E-pharmacies,
le mirage du succès ?
Laurent
Alexandre et François
Resplandy
25
novembre 2000
D’après
une étude américaine récente de Insight
Express, cabinet américain
d’études de marché, l’avenir des pharmacies en ligne
ne serait pas si prometteur. En effet, 93% des internautes interrogés
n’ont jamais acheté de médicaments en ligne et 76%
n’ont même jamais surfé sur le site d’une e-pharmacie.
Toujours selon cette
étude, près de 60% des personnes interrogées
pensent ne jamais acheter en ligne de médicaments de prescription.
Pour ce cabinet, le e-commerce de médicaments ne suit pas
du tout les mêmes modèles que celui des biens de consommation
courante et l’audience des pharmacies en ligne n’est pas au rendez-vous.
Paradoxalement, un autre
cabinet, Forrester,
prévoit un avenir heureux aux e-pharmacies : d’ici 2004,
les ventes de produits de santé représenteraient 22
milliards de dollars dont 15 milliards en médicaments de
prescription (lire notre article : les
ennuis continuent pour les pharmacies électroniques).
On peut donc s’interroger
sur les raisons de la divergence des prévisions aux Etats-Unis
et sur la pertinence de ces études vis à vis de la
situation de l’Europe.
A l’heure actuelle, les
e-pharmacies qui occupent le devant de la scène sont toujours
largement déficitaires et la valeur de leur action est en
chute libre. A titre d’exemple, l’action PlanetRx.com qui était
à $21 le 22 novembre 1999 n’est plus cotée que 25
cents le 17 novembre 2000 (source : NASDAQ).
Malgré une hausse du chiffre d’affaire des ventes, on est
loin de l’équilibre financier.
Pour le médicament
comme dans beaucoup d’autres secteurs du e-commerce, le marché
est morcelé et atteindre la masse critique est ardu. La dilution
du nombre de commandes chez les différents acteurs présents
pourrait s’inverser lors de la future concentration du marché.
En attendant, les financements continuent avec quelques réductions
de personnel (lire nos articles : Les
pharmacies en ligne à l'épreuve du krach ?
et Les
ennuis continuent pour les pharmacies électroniques.).
En Europe aussi, les
sites de vente de parapharmacie déchantent, à l’image
de VitaGo qui
vient très récemment de décider de recentrer
ses activités sur son pays d’origine, l’Allemagne. Le développement
des filiales anglaise et italienne est donc arrêté
tandis que la branche française est reprise en main par l’équipe
dirigeante.
Dans l’étude Insight
Express, les principales raisons évoquées par les
internautes pour ne pas commander en ligne, seraient :
-
La confiance existante
dans la relation de proximité avec leur pharmacien
Depuis plusieurs mois pourtant, la FDA et les organisations
professionnelles ont pris, dans la mesure de leurs champs d’action,
de nombreuses mesures visant à réduire la vente
frauduleuse de médicaments et à garantir le respect
de bonnes pratiques de délivrance (lire notre article :
les
fédéraux nettoient le marché des e-pharmacies).
Fin octobre 2000, un projet de loi a été présenté
au Sénat américain. Celui-ci vise à coordonner
la répression au niveau des états et éventuellement
à empêcher les transactions entre internautes et
e-pharmacies étrangères illégales.
De même, l’association des principales e-pharmacies américaines
aux acteurs traditionnels de la vente de médicaments
(click-and-mortar) aurait dû réconforter l’internaute
mais il semble qu’elle n’a pas encore eu les effets escomptés
sur les mentalités.
-
Les prix
Alors que l’utilisation d’Internet pour commander permet d’espérer
une baisse des prix, une étude publiée dans " The
Annals of Internal medecine " indique une différence
de 10% à la faveur des pharmacies traditionnelles sur
les prix du Viagra et du Propecia (lire notre article :
les
fédéraux nettoient le marché des e-pharmacies).
-
La non prise en
charge des dépenses par les compagnies d’assurance
La participation de grands PBM (Pharmacy Benefit Manager) dans
ces sites de ventes de médicaments en ligne ne serait-elle
pas connue des internautes américains. Pourtant, ces
intermédiaires entre sociétés de managed
care et laboratoires sont largement impliqués :
PCS, Express Scripts et Medco gèrent les dossiers de
plus de 150 millions d’américains et sont associés
respectivement à Drugstore.com, PlanetRx.com et CVS.com,
trois e-pharmacies parmi les plus importantes.
Ainsi, aux Etats-Unis,
la relation pharmacien-patient reste pour l’instant la plus forte.
Les abus de certaines e-pharmacies et les accidents qui en ont découlés
y sont sûrement pour quelque chose. En tout cas, force est
de reconnaître que les efforts entrepris pour rassurer et
inciter le patient tardent à porter leurs fruits. D’après
Forrester, une offre de services d’aide au bon usage du médicament
(rappel par e-mail de ne pas oublier de prendre son médicament,
etc.) devrait gonfler encore le montant des ventes de médicament
en ligne. Ces services pourraient même gommer l’aspect " gadget "
que revêt la commande en ligne et aider les e-pharmacies à
redorer leur blason.
Le schéma e-pharmacie
- PBM - chaîne de pharmacies traditionnelles étant
devenu la norme, l’intégration d’Internet dans un service
" end to end ", de la prescription à
la délivrance sans même passer par le patient pourrait
être une bonne solution pour développer la commande
en ligne. L’ordonnance serait transmise électroniquement
de manière sécurisée du médecin au pharmacien
par l’intermédiaire du PBM. Le patient viendrai chercher
ses médicaments dans l’officine de son choix à condition
qu’elle fasse partie du réseau. La pharmacie serait toujours
le lieu de délivrance et de conseil que l’on connaît
et la gestion des dossiers plus facile pour les PBM. De plus, cette
option aurait des retombées positives en terme d’économies
et de sécurité.
Le cas de l’Union Européenne
est un peu particulier et il semble difficile d’y extrapoler les
résultats de ces études. Le marché n’est pas
le même, l’harmonisation des législations et des définitions
du monopole pharmaceutique sont autant d’obstacles à la réalisation
de prévisions aussi optimistes que celles du cabinet Forrester.
Les résultats des sondages d’Insight Express pourraient par
contre être retrouvés en France. En effet, une méfiance
du grand public vis à vis du commerce électronique
règne toujours en Europe.
Les textes européens
concernant les transactions par l’intermédiaire de nouveaux
médias écartent le médicament de leurs champs
d’application ou laissent les états libres de légiférer.
Ainsi, l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas autorisent la vente
de médicament à distance mais pas des mêmes
types de médicaments. Début novembre, DocMorris,
une e-pharmacie hollandaise, s’est d’ailleurs vue interdire la vente
de médicament sur le territoire allemand par le tribunal
administratif de Francfort. En effet, en Hollande, les médicaments
OTC et tous les médicaments, dans le cas d’un éloignement
trop important d’une pharmacie, sont autorisés à la
vente à distance tandis qu’en Allemagne seuls les produits
vendus hors pharmacie (parapharmacie, pansements, etc.) le sont.
En Grande-Bretagne où
quelques e-pharmacies ont déjà pignon sur rue (Pharmacy2u.com,
allpharmacy.com et superdrug.com), le NHS (National Health service)
prévoit déjà, dans son dernier plan
de réforme, la prescription électronique et l’intégration
des e-pharmacies dans le système de santé. Le développement
des e-pharmacies est donc officiellement soutenu par les pouvoirs
publics.
En France, même
si certaines pharmacies ont leur site et proposent des produits
à la vente (phytothérapie, etc.), la loi, prise au
pied de la lettre, stipule que le pharmacien ne doit pas solliciter
de commandes auprès du public (Art. L.589 du CSP). De plus,
la délivrance des médicaments doit avoir lieu dans
l’enceinte de l’officine.
Enfin, l’intérêt
même du e-commerce de médicaments peut être remis
en cause compte-tenu des lois de répartition des officines
qui ont pour but de maintenir la relation de proximité entre
pharmacien et patient. Même dans certaines campagnes, où
la proximité d’une officine peut faire défaut et où
des dérogations sont parfois réclamées pour
l’installation d’officines, le e-commerce des médicaments
aura énormément de mal à trouver sa place car
la relation patient-pharmacien y prend un aspect social encore plus
important. Il reste que la solution du " end to end "
peut se révéler là aussi un mode de pénétration
efficace et sans contrainte réglementaire de la technologie
Internet dans la distribution au patient.
Le succès commercial
de la vente de médicaments par Internet semble être
un rêve, ou plutôt un mirage. En effet, les pouvoirs
publics, les caisses d’assurance maladie, les syndicats et l’Ordre
des Pharmaciens ne dictent que des recommandations et la demande
des patients ne se fait pas très pressante !
Jean Parrot, président
du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, a tout de même
préciser les conditions à respecter pour l’utilisation
d’Internet dans l’exercice pharmaceutique
et l’Ordre diffuse dans son bulletin d’octobre 2000, un article
qui synthétise la situation réglementaire internationale
et nationale (Médicament
et Internet).
On peut penser que dans
le contexte actuel de réduction des dépenses de santé,
le e-commerce pharmaceutique se résumera au développement
de l’ordonnance électronique. Les enjeux commerciaux seront
donc limités car, dans ces conditions, Internet ne révolutionnera
pas le paysage pharmaceutique français. En revanche, les
éventuelles retombées économiques sur les dépenses
de l’assurance maladie et la diminution des risques d’erreur ne
manqueront pas d’intéresser les pouvoirs publics ou les caisses
d’assurance maladie.
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