sensibilisation actuelle des "jeunes
vieux" (50-70 ans) par leurs enfants et petits enfants, nous
laisse à penser que ceux-ci seront plus à l'aise que
la génération actuelle. Face à cette réticence
des personnes âgées, un biais courant chez les promoteurs
de solutions est de calquer leurs produits sur les besoins et préférences
des payeurs potentiels. L'exemple de la téléalarme
est à ce titre édifiant. Sa finalité ne répond
en effet pas aux besoins des personnes âgées qui relèvent
davantage de la sociabilité, mais aux préoccupations
des gériatres et organismes de tutelles (en terme de gestion
de la dépendance) et aux besoins de tranquillité de
l'entourage.
Concernant
la substitution homme/système d'information, précisons
que la téléassistance ne peut que combler un manque
existant. Par exemple, si la personne âgée a de la
famille à proximité qui peut se déplacer, la
livraison de médicaments et de repas ne sera pas souhaitable.
Des arbitrages doivent être faits pour chaque patient, la
question étant de savoir qui fera ces arbitrages : la personne
âgée, la société de prestation de services,
les payeurs
Il faut procéder à une classification
des usagers en fonction de leurs problèmes et définir
un panel de prestations personnalisées. Les modalités
de classification devront être formalisées.
Comme
on l'a vu, de nombreux systèmes sont expérimentaux
Comment choisit-on de les développer ? Peut-on procéder
à des analyses coût efficacité ?
Non.
Les analyses coût efficacité sont utilisées
sur des dispositifs déjà sur le marché, qui
ont un prix et dont l'efficacité est avérée,
à une fin d'allocation optimale des ressources. Quand une
technique émerge, elle n'a pas d'histoire qui nous enseigne
sur son coût ou son efficacité. Nous sommes alors dans
une phase de création de ressources. Le succès d'une
innovation émergente comme la téléassistance
passe par trois conditions :
- Il faut
tout d'abord que l'ensemble des acteurs concernés par la
nouvelles technique expriment une suspicion envers les routines,
techniques ou pratiques existantes (suspicion révélatrice
de leur insatisfaction)
- une réflexion
collective s'engage ensuite sur les solutions alternatives qui
peuvent être développées, en les dotant de
finalités et de fonctionnalités qui rencontrent
le plus de consensus chez l'ensemble des acteurs concernés
(ces derniers pouvant avoir des objectifs différents :
alternatives à l'hospitalisation, créations d'emplois,
amélioration de la qualité de vie
)
- la réflexion
évoluera enfin au fil des expérimentations, par
concertation et apprentissage, jusqu'à ce que l'on débouche
sur une alternative qui sera l'expression d'un consensus général.
C'est seulement une fois ce stade atteint, que l'on pourra faire
des études de propension à payer et raisonner en
terme d'efficacité. On sort alors de l'organisation innovatrice,
pour rentrer sur le marché.
Seuls
les systèmes se présentant comme une solution alternative
à un problème de santé publique, et construits
dès l'amont avec la consultation de l'ensemble des personnes
concernées (patients/usagers, professionnels de santé,
organismes de tutelle) dépassent le stade expérimental,
c'est l'enseignement que je tire des différents projets.
C'est ce que l'on observe de façon générale,
en télémédecine, dans les systèmes d'information
de réseaux.
Au-delà
des dispositifs évoqués, le maintien à domicile
requiert-il des systèmes d'information développés ?
Les
personnes intervenant dans le maintien à domicile se coordonnent
assez bien sans système logistique développé.
Le maintien à domicile repose grandement sur des réseaux
humains et informels. Actuellement et dans nombre de structures,
les systèmes très structurés et informatisés
seraient considérés comme une gêne, et seraient
malvenus.
En revanche, il y a de forts besoins de suivi des personnes âgées
à leur sortie de l'hôpital. L'accompagnement est important
pour s'assurer que les personnes vont bien chez le kiné,
qu'elles ne se laissent pas aller
La télévigilance
et le télécontrôle peuvent à ce niveau
être très utile, mais ce peut être simplement
un relais téléphonique. La sensibilisation de l'ensemble
des personnels soignants des services hospitaliers non gériatriques
aux modalités de prise en charge spécifique des personnes
âgées, peut aussi être utile pour améliorer
la qualité de vie de ces personnes à l'hôpital
et réduire les complications. C'est l'objet de "l'unité
mobile gérontologique" qui fonctionne au CHU de Grenoble
depuis 1998. Ce type d'actions doit être géré
par un système d'information adéquat : listing des
intervenants, dossier médical des patients, prestations fournies
.
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15
mai 2001
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